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"C’est toi le boulet de la promo ?" : quand les élèves infirmiers sont poussés à bout par leurs référents
©BORIS HORVAT / AFP

Bonnes feuilles

En 2013, l'unique enquête nationale réalisée auprès de 1472 étudiants en médecine a permis de chiffrer les violences qu'ils subiraient durant leurs études : plus de 40 % d'entre eux ont déclaré avoir été confrontés personnellement à des pressions psychologiques, 50 % à des propos sexistes. Pour mieux comprendre cette souffrance, Valérie Auslender lance un appel à témoins en août 2015 et recueille plus d'une centaine de témoignages d'étudiants en profession de santé. Extrait de "Omerta à l’hôpital" du Dr Valérie Auslender, aux Editions Michalon (1/2).

Valérie Auslender

Valérie Auslender

Valérie Auslender est médecin généraliste attachée à Sciences Po.

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C’était il y a dix ans, en août 2005, pendant mon stage de première année de formation en soins infirmiers. Jusqu’à présent, ma formation se passe bien. Mes écrits avoisinent 15/20 de moyenne et mes rapports de stage sont très bons. J’évolue et je découvre mon futur métier dans une bonne ambiance de promo et avec un certain plaisir. J’ai 19 ans. Tout va pour le mieux.

Premier jour de stage en EHPAD. Je rentre avec un peu d’appréhension comme toute nouvelle stagiaire et je cherche quelqu’un à qui me présenter. C’est vide. Personne pour m’accueillir. J’avance un peu plus dans le couloir et j’aperçois une femme en blouse blanche que j’identifie aussitôt comme une infirmière ou une aide-soignante. J’accélère le pas et je me faufile entre les portes qu’elle vient d’ouvrir. J’avance vers elle et je me présente : « Bonjour, je m’appelle C., je suis élève infirmière en fin de première année, je commence mon stage aujourd’hui ».

Elle me répond : « J’espère que t’as refermé la porte ! »

Le ton est froid, sec, limite méchant.

Moi : « Euh, oui. Enfin, elle s’est refermée oui. »

Elle : « Ah, j’y crois pas putain, ça commence bien ! Elle va me plaire, elle. Bon bah, tu recomptes tes résidents. J’espère qu’il n’y en a pas un qui s’est barré. »

C’est à moi qu’elle parle ? Elle veut que je recompte qui ? « Mes » résidents ? Mais je viens d’arriver, je ne les connais pas, je ne sais même pas combien ils sont. Et puis, pourquoi les compter ? À ce que je vois, ces personnes n’ont pas l’air d’avoir la forme de Flash Gordon au point  de pouvoir se sauver aussi vite pendant qu’une porte se referme, ou alors on s’en serait aperçu. C’est quoi ce délire ? Elle : « Magne-toi ! Compte-les, putain ! »

Je suis stupéfaite. Je ne comprends pas du tout ce qui se passe et la situation me paraît absurde. Mais je compte machinalement les personnes qui sont là, dans le stress, je me mélange les pinceaux, je n’y parviens même pas. Toujours pas de « bonjour ». Je suis toujours en civil, mon sac à l’épaule. Il est 7 h 30 du matin.

Ça commence bien. Je ne sais plus comment se dénoue cette histoire de comptage, tellement je suis abasourdie. Je suis quelqu’un qui m’indique les sous-sols pour me changer et laisser mes affaires puis je remonte. J’apprends que la personne très aimable dont j’ai fait la « connaissance » est l’infirmière de la maison et ma référente. Je vais donc passer une bonne partie de mon stage avec elle. L’idée me réjouit d’avance…

Je remonte du vestiaire et je déambule dans la maison à la recherche de ma super référente et je la retrouve à l’étage, agenouillée face à une dame en train de la perfuser. Je m’agenouille à mon tour face à cette dame et je me présente à elle.

L’infirmière : « Ouais, va plutôt me perfuser celle d’à côté, tout est prêt sur le chariot. »

Dans le cursus que j’ai suivi, nous venions juste de passer les travaux pratiques des prises de sang et poses de perfusions, évidemment, sur des mannequins. Je n’en ai jamais posé, je me sens encore toute chamboulée par mon arrivée et je ne me sens pas du tout capable de poser une perfusion, là, comme ça d’emblée ce matin. J’explique à ma référente que je ne m’en sens pas capable, je veux bien qu’elle me montre la technique et je pourrais en poser une avec elle plus tard dans la matinée si besoin. Sa réponse cinglante ne se fait pas attendre : « Putain mais t’es en fin de première année et tu sais pas perfuser ? Ils vous apprennent quoi à l’école ? Ou alors, c’est toi le boulet de la promo ?! »

Le malaise s’installe. J’ai les larmes aux yeux. Je ne comprends pas ce qui se passe. Qu’est-ce que j’ai fait pour qu’elle me parle ainsi ? Est-ce que je suis vraiment un boulet ? Oui, ça doit être ça. Je me sens nulle et stupide. Je suis plantée là comme un piquet dans la pièce et je ne sais plus quoi faire, à part la suivre comme un petit chien sans rien dire. La garde se passe tant bien que mal. Je parviens à avoir quelques informations avec les aides-soignantes, pas très avenantes non plus, mais qui s’efforcent de répondre plus ou moins à mes questions. Je me dis que ça ira mieux demain. Le lendemain, je retrouve ma chère référente. Le bonjour est une option dont elle n’a pas été gratifiée. Pas grave, je reste polie, courtoise et je souris. Je prends sur moi. Je suis stagiaire et j’ai été éduquée, moi. Un démarrage sur les chapeaux de roue encore, avec un tas de choses à faire à droite à gauche. Évidemment, des tâches ingrates mais je les accepte en me disant que c’est le début de stage et que vu que je suis un boulet, il faut bien qu’ils trouvent quelque chose à me faire faire. Je ne me sens pas à la hauteur mais je continue à m’accrocher. Je sais que parfois les débuts sont difficiles mais que cela finit par s’arranger. Je vais progresser.

Les équipes changent. Je change de poste aussi et passe « d’aprèsmidi ». En fin de journée, après le repas et lorsque les résidents sont en majorité couchés, c’est l’heure du nettoyage des salles. C’est à ce moment que l’on se rappelle mon prénom : quand il faut passer le balai et la serpillière dans toute la maison. Quelqu’un me demande de faire une salle. Pas de problème, bien sûr, je sais que ça fait partie des tâches auxquelles chacun doit contribuer. Puis, une collègue vient me voir en me demandant si ça me dérange de faire la deuxième salle car elle a mal au dos. D’accord, pas de soucis, si je peux rendre service. Puis, je vois la troisième arriver me disant qu’elle a encore des choses à faire et que « ce serait sympa si je pouvais faire son unité aussi ». Il y a six unités dans la maison. Ce soir-là, j’ai nettoyé quatre unités sur six pendant que les filles fumaient des cigarettes et riaient aux éclats de l’autre côté de la baie vitrée, tranquillement posées. Je suis fatiguée physiquement et épuisée psychologiquement. J’ai l’impression d’être une « merde ». Désolée pour le terme mais je n’ai pas d’autre mot.

La première semaine se termine aujourd’hui. Je suis à nouveau « du matin ». Je suis dans un état de stress et de tension intense. Je suis toujours respectueuse et polie. Ce matin, on me demande de trouver un mètre pour prendre les mesures d’une dame afin de lui commander des bas de contention. Je demande à une collègue où je pourrais me procurer un mètre. Sa réponse, graveleuse et vulgaire au plus haut point me laisse à nouveau stupéfaite : « Si c’est pour mesurer la taille de la b**e de mon mec, je peux te dire qu’elle fait 25 cm », dit-elle en éclatant de rire avant de s’engouffrer dans l’ascenseur. Je reste hébétée devant la porte qui se referme. C’est quoi le délire là ? C’est quoi son problème à elle ?

Je finis par trouver un mètre, je prends les mesures des mollets de cette dame et décide d’aller me poser dans le bureau, tranquillement, mettre le nez dans les dossiers, et qu’on me fiche la paix un peu. Quand j’entre dans le bureau, ma référente infirmière y est installée devant l’ordinateur. Je lui demande où je peux trouver les dossiers des résidents afin de me documenter sur les pathologies et de prévoir un recueil de données. Je ne sais pas où cela se trouve puisque c’est la fin de ma première semaine de stage et personne ne m’a encore, ni fait visiter, ni ne m’a renseignée sur l’endroit où je pouvais trouver les informations nécessaires. Elle me répond que « c’est dans l’armoire fermée à clé derrière moi ». Elle me dit cela sur un ton plutôt neutre, ce qui me surprend et qui m’invite à poursuivre un peu la conversation avec le sourire sur un ton enjoué, tout en ouvrant l’armoire et en choisissant un dossier au hasard : « Merci. Parce que tu vois, j’aimerais pouvoir consulter les dossiers médicaux pour me faire un peu une idée des pathologies dont souffrent les personnes qui sont ici et… »

Elle : « Putain, bah t’es pas prête de les trouver tes infos médicales si tu cherches dans les dossiers administratifs ! J’te jure, y’a vraiment tout à te dire à toi ! »

Je crois que sa réponse a été le coup de trop. Je me suis effondrée en larmes sur le bureau en lui disant que ça n’allait pas. Le seul réconfort que j’ai eu de sa part a été une nouvelle réplique cinglante : « Ah ! Mais tu vas pas te mettre à chialer en plus ! C’est bon là ! Tes problèmes, tu te les gardes. Moi aussi j’ai des soucis et pourtant je ne me mets pas à chialer pour un oui pour un non. Si tu commences comme ça, tu vas pas aller bien loin. De toute façon, t’es pas faite pour ça… ça se voit. »

Extrait de "Omerta à l’hôpital" du Dr Valérie Auslender, aux Editions Michalon

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