Belgique : un guide d’éducation affective et sexuelle provoque du grabuge<!-- --> | Atlantico.fr
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De nombreux parents peuvent avoir des questionnements légitimes sur ce guide.
De nombreux parents peuvent avoir des questionnements légitimes sur ce guide.
©MARTIN BUREAU / AFP

Polémique

Le vote à quasi l’unanimité au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles du « Guide d’éducation affective et sexuelle » (EVRAS) à l’attention des éducateurs de l’enseignement francophone (primaire et secondaire) fait de nouveau couler beaucoup d’encre en Belgique. Certaines écoles ont même été vandalisées par des opposants…

Nicolas de Pape

Nicolas de Pape

Nicolas de Pape est journaliste belge.

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Le vote à quasi l’unanimité au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles du « Guide d’éducation affective et sexuelle » (EVRAS) à l’attention des éducateurs de l’enseignement francophone (primaire et secondaire) fait de nouveau couler beaucoup d’encre en Belgique. Certaines écoles ont même été vandalisées par des opposants…

Mais présenter les opposants à l’EVRAS comme des obscurantistes religieux face au progrès laïque comme le fait, notamment, la RTBF (Radio-télévision belge francophone) n’est pas particulièrement adéquat. De nombreux parents peuvent avoir des questionnements légitimes sur ce guide.

Car, rappelons tout de même que dans sa première mouture 2022, l’EVRAS estimait normaux les sextos (textos à caractère sexuel) et les « nudes » dès l’âge de 9 ans « avec le consentement de l’enfant ». Comme si un être de 9 ans pouvait avoir un libre-arbitre en la matière. Le gosse eût-il envoyé de son propre gré un « nudes » à un homme de 60 ans et cet articulet de l’EVRAS relevait tout simplement du droit pénal… Ni la ministre de tutelle ni son cabinet ni son administration n’y a vu quoi que ce soit de répréhensibles.

Sextos et nudes ont été entre-temps supprimés. Cependant, dans sa version 2023, l’EVRAS contient encore de nombreux points litigieux. Ce qui est sûr c’est qu’entre les lignes, on sent poindre l’idéologie WOKE, la révolution culturelle très tendance des « Eveillés » à propos de laquelle l’universitaire français Jean-François Braunstein (La religion Woke, Grasset) a dit l’essentiel. A savoir (extraits de l’introduction) que « venue des universités américaines, la religion woke, la religion des « éveillés », emporte tout sur son passage : universités, écoles et lycées, entreprises, médias et culture. Au nom de la lutte contre les discriminations, elle enseigne des vérités pour le moins inédites. La « théorie du genre » professe que sexe et corps n’existent pas et que seule compte la conscience. L’« épistémologie du point de vue » soutient que tout savoir est « situé » et qu’il n’y a pas de science objective, même pas les sciences dures. Le but des wokes : « déconstruire » tout l’héritage culturel et scientifique d’un Occident accusé d’être « systémiquement » sexiste, raciste et colonialiste (…) L’enthousiasme qui anime les wokes évoque bien plus les « réveils » religieux protestants américains que la philosophie française des années 70. »

En effet, plutôt que pointer tel ou tel conspirationniste, comme le fait RTBF.be, il suffit en définitive de revenir au texte original de l’EVRAS. Voici ce qu’il postule (parmi d’autres) dans sa version amendée de 2023, rédigé dans une écriture inclusive assez pesante avec, partout, l’utilisation du pronom IEL, en précisant que le propos est « non hétéro-normatif* ».

Par exemple, que dès 5-8 ans, il faut « prendre conscience que l’identité de genre peut être identique ou différente de celle assignée à la naissance » et connaître « la différence entre identité de genre et sexe biologique ».

Dès 5-8 ans, il faut « consolider sa propre identité de genre car il y a une prise de conscience des attentes liées aux stéréotypes. Certains jouets ne seraient pas attribués au genre féminin ou masculin ». Dès 9-11 ans, l’enfant devrait jongler avec le jargon suivant : cisgenre, transgenre, homme, femme, non-binaire, agenre, genre fluide, genre non binaire, lesbienne, gay, bisexuel·le, asexuel·le, pansexuel·le. Le pré-adolescent devrait prendre conscience « qu’il existe dans la société de l’homophobie, de la lesbophobie, de la biphobie, de la transphobie, du sexisme, de l’intersexophobie, et de l’acephobie ».

Le Premier ministre belge Alexander De Croo (libéral de centre-droit) s’est porté au secours de la Wallonie. « On vit dans un pays où il y a de la tolérance, où le débat existe et où on peut avoir des points de vue différents », a-t-il précisé. Mais il a prévenu que tous ceux qui « désinforment » sur l’EVRAS pourraient avoir à faire avec la Computer Crime Unit de la Police Fédérale qui prendra des actions. Craignait-on un terrorisme intérieur du genre de l’assaut du Capitole ?

En tant qu’agnostique laïque, je pense qu’il faut avoir la plus grande empathie pour la dysphorie de genre qui peut se déclarer très jeune. Mais pour une personne trans sur 140.000, faut-il désorienter l’ensemble des écoliers ? Il serait plus judicieux de prendre en charge les enfants différents et les aider à accepter leur orientation sexuelle dans des structures idoines.

On peut donc comprendre l’émoi du directeur de LN24 (principale chaîne d’info en continu), Emmanuel Tourpe, face à cette dialectique néo-progressiste, même si elle n’est qu’indirectement proposée à l’usage des écoliers. De nombreuses cartes blanches sont d’ailleurs parues dans un passé récent, émettant de fermes réserves contre le Guide. Les autorités de tutelle les ont écartées d’un revers de main. Des pédo-psychiatres ont averti du risque d’hyper-sexualisation de l’enfant que contient le Guide EVRAS en filigrane et du non-respect du temps de « latence » propre à l’enfance : « Le guide ne propose pas quelques balises, comme il le prétend ; il défend une vision idéologique de l’éducation sexuelle et affective, où chaque enfant jongle avec son genre et sa sexualité, selon son bon désir, pour peu qu’il y ait consentement mutuel entre partenaires (à partir de 9 ans…) ». En juillet 2022, en marge de l’EVRAS, le Pr Alain Eraly, professeur émérite de sociologie à l’ULB, temple du libre-examen et de la laïcité, se demandait, dans La Libre Belgique, entouré d’un collectif de pédopsychiatres dont le Pr Hayez : «  Est-il justifié et souhaitable de conférer à des enfants et à des adolescents le droit, à partir de leur seul “ressenti”, de changer de genre ? N'instrumentalise-t-on pas le jeune en brandissant envers et contre tout le spectre d'une conviction intime réprimée ? (...) Quelle est la part d'autonomie propre et la part d'influence et de pression des jeunes entre eux dans la formation de cette conviction intime? »

On ne retrouve pas suffisamment ce type de réserves dans l’EVRAS. Peut-être en raison de l’absence de médecins cliniciens impliqués dans la rédaction du guide, absence qui a interpellé  le député Mouvement Réformateur (centre-droit) Nicolas Janssen. On retrouve par contre, à la plume, des émanations de milieux associatifs dont on connaît la force militante.

On pourrait bien sûr gloser sur le fait que 2 x 2 heures d’éducation à la vie sexuelle et affective dans toute une vie d’écolier (c’est ce qui est prévu), c’est peu de chose. Nonobstant, sans qu’on sache si l’EVRAS est un « one shot » ou une étape, rappelons que l’école belge francophone obtient des scores catastrophiques aux enquêtes PISA depuis des décennies. Elle devrait se concentrer en priorité sur les savoirs de base.

*Une approche non-hétéro-normative a pour principe de ne pas considérer le fait d’être hétérosexuel comme étant la norme, allant de soi, comme la référence par défaut et de marginaliser tout ce qui en sort.

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