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Bouygues et Free, leçons d'une bizarre réconciliation
©Reuters

L'Édito de Jean-Marc Sylvestre

Pour ne pas perdre Bouygues Télécom, Martin Bouygues propose de donner à Xavier Niel ce qu'il lui avait toujours refusé et se retrouve obligé d’accepter les conditions mises par Vincent Bolloré pour céder SFR.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Il est aussi l'auteur du blog http://www.jeanmarc-sylvestre.com/.

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Tout est possible dans le monde des affaires dès qu'il s’agit de protéger des intérêts supérieurs. Y compris de voir des gens qui ne s’aimaient pas, que tout sépare, tenter de s’entendre pour permettre de consolider le marché des mobiles et de retrouver des marges. Ce n’est pas un deal qui se trame, c’est une pièce de théâtre qui s’écrit sous nos yeux. Presque du boulevard. Le texte est simple. Les acteurs sont grands. 

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Le décor d’abord. Celui du marché de la téléphonie mobile qui est actuellement tenu par quatre opérateurs importants. Orange qui contrôle 45 % du marché, SFR qui a su en conquérir 25%, Bouygues Télécom qui en tient aujourd’hui 15% et Free qui en a capté presque 10% en deux ans. Le reste est dans les mains de quelques petits opérateurs virtuels qui travaillent sur des niches de clientèle.

Le secteur est devenu très concurrentiel avec l’arrivée de Free qui a bouleversé les tarifs, la chaîne de valeur, et qui a profondément dérangé les petites habitudes prises par les trois opérateurs historiques. Leur cohabitation était plutôt gérée par de la non-agression que par une concurrence dure au profit des consommateurs. Pendant très longtemps, la communication mobile a été en France l’une des plus chères du monde pour le consommateur.

L’arrivée de Free a tout changé sur les prix, obligeant les trois autres à réagir. Ils ont réagi, mais y ont laissé des plumes et beaucoup de marges. A tel point que Bouygues et SFR sont devenus beaucoup trop petits pour continuer à participer à la compétition dans une logique de développement. Bouygues Telecom aurait pu être à vendre. Martin Bouygues a toujours affirmé vouloir conserver la seule activité qu’il avait à peu près créé lui-même. En réalité, les acheteurs qui s’étaient déclarés, il y a une dizaine d’années, se sont raréfiés.

Du coup, Martin Bouygues n’avait plus d’autres solutions que de grossir en essayant de racheter un de ses concurrents. Et il n’avait pas vraiment le choix. L’actionnaire de SFR, Vivendi, désormais piloté par Vincent Bolloré considère un peu comme Bouygues que l’avenir va être compliqué dans la téléphonie mobile, à moins d’être un acteur majeur sur le marché : ce n’est pas le cas de SFR. Vivendi a deux acheteurs possibles.

Numéricâble, spécialiste du téléphone fixe, du câble, de la fibre, absent du mobile et qui voit dans l’acquisition de SFR l’occasion de constituer un groupe très homogène et cohérent avec d’un côté un réseau fixe de grande qualité et de l’autre, un réseau mobile. Avec une telle palette, une multitude de services au particulier comme à l’entreprise l’internet haut débit (avec la fibre), la télévision, le téléphone et le mobile.

Le deuxième candidat, c’est Bouygues Télécom qui grossirait de façon significative dans le mobile, au point d’inquiéter l’autorité de la concurrence. La consolidation des deux opérateurs, SFR et Bouygues c’est pour beaucoup, le risque de voir les prix augmenter. Alors pour amadouer, pour rassurer Bouygues a proposé de céder une grande partie de son infrastructure : les antennes. Free se retrouverait donc avec un réseau à développer puis à entretenir ce qui changerait un peu son modèle économique mais lui donnerait plus de garanties de services.

Cette vaste partie de Monopoly qui se joue entre les crocodiles du secteur ne pose en fait, qu'une seule question sur le prix et sur l’emploi. Est-ce que la configuration nouvelle avec trois opérateurs sera bénéfique au consommateur. Est-ce que les prix ne vont pas recommencer à flamber le lendemain de l’opération à trois. Mystère. Actuellement Martin Bouygues fait expliquer que le deal n’aura aucun impact sur l’emploi et sur les prix. Difficile à croire quand on sait ce qui s’est passé au cours de la première décennie. Difficile à croire sur l’emploi quand on sait que sur le terrain, les boutiques Bouygues et SFR sont voisines dans toutes les rues commerçantes. Si les deux entreprises fusionnent à quoi bon garder les équipes commerciales en double ?

Mais au-delà, cette opération prouve que les crocodiles du monde des affaires ont peu d’affect, ou de mémoire, pourvu de sauver leur égo et leur équilibre économique.

La perspective de voir Martin Bouygues et Xavier Niel nouer une liaison stratégique fait rire tout Paris. Les deux hommes sont tellement différents. Le premier est un héritier, le second n’est parti de rien. Le premier ne cessait de jurer qu'il ne travaillerait jamais avec un opérateur virtuel, "tout juste capable de profiter des infrastructures des autres". Les deux hommes n’auraient jamais dû se parler ou se rencontrer.

Par ailleurs, voir Martin Bouygues négocier l’achat de SFR avec Vincent Bolloré, un homme qu’il traitait de voyou il y a quelques années quand il venait gratouiller TF1 en bourse, paraitra désopilant pour beaucoup d’observateurs.

Si l’opération se fait, alors que la version Numéricâble serait beaucoup plus logique et cohérente, la fusion Bouygues-SFR n’aura qu'un seul intérêt : sauver l’avenir de Bouygues Télécom. Mais pour en arriver là, il faudra que Martin Bouygues pactise avec le diable : Xavier Niel d’un côté et Vincent Bolloré de l’autre.

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