Campagne contre le harcèlement scolaire : attention aux pièges derrière les bonnes intentions<!-- --> | Atlantico.fr
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Un nouveau clip réalisé par la journaliste Mélissa Theuriau visant à lutter contre le harcèlement scolaire à été dévoilé.
Un nouveau clip réalisé par la journaliste Mélissa Theuriau visant à lutter contre le harcèlement scolaire à été dévoilé.
©Reuters

Derrière la com'

Fin octobre, un nouveau clip réalisé par la journaliste Mélissa Theuriau visant à lutter contre le harcèlement scolaire à été dévoilé. Il invite les jeunes victimes à dénoncer ce qu'elles subissent, avec comme intitulé :"Le harcèlement, si on n'en parle pas, ça ne s'arrête pas". Seulement, la communication faite dans ce cadre invite les citoyens à se placer du côté de la victime, pas de celui des agresseurs.

Caroline Eliacheff

Caroline Eliacheff

Caroline Eliacheff est pédopsychiatre, psychanalyste et chroniqueuse aux Matins de France Culture. Elle est l’auteure de nombreux ouvrages sur l’enfance et la famille dont La famille dans tous ses états (2004) et Comment le voile est tombé sur la crèche (2013).

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Atlantico : Dans le cadre du plan contre le harcèlement à l'école présenté par la ministre de l'Education nationale Najat Vallaud-Belkacem, un clip de prévention a été diffusé, montrant un enfant se faire "harceler" par le reste de sa classe. Comment trouver une limite juste entre de simples jeux d'enfants et le début d'un vrai harcèlement ?

Caroline Eliacheff : C’est plutôt facile, pour autant qu’on définisse de quoi on parle. Une remarque blessante peut être ravageuse mais ce n’est pas du harcèlement qui sous-tend l’idée de répétition, d’un rapport de force qui s’inscrit dans la durée. Dès lors, il ne s’agit plus de "simples jeux d’enfants". Le harcèlement peut prendre les formes les plus variées : "j'me fais traiter" disent les enfants qui subissent invectives, injures, menaces, taquineries, portant sur leur nom, leur origine ou leur apparence physique. "J'ai pas d'amis" disent les bons élèves qui se font traiter "d'intellos" ou les mauvais élèves, de "bouffons" avec qui personne ne veut jouer, qui ne sont pas invités, sur qui les filles colportent des rumeurs ou des injures par texto ou sur Facebook.

Dans le primaire, la cour de récréation, les toilettes, la cantine peuvent devenir les lieux de tous les dangers: brutalités physiques, cheveux tirés, cartable jeté et vandalisé, crachats dans la nourriture, vêtements déchirés, jeux dangereux. Les plus grands peuvent vivre un cauchemar sur le trajet de l'école ou dans les couloirs du collège quand ils ne se retrouvent pas dans des situations humiliantes diffusées par portable et sur internet. Un sujet reste encore tabou: c'est la violence de certains professeurs envers certains enfants.

Ces campagnes sont adressées en faveur des victimes et suscitent ainsi l'émotion. Les messages passés sont clairs : les victimes doivent prendre la parole, dénoncer un harcèlement... La ministre de l’Éducation, Najat Vallaud-Belkacem a annoncé son ambition de "faire sortir les victimes du silence, car tant qu’on n’en parle pas, le harcèlement ça dure". Dans la communication faite autour du harcèlement, le constat est dressé et les victimes identifiées de telle sortie à susciter de l'émotion puis on attaque le "silence coupable". Mais est ce suffisant de se placer du côté des victimes, tout en oubliant les mesures pour éradiquer le harcèlement à la source (côté harceleur) qui ne sont pas l'objet de ces campagnes? 

Caroline Eliacheff : Je crois tout à fait utile de prendre à bras-le-corps la question du harcèlement à l’école et d’en faire le problème de tous : des harcelés, des harceleurs, de leurs parents respectifs et de l’institution scolaire. En son temps, Ségolène Royal s’était attaquée avec raison au bizutage et avait fait prendre conscience aux directeurs d’établissements prestigieux que certaines pratiques humiliantes voire franchement dangereuses n’étaient plus admissibles.

À mon sens, le pire serait d’identifier une énième catégorie de "victimes" sans travailler sur la qualité des réponses qui seront apportées à ceux qui sont encouragés à se plaindre. Il se profile, et j’en suis heureuse, que les adultes, parents et enseignants doivent s’en mêler quel que soit l’âge de l’enfant. Ça n’a pas toujours été le cas. Tant qu'on a considéré qu'il fallait que les enfants s'endurcissent en règlant leurs problèmes entre eux, on a dénié l'impact de ces violences. Aujourd’hui, les parents sont déchirés entre l’hyperprotection et l’abstention pour soi-disant favoriser l’autonomie. Encore faut-il que les réactions soient proportionnées et adaptées. En l’absence de réponse de l’institution scolaire, certains parents vont directement au commissariat ou essayent de régler le problème directement avec les parents du harceleur ou avec l’enfant lui-même. Mais nombre d’enfants ne disent rien soit parce qu’ils ont peur des représailles, soit parce qu’ils ont honte, soit encore parce qu’à leurs yeux, la haine et la souffrance valent mieux que l’indifférence.

Du côté du harceleur et de ses parents, les choses ne sont pas simples d’autant que la distinction n’est pas toujours évidente : le harcelé à l’école n’a pas toujours conscience de harceler plus petit que lui à la maison et le harceleur peut être un ancien harcelé qui perçoit mal les conséquences de ses actes. Les parents du harceleur sur-réagissent ou minimisent mais ne sont pas aidés à comprendre qu’il s’agit d’un symptôme. Quant aux jeunes "témoins" à qui on enjoint de dénoncer les faits, ils sont pris dans un discours contradictoire qu’il conviendrait d’éclaircir sur les conditions qui justifient la dénonciation.

Quel constat peut-on faire des dispositifs anti-harcèlement à l'école ? En prenant en compte ce qui est mis en place fait à l'étranger, quelles leçons peut-on tirer ? Quelles ont été les méthodes les plus efficaces ? Et celles qui se sont avérées décevantes ?

Caroline Eliacheff : Etant déjà très en retard par rapport à d'autres pays, on peut espérer que nous n'allons pas tenter de refaire le monde. Car il est prouvé qu'on obtient toujours une baisse significative de la violence à l'école en mettant en pratique deux ordres de mesures: des règles et des sanctions précises condamnant toute violence ET une politique éducative globale impliquant TOUS les enfants, leurs parents, les enseignants qui n'ont, à ce jour, aucune formation pour répondre à ces situations. Ils  devront accepter, ce qui serait une révolution à l'Education Nationale, de traiter ce problème par une politique de prévention et de ne pas le traiter seuls. Ce qui revient à dire que la répression isolée et les portiques de sécurité n'ont pas le même effet que la responsabilité partagée. À titre préventif, le jeu des trois figures  imaginé par Serge Tisseron pour les maternelles pose les bases de l’empathie et du sens moral. 

Peut-on vraiment prétendre éradiquer toute "violence" chez les enfants ? Ne faut-il pas mesurer ? Un monde sans enfants parfois joueur ou charieur, n'est-ce pas une fiction d'un monde aseptisé ?

Caroline Eliacheff : Je partage votre remarque sur la fiction d’un monde aseptisé ou la normalité s’apparenterait au bonheur, à la tranquillité à l’injonction permanente d’être "épanoui" dans un monde sans violence. Il s’agit bien sûr d’une illusion. L’éducation ne consiste pas à filtrer l’existence mais à permettre aux enfants de dépasser les épreuves inévitables auxquelles ils vont avoir à se confronter.

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