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Bercy assiégé par les manifs : pourquoi le patronat commence à se dire qu'il faut sauver le soldat Moscovici
©DR

À la rescousse

Bonnets rouges, routiers, pigeons, agriculteurs... La France va voir défiler ce week-end tous les mécontents de la politique menée par le ministère de l'Economie. Si Pierre Moscovici est accusé de tous les maux, il fait surtout figure de fusible facile pour le gouvernement.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Week-end à haut risque pour le gouvernement, mais plus encore pour Pierre Moscovici, le ministre de l'Economie. La colère se cristallise sur la question fiscale, le patron de Bercy va être la cible de la majorité des manifestants. Sans parler de beaucoup de membres du gouvernement - à commencer par le Première ministre - qui vont se frotter les mains de le voir ainsi obligé d'affronter le mécontentement.

Personne n’est dupe. Ceux qui sont visés, ce sont le président et le Premier ministre. Mais le ministre de l’Economie pourrait faire le fusible idéal. Ils ont tort. Pierre Moscovici n’est pas responsable de tous les problèmes de ce pays et à en faire ainsi un bouc émissaire, ceux qui l’assiègent vont en faire une victime.

Il y a beaucoup de gens qui feraient volontiers la grève de l’impôt dans ce pays, mais parmi eux, il y en a aussi pas mal pour penser désormais qu'il faut peut-être sauver le soldat Mosco. 

Les manifestations de ce samedi vont rassembler en Bretagne sur le site du festival musical des Vieilles Charrues, à Carhaix, principalement des bonnets rouges qui réclament la suppression de l’écotaxe, mais au-delà ils vont agglomérer autour de leur mouvement tout ce que la France compte de mécontents contre l’impôts, les charges sociales, le poids de l’Etat, l’inefficacité de la dépense publique, l’impossibilité d’entreprendre et de générer de la valeur qui ne soit pas immédiatement confisquée etc.

On va voir défiler dans la France entière les bonnets rouges, les chauffeurs poids-lourd, les pigeons et les poussins, les tondus et les agriculteurs, sans parler de ceux qui voudraient faire des heures sup ou travailler le dimanche. Bref, une grande majorité de la France qui pense que la croissance est le résultat du travail de chacun, et qui voudrait prendre des initiatives et développer des activités. C’est un peu la France active mais empêchée qui va montrer sa colère contre un Etat paralysée par les obligations de dépenses publiques et sociales.

Ce mouvement sera qualifié de conservateur ou de protectionniste par d’autres. Lesquels vont eux aussi manifester le dimanche sous la baguette du chef du Front de gauche. Ceux-là vont marcher sur Bercy pour protester contre la politique fiscale qu'ils considèrent injuste. Ils vont dénoncer en vrac, la hausse prochaine de la TVA, la répartition inégalitaire de l’impôt. Jean-Luc Mélenchon rêve d’une révolution fiscale, d’où sa marche sur Bercy, comme autrefois des manants du roi auraient marché sur le château.

A priori, du côté de l’Elysée, on était pas mécontent que les deux manifestations ne coagulent pas. On se passera bien d’une telle synergie. Pour la gouvernance, le mouvement des bonnets rouges est en fin de cycle.

François Hollande a certes dit à ses collaborateurs plusieurs fois qu'il fallait savoir comprendre ce mouvement mais il n’a pas encore exprimé clairement ce qu'il y voyait, hormis la nécessite de renvoyer à plus tard l’écotaxe. Ce qui rend furieux tous ceux qui attendaient le commencement d’une fiscalité qui incite au changement de comportement. Mais visiblement, ce n’est plus prioritaire.

La marche organisée dimanche par Jean-Luc Mélenchon les préoccupe davantage. D’abord parce qu'elle réunit un courant de gauche dont la majorité présidentielle a besoin pour appuyer son combat. Ensuite parce que le Front de gauche a beaucoup de sympathisants chez les Verts et dans les municipalités. Enfin parce qu'ils ont quantités de relais dans la société française, dans les syndicats, les mutuelles, les associations de quartiers et qu'ils véhiculent un discours très critique à l’encontre de François Hollande lui reprochant purement et simplement d’avoir trahi ses engagements.

Et si la trahison c’est la soumission aux marchés, le bras armé, c’est Bercy et la direction du trésor, donc c’est Pierre Moscovici.

Et depuis plus de six mois, Pierre Moscovici en prend plein la tête. L’attaque en règle étant relayée par ses collègues de Bercy qui ne l’aiment guère, puis par Matignon et parfois l’Elysée. Pas mécontents de détourner ainsi les critiques.

Pierre Moscovici a été accusé de tous les maux, de tous les défauts. Celui de ne pas travailler assez, de préférer la terrasse du Flore à celle de son bureau. On lui a aussi reproché de ne pas être assez présent pour défendre la loi de finances, de ne pas savoir gérer Bercy et pour tout dire d’être un frein à la mise en œuvre de la politique du gouvernement. On lui aurait fait un procès en sorcellerie que ça n’aurait pas été pire.

La relation a explosé la semaine dernière quand Matignon a sorti, sans prévenir Bercy, son plan de mise à plat de la fiscalité française. La relation a explosé quand Jean-Marc Ayrault a organisé avec les partenaires sociaux un chantier de réforme de l’impôt. Comme si c’était la vocation première des syndicats, de réformer le code fiscal. L’opération a fait rire la France entière sauf Pierre Moscovici, humilié. Le ministre de l’Economie est parti à Pékin, en ayant beaucoup de mal à convaincre ses interlocuteurs chinois qu'il allait très bien.

Pour couronnera le tout, l’Elysée et Matignon s’étaient mis dans la tête de changer les principales directions du ministère de l’Economie, le trésor et le budget sous le prétexte que Bercy était devenu incontrôlable. Pierre Moscovici a dû, une fois de plus avaler son chapeau non sans soutenir ses collaborateurs. Le directeur du budget va partir. Celui du trésor Ramon Fernandez est en sursis mais ne se fait guère d’illusions. Il sait très bien que personne n’est irremplaçable même si c’est lui qui aujourd'hui gère la dette française et nous trouve chaque mois de l’argent pas cher pour faire les fins de mois de l’Etat. Le problème pour Jean-Marc Ayrault c’est que l’oiseau rare et de gauche qu'il avait trouvé pour mettre à la direction du trésor n’était pas très chaud à l’idée de quitter son job de directeur délégué de BNP Paribas, (avec le salaire, les stocks options et les retraites-chapeaux) pour se retrouver haut fonctionnaire.

Il a déjà donné. Il a d’ ailleurs cette semaine profité d’une invitation à parler devant les cadres de Groupama pour dire ce qu'il pensait de la politique économique française. Ça n’a pas été triste et c’est difficilement compatible avec la fonction de directeur du trésor dans le cadre politique actuel. On comptait un peu sur lui pour faire le ménage à Bercy. Va falloir faire tourner à nouveau le logiciel pour découvrir quel qu’un d'autre.

Cela dit, les initiatives du Première ministre n’avaient qu'un intérêt : détourner l’attention et désigner un coupable, responsable de la faillite politique qui se lit tous les jours dans les sondages. Le coupable, c’est le locataire de Bercy qui a l’outrecuidance d’accorder sa confiance à des gens qui avait été nommées du temps de Sarkozy. Les chœurs menés par Jean-Luc Mélenchon vont donc pouvoir continuer à demander la tête de Moscovici puisque c'est un allié du grand capital.

Le problème dans cette affaire est qu'on s’aperçoit maintenant que Pierre Moscovici occupe un espace politique, avec une pratique et une expertise responsable dont on a besoin. Il n'y a pas dans le personnel socialiste beaucoup de cadres capables de reprendre le rôle. Depuis dix jours, le monde des affaires, des grands patrons du Cac 40 et des chefs d’entreprise plus modestes ont multiplié les avertissements à François Hollande en essayant de lui faire comprendre qu'il ne fallait pas forcement déstabiliser Pierre Moscovici.

A Bruxelles, la Commission dans son ensemble et le Conseil de l’éco-fin n’ont pas hésité à défendre le ministre français. Du côté d’Angela Merkel, on considère que Pierre Moscovici a toujours été un interlocuteur loyal et compètent. Quant aux marchés, des fonds d’investissement aux grandes banques européennes en passant par la Banque centrale de Mario Draghi, on n’hésite pas à dire que le ministre de l’Economie offre une garantie de sérieux dans un classe politique française largement contaminée par la démagogie.

Et c’est vrai que sur la plupart des grands dossiers, Pierre Moscovici a défendu des options plutôt courageuses dans le contexte politique actuel. Sur le rééquilibrage budgétaire, il est de ceux qui prônaient une action plus forte sur la baisse des dépenses publiques, sur les impôts, il n’est pas loin de penser que la réforme passera par l’augmentation de la TVA. Si on veut retrouver de la compétitivité sur les salaires, il faudra forcement faire payer le consommateur. Sur l’entreprise, mieux vaudrait selon lui se préoccuper des jeunes pousses plutôt que des vieux chênes qui meurent. Sur l’affaire des retraites chapeaux, il connait trop bien l’entreprise et ce qu'elle pratique, qu'il ne voulait pas crier avec les loups. Il a donc fait le minimum syndical en espérant que ce tapage ne précipite pas des comités de direction à Londres ou à Amsterdam.   

Le problème de Moscovici est qu’il n’est pas écouté par le gouvernement. Le président qui a l’humour basique dit qu’il n’est pas audible. C’est sans doute pourquoi sur la question du travail le dimanche, Pierre Moscovici a pris soin de préciser dès vendredi dernier qu'il était favorable à un assouplissement, à une liberté. Il sait que le rapport Bailly sera rendu public lundi et il sait comme d’autres que les conclusions n’iront pas très loin, à la demande de Jean-Marc Ayrault qui a cherché à enterrer ce dossier. Pierre Moscovici a pris date, il n’est pas d’accord avec la non-décision qui sera prise.

On pourrait évidemment allonger cet inventaire à la Prévert, mais ça ne changera rien. Tous ces facteurs qui sont désormais mis en évidence par tous ceux qui voudraient sauver le soldat Moscovici seront utilisés par tous ceux qui à gauche ou à l’extrême droite ne veulent pas d’une politique économique plus libérale.

A droite comme à gauche, l’extrême droite comme à l’extrême gauche, le vent souffle vers plus de nationalisme économique, de protectionnisme et de régulation. Alors que tous les pays qui sont sortis de la crise sont des pays qui ont dérégulé et se sont ouverts sur l’étranger.

Pierre Moscovici le sait bien. Mais il sait aussi que les principaux freins au changement se cachent au sein même du gouvernement. Il a déjà peu d’alliés dans l’équipe ministérielle de Bercy, il ne peut évidemment pas compter, ni sur Benoist Hamon (très proche du Front de gauche) ni sur Arnaud Montebourg (qui est ailleurs), il a peu d’alliés au sein du gouvernement. Laurent Fabius est sur la même ligne éditoriale que lui, mais il ne s’exprimera pas sur la politique économique. Manuel Valls partage la même ambition social-démocrate, mais il roule pour lui. Michel Sapin est formaté comme un social-démocrate, libéral moderne, mais il est d’une loyauté totale envers le président. Les autres, presque tous les autres considèrent que Bercy les empêche de réaliser leurs projets. C’est sûrement vrai. C’est bien pourquoi il est autant assiégé.

L’affrontement des hommes est évident. Celui des projets l’est tout autant. François Hollande n’a jamais pu choisir.   

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