Bruno Le Maire affronte Éric Zemmour en oubliant de prendre une assez longue cuillère<!-- --> | Atlantico.fr
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Eric Zemmour prend la parole lors de l'émission politique "Elysée 2022" sur la chaîne de télévision France 2, le 9 décembre 2021, lors de son débat avec Bruno Le Maire.
Eric Zemmour prend la parole lors de l'émission politique "Elysée 2022" sur la chaîne de télévision France 2, le 9 décembre 2021, lors de son débat avec Bruno Le Maire.
©Christophe ARCHAMBAULT / AFP

Comment débattre avec le diable 

Eric Zemmour a fait face à Bruno Le Maire, ministre de l'Economie, lors de l'émission de France 2, "Elysée 2022", jeudi soir. Les questions économiques, sociales et migratoires étaient au cœur du débat.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Éric Zemmour sur France 2 : un candidat qui sent le soufre, une ambiance tendue.

Vincent Tournier : C’est donc avec Éric Zemmour que France 2 a ouvert son cycle d’émissions « Elysée 2022 ». Le déroulement de cette première émission a été le suivant : d’abord une discussion préliminaire avec les deux présentateurs (Léa Salamé et Laurent Guimier), ensuite une discussion avec le journaliste Francis Letellier qui a présenté un petit reportage sur l’accès aux soins en milieu rural, puis un débat avec le ministre Bruno Le Maire (le temps fort de l’émission), suivie par une séquence avec une invitée surprise (en l’occurrence Samia Ghali) et un autre échange avec deux journalistes (Nathalie Saint-Cricq et Dominique Seux) et finalement une évaluation sondagière par Brice Teinturier de l’institut Ipsos.

Pour ce genre d’émissions, il est toujours difficile de tirer un bilan. Les partisans de l’invité pensent que leur champion a été très bon, tandis que ses adversaires considèrent qu’il a révélé l’étendue de ses faiblesses. Le sondage livré en fin de soirée indique, d’après Brice Teinturier, que 41% des téléspectateurs ont jugé Éric Zemmour convaincant, chiffre qui est plutôt faible par rapport à d’autres responsables politiques, mais qui connaît toutefois de fortes variations puisqu’il atteint plus de 60% chez les sympathisants LR et plus de 80% chez les sympathisants du RN.

S’il n’y a ici guère de surprise, l’intérêt principal de cette émission était ailleurs. La question était en effet de savoir comment les journalistes, mais aussi et surtout le ministre Bruno Le Maire, allaient affronter ce candidat si particulier, entouré d’une odeur de soufre : comment allaient-ils concilier leur volonté (bien visible) de critiquer assez fortement celui qui est présenté comme un danger pour la République, avec le souci de ne pas contribuer à accroître sa crédibilité ? Quant à Éric Zemmour, l’enjeu était pour lui de trouver un équilibre entre son souci de conforter son statut de présidentiable et son désir de rester fidèle à un positionnement aussi radical que dramatisant (une menace existentielle pèse sur la France).

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Des échanges offensifs

Le résultat de tout ceci, c’est qu’un climat très tendu a constamment régné sur l’émission. Dès la première séquence, les deux présentateurs ont eu beaucoup de mal à cacher leur détestation d’Éric Zemmour, ce qui les a conduits à enchaîner une succession de questions parfois à la limite de l’honnêteté, qui semblaient davantage destinées à provoquer et à perturber qu’à permettre une véritable expression.

A son tour, Bruno Le Maire a opté pour une stratégie offensive qui a consisté à occuper systématiquement le terrain, soit en faisant de longues interventions, soit en interrompant systématiquement son interlocuteur.

Face à lui, Éric Zemmour a donné le sentiment de subir la situation, sans oser utiliser les mêmes techniques déstabilisatrices que son adversaire. De ce point de vue, il n’a guère été aidé par les journalistes, lesquels n’ont pas vraiment joué leur rôle de médiateurs : alors qu’ils auraient dû contrôler davantage le ministre, ils se sont surtout attachés à interrompre leur invité. On se doute qu’ils n’ont pas voulu prendre le risque d’être accusés de complaisance à son égard, mais les partisans d’Éric Zemmour peuvent avoir le sentiment que le débat n’était pas équitable.

Il reste qu’Éric Zemmour est apparu mal à l’aise dans ce type de situation où il faut être agressif, où il faut savoir jouer des coudes et être malhonnête, voire irrespectueux, surtout face à un adversaire aguerri qui connaît toutes les ficelles de la confrontation verbale, un adversaire qui sait s’engouffrer dans la moindre brèche pour placer des attaques souvent très fortes (Bruno Le Maire a utilisé le terme de « dictateur »). Dans ce registre qui nécessite à tout le moins d’être vif sur la forme, Éric Zemmour a encore des progrès à faire, mais est-ce forcément un désavantage pour lui ? S’il a fini par s’énerver à un moment du débat (à l’occasion d’une passe d’armes sur le déficit budgétaire de la France), son manque de professionnalisme politicien a pu apparaître comme un atout puisqu’il lui a permis de présenter un visage plus authentique que celui des hommes politiques traditionnels. 

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Vichy, encore et toujours

De son côté, Bruno Le Maire était lui aussi dans une position étrange puisque, la veille, Éric Zemmour a fait l’objet d’une attaque particulièrement vive de la part du président de la République. En effet, lors d’un déplacement très symbolique à Vichy, où il est allé rendre hommage aux juifs déportés, Emmanuel Macron a dénoncé les tentatives de manipulation de l’histoire. Cette mise en scène était indirectement dirigée contre Éric Zemmour : il s’agissait de faire d’Éric Zemmour un héritier et un partisan du maréchal Pétain de façon à saborder sa candidature.

La dureté de cette attaque répond évidemment aux critiques tout aussi dures qui ont été lancées par Éric Zemmour contre Emmanuel Macron lors de son meeting de Villepinte (« il n’est personne », « le néant idéologique », un « homme qui n’est pas fini »). En mettant ainsi en avant cette question du passé et de Vichy, le président visait deux objectifs : d’une part rendre illégitime toute discussion sur le programme d’Éric Zemmour (peut-on discuter avec un candidat qui est le diable incarné ?), d’autre part empêcher l’obtention des 500 parrainages (un maire va-t-il pouvoir accorder son soutien à un candidat dont le président affirme qu’il est infréquentable ?).

Cette dramatisation vise à court-circuiter Éric Zemmour, mais elle place Bruno Le Maire dans une position étonnante : pourquoi a-t-il accepté de venir débattre avec Éric Zemmour si celui-ci est le diable en personne ? N’est-ce pas lui reconnaître une certaine légitimité, surtout s’il engage un débat sur des thèmes de nature économique, ce qui revient forcément à normaliser sa candidature ?

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Cette contradiction s’explique sans doute par un calcul stratégique de la part d’Emmanuel Macron : Éric Zemmour est certes un adversaire menaçant, mais il est probablement moins dangereux que Valérie Pécresse, au moins pour le second tour. Il faut donc tout à la fois le critiquer et le ménager.

C’est pourquoi Bruno Le Maire a participé à ce débat tout en adoptant une attitude très agressive, laissant la possibilité à Éric Zemmour de présenter certaines de ces propositions, comme la suppression des aides sociales non contributives aux étrangers, la baisse de la CSG et des impôts de production, le développement de la participation des salariés dans les entreprises (par la défiscalisation et l’abaissement du seuil de déclenchement) ou encore l’augmentation de l’âge de la retraite à 64 ans.

Sur ce plan, Bruno Le Maire n’a pas réussi à ridiculiser Éric Zemmour, mais était-ce son souci ? Le principal enjeu pour le ministre semble avoir été à la fin de l’entretien : alors même que la séquence était terminée, Bruno Le Maire a en effet repris autoritairement la parole pour lancer une attaque dans un registre très éloigné de son domaine de compétence, puisqu’il a accusé Éric Zemmour de vouloir réhabiliter le régime de Vichy.

Cette ultime attaque était prévisible puisqu’elle est cohérente avec la stratégie lancée la veille par Emmanuel Macron. Éric Zemmour a tenté de déminer le sujet (« Je ne suis pas pétainiste », « je ne réhabilite absolument pas le régime de Vichy ») mais face au ministre qui lui enjoignait de souscrire au discours de Jacques Chirac de 1995 sur la rafle du Vel d’Hiv, il a répondu par un argumentaire complexe, soulignant que ledit discours avait tourné le dos à la thèse gaulliste (la France était à Londres, donc elle n’est pour rien dans ce drame).

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Il n’en reste pas moins qu’Éric Zemmour est pris dans un piège : non seulement il doit passer beaucoup de temps à justifier son analyse historique, au détriment d’une présentation de son programme présidentiel, mais il risque de s’enfermer dans des arguments sophistiqués qui, même s’ils sont exacts, ne sont pas adaptés à une campagne électorale. Les polémiques sur Vichy lui permettent certes de marquer sa différence, mais elles contribuent aussi à fragiliser sa candidature.

Les sujets de société : Éric Zemmour cherche à dédramatiser

Après le départ de Bruno Le Maire, et une fois passée une séquence assez surprenante avec l’élue marseillaise Samia Ghali (cette personnalité était-elle donc la seule personne à avoir accepté de lui apporter la contradiction ?), Éric Zemmour a eu l’occasion d’exposer plusieurs de ses propositions : sur le logement (exonération des frais de notaires les primo-accédants), sur l’énergie (développement du nucléaire et arrêt des éoliennes, sans pour autant renoncer aux énergies renouvelables que sont l’hydraulique et la géothermie), sur la santé (suppression des agences régionales de santé et restauration des gardes obligatoires pour les médecins).

On retiendra surtout le passage sur les questions de société, qui ont permis à Éric Zemmour de dédramatiser son programme. Certes, il a critiqué fermement le phénomène MeToo (qu’il accuse de vouloir « effacer les hommes » et de bafouer les droits de la défense) ainsi que la parité en politique (il entend juger les gens en fonction de leurs talents, de sorte qu’il n’exclut pas d’avoir un gouvernement majoritairement composé de femmes).

Pour autant, il a indiqué qu’il ne toucherait pas aux droits des femmes, ce qui signifie notamment qu’il ne changerait pas la loi sur l’avortement (même s’il ne compte pas allonger le délai de 12 à 14 semaines). De même, il ne compte pas remettre en cause le mariage gay et l’abolition de la peine de mort, considérant que ces deux sujets ne constituent pas sa priorité. En revanche, il annulera la loi sur la PMA pour toutes.

« Je vous ai trouvé moins anxiogène que d’habitude »

Au total, on comprend que la force d’Eric Zemmour est aussi sa principale faiblesse. Sa force est d’aborder sans détour certains enjeux contemporains comme l’immigration, l’islam ou l’identité nationale. Il ne craint pas d’utiliser un vocabulaire dramatisant (il veut « arrêter l’apocalypse ») et d’aborder les choses sous le seul angle de l’intérêt national, ce qui détonne fortement à une époque où l’on a tendance à tout examiner sous le prisme du droit et de la morale. Ce faisant, il confirme que son discours n’a pas d’équivalent dans le spectre politique actuel. Cette attitude peut séduire nombre d’électeurs, lassés par les atermoiements et l’indécision de la classe politique, mais elle peut aussi inquiéter parce qu’Éric Zemmour brise les conventions habituelles de la politique.

Il reste que, au total, et notamment parce qu’il a été durement attaqué tout au long de ces échanges, et même souvent placé en position défensive, sinon dominée, Éric Zemmour a pu sembler moins terrifiant que ce qu’en disent ses adversaires. « Je vous ai trouvé moins anxiogène que d’habitude », a ainsi déclaré la journaliste Nathalie Saint-Cricq à la fin de l’émission. Ce sentiment est-il partagé par les téléspectateurs ? Si tel est le cas, on peut alors s’attendre à ce que sa candidature entre dans une nouvelle phase ascendante. Sinon, il risque de plafonner à son niveau actuel, sauf s’il parvient à trouver un nouveau moyen pour relancer sa campagne et sortir du statut de paria dans lequel tente de l’enfermer la macronie.  

ZEMMOUR – LE MAIRE : MYSTIFICATION OU MENACE REELLE ?

Le débat de jeudi soir entre un extrémiste et un modéré s’est déroulé dans une ambiance parfois tendue.

Michel Ruimy : Face à Bruno le Maire, un des ministres les plus importants du gouvernement, l’exercice avait des allures de test pour Éric Zemmour, traditionnellement plus prompt à évoquer la problématique migratoire que les autres sujets. L’occasion d’étoffer sa stature d’homme présidentiable.

Le candidat à l’élection présidentielle s’était, jusqu’à présent, peu exprimé sur les questions économiques, avançant quelques propositions assez conventionnelles de baisses d’impôts pour les entreprises, de simplification administrative et d’allègements de charges pour soutenir le pouvoir d’achat. Un programme souverainiste de droite classique, davantage assimilable à ce que proposera le parti Les Républicains.

Outre les désaccords sur le nucléaire et sur la régulation du marché de l’électricité, le débat s’est engagé sur le financement des propositions du programme économique d’Éric Zemmour. La baisse de la CSG sur les bas salaires devrait permettre aux salariés au SMIC de percevoir environ 100 euros de plus par mois. Le coût annuel de cette mesure (15 milliards d’euros) serait financé par la suppression des aides sociales non contributives pour les étrangers hors Union européenne. Gain de 20 milliards selon le candidat. Un chiffrage contesté, difficilement vérifiable. Une disposition qui pourrait ne pas passer l’obstacle du Conseil constitutionnel au motif de l’égalité de tous devant l’impôt, la CSG n’étant pas une cotisation mais un impôt.

Par la suite, la discussion tirera en longueur à défaut de gagner en clarté. Certaines propositions déjà annoncées (hausse du budget de la Défense, baisse des impôts de production) ont été abordées, d’autres jamais évoquées encore (défiscalisation de la participation, abaissement du seuil à 11 salariés, doublement du quotient familial…). Le montant global de ces propositions, tout comme leur financement n’ont, en revanche, pas été précisés.

Si les deux débatteurs sont restés relativement calmes en avançant des arguments techniques sur l’économie, ils n’ont toutefois pas manqué de se lancer quelques hallebardes. Éric Zemmour a attiré l’attention sur le « déclassement de la France », sur le déficit commercial et sur la position nette extérieure du pays pour mieux traiter de « cancre » son interlocuteur tandis que Bruno Le Maire défendit les efforts du gouvernement pour donner un nouvel élan économique sans nier certaines « difficultés des Français ». Si le ministre des Finances fût qualifié d’« employé de la Commission de Bruxelles », il dénonça « les erreurs » dans les données avancées par le candidat.

En définitive, parlaient-ils réellement du même pays ? Ce fût plutôt un dialogue de sourds entre un candidat souhaitant à tout prix démontrer sa technicité et sa maîtrise des sujets économiques, quitte à perdre certains téléspectateurs et un ministre souhaitant non moins prouver sa combativité et son habileté rhétorique, quitte à agacer, en l’interrompant sans cesse, son contradicteur.

L’ensemble de la classe politique tente de réduire l’impact d’Éric Zemmour dans cette élection. Pour certains, ce débat contre Bruno Le Maire pourrait le crédibiliser et être vu comme la preuve que le candidat inquiète le parti présidentiel. Pour d’autres, le ministre des Finances, l’un des personnages les plus importants du gouvernement, était une doublure d’Emmanuel Macron. Dans cette perspective, ce débat était une répétition d’un débat futur. Mais, le gouvernement ne devrait pas oublier qu’à affaiblir trop ce candidat, cela pourrait faire remonter la cote de Valérie Pécresse.

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