Bordeaux, Bourgogne ou bouteilles frauduleuses ? l’IA permet désormais de détecter la signature chimique inimitable des grands vins<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Science
Un verre de vin rouge (illustration)
Un verre de vin rouge (illustration)
©GEORGES GOBET / AFP

Futur

Des chercheurs ont mis au point une IA capable d'analyser et d'identifier les composés présents dans le vin, notamment ce petit “je-ne-sais-quoi” capable de rendre une bouteille exceptionnelle

Fabrizio Bucella

Fabrizio Bucella chronique la science et le vin. Docteur en physique et professeur des universités à l'université libre de Bruxelles, il tient une chronique pour Le Point "Le prof en liberté". Chaque semaine, on le retrouve dans le poste de radio et télévision belge de service public (RTBF). Sur les réseaux sociaux, il publie quotidiennement une vidéo ludique sur le vin et la science. Ses comptes sont suivis par plus de 200 000 abonnés.

Voir la bio »

Atlantico : Les vins se valent-ils tous ? La question semble aussi vieille que la gastronomie française. C’est pourquoi des chercheurs tentent aujourd’hui d’identifier scientifiquement le “je-ne-sais-quoi” qui fait les grands vins, à l’aide de machine learning notamment. Et leurs recherches ont permis de confirmer le fait que certains vins sont plus uniques que d’autres. Comment l’expliquer ?

Fabrizio Bucella : Les chercheurs, pour résumer le processus, ont réalisé une chromatographie en phase aqueuse. Ils ont ainsi récupéré une série de paramètres chimiques provenant des vins analysés. Enfin, ils ont réalisé un apprentissage machine afin d'essayer de séparer les différents domaines et millésimes. Leur méthode a donné de meilleurs résultats que les plus classiques analyse en composante principale ou analyse discriminante linéaire. Ceci dit, on ne parle pas de science nucléaire. Il ne s’agit de rien de plus que l’introduction, dans le modèle d'apprentissage machine, des différents paramètres de chaque vin analysé. On peut ensuite avoir un taux correct de prédiction sur le domaine et un taux moins correct sur le millésime.

Les analyses physico-chimiques qui ont ainsi été réalisées permettent de regrouper ensemble les vins qui viennent du même domaine. Le modèle reconnaît la signature des domaines sur lesquels il a travaillé. Ceci étant dit, il faut souligner que les chercheurs n’ont travaillé qu’avec des vins chers, des crus classés en provenance de Saint-Emilion et du Médoc et des vins de Pomerol. Ils ont pu identifier la signature unique de ces vins et la retrouver avec la machine, mais cela ne signifie pas, par exemple, qu’un vigneron en Bourgogne qui fournirait 12 millésimes de son vin (comme dans la recherche) ne pourrait pas arriver à un résultat comparable. La machine identifierait très certainement une signature unique, là encore.

Rappelons également qu’il existe des confusions. Le millésime identifié est précis à 50 %, pour le moment. Il y a encore du chemin à faire mais l’analyse physico-chimique, le machine learning et les techniques employées devraient permettre à terme, d’identifier et de séparer des vins mélangés. Pour le millésime, la machine y arrive une fois sur deux, ce qui est plutôt positif, sans être quelque chose d’aussi impressionnant que ce que la presse anglo-saxonne a parfois pu en dire.

Le “je-ne-sais-quoi” qui fait la saveur d’un grand vin et qui le rend différent de ses compétiteurs peut-il se réduire à une seule série de composants chimiques ? Ou s’inscrit-il dans quelque chose de plus large (expérience de dégustation, histoire avec la maison de vin, etc) ?

Il va de soi, bien sûr, que l’on ne peut pas réduire ce “je-ne-sais-quoi” à sa seule composante chimique. Toutes les expériences en psychologie perceptive et en analyse sensorielle montrent clairement que d’autres facteurs entrent en compte. C’est le cas de l’expérience de dégustation, par exemple, mais aussi de l’histoire et de la connexion que l’on peut avoir avec le domaine d’où provient la bouteille. Ils comptent pour plus de la moitié de la dégustation.

Certaines expériences réalisées à Bordeaux il y a une vingtaine d’années illustrent bien cet état de fait. Le cerveau et les sens reconstruisent les informations qu’on ne reçoit pas. Ainsi, du vin blanc a été coloré en rouge et les convives étaient persuadés de consommer du vin rouge, au point de pouvoir assurer que celui-ci avait subi un passage en bois, ce qui n’est plus rarement le cas pour du vin blanc. Il n’est donc pas possible de réduire l’expérience de dégustation à des seuls critères physico-chimiques.

Cela pose une question, concernant les capacités des logiciels employés par les chercheurs. Peut on penser que l’intelligence artificielle sera en mesure de saisir, un jour, ce qui fait toute la saveur d’un grand vin ? Qu’elle pourra le déguster comme le ferait un humain ? La nouvelle intelligence de Google (Gemini) sera bientôt capable de lire et d'interpréter les textes. En l’état, l’IA ne peut pas déguster comme nous le faisons-nous (quand bien même un nez électronique a déjà été créé). Mais rien ne permet d’affirmer que cela n’arrivera jamais.

Il est d’ailleurs plausible que l’IA n’ait pas besoin de ce genre d’expérience, si elle a accès à toutes les notes d’informations et toutes les critiques qui ont pu être rédigées sur un millésime. Il lui serait alors possible, à l’aide d’une méta-analyse, de recréer une certaine image du vin. ChatGPT, par exemple, sait déjà décrire la saveur d’un Margaux 82, ne l’oublions pas. Pour que le résultat soit pertinent, ceci étant dit, il faudra aussi que l’IA sache identifier la date à laquelle a été publié un commentaire, pour pouvoir aviser de l’âge de la bouteille jugée et extrapoler une évolution.

Que sait-on de ce qu’il faut théoriquement produire pour faire un “grand vin”, à l’issue de cette étude ?

Nous n’avons toujours pas la formule magique qui permettrait de produire, à coup sûr, un grand vin. Cette étude se concentrant sur les seuls grands vins, elle ne permet d’ailleurs pas d’identifier ce qui ferait la différence entre ces derniers et le reste. A bien des égards, les grands-vins s’apparentent à une sorte de pierre philosophale. Il est très difficile de dire ce qui les sépare.

D’aucuns évoqueraient évidemment le terroir. C’est un sujet très discuté. Nous avons pu montrer, au siècle précédent, que le terroir était une résultante, une action humaine dépendant des moyens

financiers et des voies de communication. Sans la “débite”, c’est-à-dire sans la capacité de vendre, il ne sert à rien de faire du vin. Il est possible que d’autres très bons terroirs n'aient jamais été découverts, faute de les avoir cherchés. Pour le dire plus clairement : on a cherché des terroirs le long de la Garonne ou de la Dordogne ou d’autres voies de communication pour mieux les vendre.

Cette étude permettra-t-elle de lutter contre les produits mal estampillés et l’éventuelle fraude ?

C’est ce que les scientifiques à l’origine de l’étude semblent penser. Cependant, on parle là de conséquences à moyen terme… et il ne faut pas perdre de vue que les fraudeurs ont généralement quatre coups d’avances sur ceux qui posent les coffres-forts. Je ne suis pas sûr que cela soit la meilleure façon de développer un système anti-fraude, en témoignent certains récits autour de faux vin des quinze dernières années.

Dès lors qu’elle bouge, une bouteille peut être fraudée. La seule façon d’empêcher toute fraude, c’est donc de garder la bouteille au château. La façon la plus sûre d’empêcher la fraude consisterait donc à mettre en place un système de blockchain, qui permettrait d’acquérir un certificat d’authenticité de la bouteille… qui n’arriverait chez l’acheteur que lorsque celui-ci se déciderait finalement à la consommer. Quitte à acheter le dit certificat chez un revendeur.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !