Biden en Israël : que peuvent (et veulent…) vraiment les États-Unis et la diplomatie internationale face au conflit israélo-palestinien ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président Joe Biden, en partance pour Israël - MANDEL NGAN / AFP
Le président Joe Biden, en partance pour Israël - MANDEL NGAN / AFP
©MANDEL NGAN / AFP

Une alliance qui compte

Depuis plus d’une semaine, Israël est en guerre contre le Hamas. Le président des Etats-Unis tient à montrer qu’il est un allié de poids de l’Etat hébreu et a décidé de se rendre sur place.

David Rigoulet-Roze

David Rigoulet-Roze

David Rigoulet-Roze est chercheur associé à l'IRIS et chercheur rattaché à l'Institut français d'analyse stratégique (IFAS) et rédacteur en chef de la revue Orients Stratégiques (L'Harmattan).

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Anne Toulouse

Anne Toulouse

Anne Toulouse est une journaliste franco-américaine. Auteur de deux livres sur Donald Trump, elle « l'étudie » depuis huit ans, et partage actuellement son temps entre Arlington, en Virginie, et Paris. Son dernier livre s'intitule L'art de "trumper" : ou comment la politique de Donald Trump a contaminé le monde (Ed. du Rocher, 2024). Elle a également publié un essai sur le wokisme en 2022 aux éditions du Rocher.

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François Chauvancy

François Chauvancy

Le général François Chauvancy est consultant en géopolitique. Il est aussi l'auteur de « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d’influence, affrontement économique ».

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Atlantico : La guerre entre le Hamas et Israël a commencé il y a un peu plus d’une semaine. Dans ce contexte extrêmement tendu au Proche-Orient, Joe Biden est en Israël ce mercredi. A quoi sert cette visite ? Quels sont les objectifs du président américain ?

David Rigoulet-Roze : Joe Biden envoie deux messages. Le premier à destination d’Israël pour montrer qu’il y a un soutien sans faille des Etats-Unis. Le second message, il est pour les ennemis de l’Etat hébreu en leur disant qu’Israël n’est pas seul et que si besoin, les Etats-Unis seront présents. 

Joe Biden prend le risque d’un déplacement physique avec tout ce que cela implique en termes de sécurisation de sa personne. Tout déplacement d’un président américain fait l’objet d’une logistique très lourde. Biden prend ce risque d’un déplacement physique pour ré-assurer Israël. C’est un marqueur très fort. 

Anne Toulouse : Cette visite a un caractère exceptionnel dans la mesure où il est rare qu'un président annonce son arrivée dans une zone de guerre en pleine activité. Elle témoigne de l'inquiétude grandissante des Etats-Unis. Officiellement il vient témoigner du soutien des Etats-unis à Israël et plus concrètement il va participer à des négociations avec les dirigeants de la région pour endiguer un éventuel élargissement du conflit.  Joe Biden va tenter de trouver une solution à deux crises humanitaires, celle des otages enlevés par le Hamas et celle de la population de Gaza. 

Que vient dire Joe Biden ? Quels sont les enjeux ?

David Rigoulet-Roze : Le président des Etats-Unis est là pour restaurer une forme de dissuasion mise à mal par l'attaque du Hamas. D’où l’envoie de deux porte-avions. Ce sont de véritables "armées flottantes" dotées d'une force de frappe redoutable avec les escadrons d'aéronefs, leur groupe aéronaval comprenant croiseurs, destroyers et sous-marins nucléaires. Selon l'adage romain : si vis pacem, para bellum. Par conséquent, si l'on veut éviter une escalade régionale, il faut être dissuasif. 

Les Américains peuvent parallèlement demander, ce qui est aussi dans l’intérêt d’Israël, d’intégrer la problématique humanitaire des pertes civiles potentielles. Mais ils ne peuvent en aucun cas pas demander à Israël de renoncer à l’opération militaire. 

Anne Toulouse : Joe Biden s'est toujours prévalu de son expérience en politique internationale et c'est certainement son point fort, alors que l'opinion publique américaine juge sévèrement son action dans le domaine de l'économie et de la sécurité intérieure. Il est en campagne électorale , c'est un atout de montrer qu'il mène une action dynamique, aux avant-postes alors que son âge suscite des doutes jusque dans son parti. Sur le plan international, il est évident que c'est une démonstration de l'influence des Etats-Unis et de son influence personnelle. mais c'est une démonstration qui peut se retourner contre lui si ce voyage n'aboutit pas à des résultats concrets.

Quelle stratégie géopolitique ? Quels sont les intérêts US ? 

David Rigoulet-Roze : C’est une stratégie de réplique. Il faut assurer Israël d’un soutien indéfectible. On peut rappeler que Israël a été intégré au CENTCOM (commandement central américain) en avril 2021. L’Etat hébreu est intégré à l'architecture militaire du commandement régional américain. Donc il bénéficie aussi de sa couverture. Pour les Américains, c’est évidemment un allié privilégié dans la région. 

Pour Israël, il y a aujourd'hui un risque de conflit "multi-fronts". Les responsables militaires et politiques israéliens l'avaient d'ailleurs théorisé par anticipation. La nouveauté géopolitique pour Israël, c’est d’être confronté à la possibilité d'une guerre "multi-fronts" plus ou moins asymétrique : à Gaza, avec le Hezbollah au Liban, avec les groupes pro-iraniens en Syrie comme les milices chiites afghanes et/ou pakistanaises Fatimiyoun ou Zeynabiyoun, des groupes armés qui se développent en Cisjordanie, voir les Arabes israéliens (Palestiniens de nationalité israélienne que le chef de la branche armé de Hamas, Mohammed Deif, a appelé à rejoindre la lutte armée… C’est une dynamique qui pourrait être soutenue par des opinions arabes disjointes de leurs gouvernements.

Le gouvernement libanais apparaît comme un cas un peu particulier car il est totalement tributaire de la stratégie du Hezbollah qui dispose d'une quasi-armée qui serait dotée de quelque 100 000 missiles et roquettes. Or, son agenda est indexé sur celui des Iraniens puisque le Hezbollah est une création directe de l’Iran. 

Que peuvent (et veulent...) vraiment les Etats-Unis et la diplomatie internationale face au conflit israélo-palestinien ?

Général François Chauvancy : Aujourd’hui comme hier, la diplomatie internationale peut tenter d’user de son influence sur Israël mais avec des effets sans doute limités au seul domaine humanitaire. Israël a montré depuis de nombreuses années qu’elle n’entendait pas voir ses actions entravées par la communauté internationale comme en témoigne la politique israélienne en Cisjordanie.

Les Etats-Unis en revanche ont toujours été un soutien et un allié important d’Israël avec cependant l’exaspération croissante des présidents démocrates que ce soit Barack Obama ou Joe Biden face à l’intransigeance israélienne dans ses rapports avec l’Autorité palestinienne. Cela n’a pas empêché que les Etats-Unis faisant suite à un engagement de Barack Obama accordent une aide militaire annuelle de 3,8 milliards de dollars à Israël. Cependant, dans le contexte actuel, les Etats-Unis sont contraints d’intervenir. D’une part des ressortissants américains ont été tués (27), un nombre imprécis d’américains a été pris en otage par le Hamas, des humanitaires enfin sont dans l’incapacité de quitter les zones de combat D’autre part les Etats-Unis ne veulent pas que le conflit s’étende et affichent leur soutien non seulement par un déploiement aéronaval mais aussi par la livraison notamment de munitions d’artillerie.

De combien de forces (porte-avions, unités spéciales etc) disposent les américains dans cette zone ?

Général François Chauvancy : Le président Biden ne se déplace pas dans cette zone en guerre sans avoir à sa disposition l’expression de la puissance militaire des Etats-Unis. Elle est constituée de deux groupes aéronavals comprenant chacun un porte- avions, soit un total d’environ 150 avions, des navires d’accompagnement qui assurent la protection des groupes aéronavals mais aussi donnent des capacités de renseignement, de frappes à distance par missiles.

Une capacité d’action à terre pourra être procurée par le 26 e MEU (Marine Expeditionary Unit), soit environ 2400 hommes, prépositionnés, ayant fini un stage de 9 mois de formation aux opérations spéciales. Celles-ci pourraient comprendre l’évacuation des ressortissants, l’exfiltration des otages s’ils sont localisés par les services de renseignement, sinon s’emparer ou éliminer des responsables du Hamas, « cibles à haute valeur ajoutée » mais ce serait alors des opérations appelant des compétences particulières que les Navy Seals pourraient procurer. Il ne faut pas négliger non plus les forces américaines prépositionnées

notamment face à l’Iran dans la péninsule arabique. La Ve flotte US a son quartier général installé à Bahreïn. Le Qatar accueille une base aérienne comprenant près de 100 avions de combat à Al Udeid et une partie du commandement central des forces américaines (CENTCOM) spécialisé sur le Moyen-Orient ainsi que le plus grand dépôt d’armes américaines du monde hors du territoire des Etats-Unis. Le général Michael Kurilla, commandant le CENTCOM, est arrivé à Tel Aviv le 16 octobre pour mener des réunions de haut niveau avec les dirigeants militaires israéliens afin de bien comprendre les besoins d’Israël en matière de défense, préciser les efforts des États-Unis pour éviter l’expansion du conflit et réitérer le soutien indéfectible des Etats-Unis à Israël dans le domaine militaire.

Enfin, les Etats-Unis ont re-déployé des avions de combat F15 en Jordanie, pays dans lequel devrait se rendre Joe Biden après Israël et des A10, des avions de combat qualifiés de « tueurs de chars ».

Les Etats-Unis ont décidé de l'envoi d’un deuxième porte-avions au large d’Israël ? Est-ce une manœuvre d’intimidation? A quoi sert-elle?

Général François Chauvancy : Le déploiement des forces américaines en Méditerranée, et notamment de deux des onze porte-avions américains, peut être interprétée d’une part comme une action de dissuasion plus que d’intimidation, d’autre part comme une force d’appui direct aux forces israéliennes en cas de besoin.

Une telle force aéronavale est un message clair qui doit dissuader tout acteur régional ou plus lointain comme l’Iran de profiter de l’engagement d’une grande partie des forces israéliennes dans la bande de Gaza pour tenter de déstabiliser sinon d’agresser Israël. En effet, le front Nord comprend une milice bien entraînée qu’est le Hezbollah au Liban mais

aussi la Syrie, deux acteurs régionaux soutenus et financés par l’Iran, sans négliger la présence russe en Syrie. Cette capacité de nuisance peut entraver la liberté de manœuvre des Israéliens dans leur opération au Sud en immobilisant des unités qui, si l’opération terrestre durait, serait nécessaire pour éradiquer le Hamas.

Outre ce message dissuasif, le déploiement des forces américaines affiche aussi l’engagement total des Etats-Unis aux côtés des Israéliens en appui de l’offensive à venir. Cet appui potentiel notamment aérien a un objectif politique mais aussi militaire en donnant à Israël la garantie d’une action forte d’un allié en cas d’une escalade de ce conflit.

Cette visite du président américain ne risque-t-elle pas de provoquer la colère de l’Iran ? 

David Rigoulet-Roze : Joe Biden est justement là pour montrer à l’Iran qu’il soutiendra Israël en toutes circonstances. C’est un message qui s’adresse particulièrement à l’Iran qu’il a mis en garde contre toute velléité d’escalade.

L’Iran a une stratégie très subtile et très élaborée de déstabilisation de la région. Son objectif est notamment d’hypothéquer tout rapprochement, toute normalisation, de pays arabes, et tout particulièrement de l’Arabie Saoudite, avec Israël. D’ailleurs l’Arabie Saoudite a officiellement suspendu le processus de normalisation qui était en cours avec Israël. Il n’a cependant pas été annulé. La nuance est importante. Ce qui signifie que Mohammed Ben Salmane, le prince héritier d’Arabie Saoudite, a sans doute estimé que les Iraniens avaient tendu un piège aux Etats arabes engagés de ce processus de normalisation. Les Iraniens veulent les mettre au pied du mur, les obliger à soutenir la cause palestinienne et donc, implicitement, à cautionner ce qui est présenté par le Hamas comme une résistance à Israël. Les Etats arabes sont obligés de tenir compte de leurs opinions respectives. Ils marchent sur une ligne de faîte alors même qu’ils sont sans doute convaincus de la nécessité de cette normalisation. 

C’est un piège redoutable qui leur est tendu. Ils ne peuvent pas se soustraire à une défense ostensible de la cause palestinienne quelles que soient les modalités qu’elle a prises avec l’attaque du Hamas. Sinon, ils risqueraient de se retrouver accusés de trahison. C’est là-dessus que joue Téhéran.

La déstabilisation de la région peut encore s’amplifier ? Que pensent les Jordaniens et les Égyptiens ? 

David Rigoulet-Roze : Amman et le Caire ne sont pas dans une situation très confortable. L’Egypte et la Jordanie ont peur d’une nouvelle vague de réfugiés. C’est pour cette raison que les Jordaniens et Égyptiens considèrent que les Gazaouis devaient rester à Gaza. Il faut se souvenir de "Septembre noir" en Jordanie. lorsque le royaume hachémite du roi Hussein de Jordanie déclencha en septembre 1970 des opérations militaires contre les fedayins de L'OLP de Yasser Arafat pour restaurer l'autorité de la monarchie dans le pays à la suite d'une tentative palestinienne de renverser la monarchie hachémite, L’Egypte ne veut pas non plus les accueillir dans le Sinaï où il y a déjà une excroissance de l’Etat islamique sous le nom franchisé de Wilayat Sinaï. Les Egyptiens n’ont certainement pas envie d’avoir un million de réfugiés parmi lesquels se glisseraient potentiellement des membres du Hamas, relevant de la mouvance des "frères musulmans" pourchassée en Egypte même. Pour les Etats arabes, cette situation relève d'une certaine manière d'un cauchemar géopolitique.

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