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Batailles de Mossoul et d’Alep : la question à 1 000 dollars sur ce que pourraient être l’Irak et la Syrie d’après
©REUTERS / Ammar Abdullah

Et après ?

Alors que le régime de Bachar el-Assad resserre son étau avec l'aide de la Russie contre les quartiers rebelles d'Alep et que l'Occident a déclenché le lancement de l'assaut sur Mossoul (aux mains de l'Etat Islamique), l'une des questions centrales de ce conflit est maintenant de savoir ce qu'il adviendra du territoire de la Syrie et de l'Irak, tant pour leurs frontières que pour l'intérieur des terres.

Frédéric Encel

Frédéric Encel

Frédéric Encel est Docteur HDR en géopolitique, maître de conférences à Sciences-Po Paris, Grand prix de la Société de Géographie et membre du Comité de rédaction d'Hérodote. Il a fondé et anime chaque année les Rencontres internationales géopolitiques de Trouville-sur-Mer. Frédéric Encel est l'auteur des Voies de la puissance chez Odile Jacob pour lequel il reçoit le prix du livre géopolitique 2022 et le Prix Histoire-Géographie de l’Académie des Sciences morales et politiques en 2023.

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Atlantico : Alors que l'Occident et ses alliés préparent l'attaque imminente de la ville irakienne de Mossoul, actuellement occupée par l'Etat Islamique, et que le régime syrien et la Russie attaquent, eux, la ville syrienne d'Alep, partiellement occupée par les rebelles, quelles conséquences peut-on attendre d'une potentielle victoire de ces deux grands pôles dans ces deux villes respectives ? Si la guerre cessait, qu'adviendrait-il des frontières de l'Irak et de la Syrie ? Cette question n'est-elle pas prioritaire à toute autre, le combat a-t-il lui-même un sens avant d'en avoir défini l’objectif ? 

Frédéric Encel : Deux questions essentielles en une. A la première, je vous dirais d'abord que ce que vous appelez les deux pôles - l'alliance Russie/Assad/Iran/Hezbollah à Alep, et la coalition internationale anti-Daesh à Mossoul - sont absolument certains de l'emporter. Militairement, de part et d'autre, le rapport de force est largement à leur avantage respectif. Ensuite, le vrai problème de fond est le suivant, qui dépasse de loin les questions tactiques de coalition et d'emploi de tel armement ici ou là : une fois de plus, le monde arabe se retrouvera non seulement affaibli, morcelé, mais désespérément impuissant face à ses voisins, amis, alliés, ennemis ou anciens dominateurs. A Mossoul et de façon générale face aux barbares de l'Etat islamique, qui donc s'est battu vaillamment et avec efficacité jusqu'à présent ? Les Kurdes. Et à présent, qui donc va permettre la victoire de la coalition hétéroclite contre Daesh ? Les aviations, quasi-exclusivement occidentales, américaine et française notamment. En Syrie, qui a d'ores et déjà assuré le maintien au pouvoir (que j'annonçais et affirmais voilà déjà cinq ans et sans discontinuer depuis !) de Bachar el-Assad ? L'Iran et la Russie. Et comme toujours, à la fin des fins, qui proposera - ou imposera - une nouvelle stabilité régionale ? Les grandes puissances mondiales (au Conseil de sécurité) et locales (Iran, Turquie, et même sans rapport direct Israël) dont absolument aucune n'est arabe... De cette réalité d'impuissance pérenne et même de chaos, les populations arabes sont exaspérées mais n'y peuvent rien.     

A la seconde question, je répondrais que les frontières originelles de la Syrie et de l'Irak, en aucun cas sacrées, étaient de toute façon déjà largement plus que virtuelles depuis plusieurs années ; nord-syrien aux mains des Kurdes, est-syrien à celles de Daesh aujourd'hui, sans doute de tribus sunnites demain. Quant à l'Etat irakien, créé artificiellement en 1931-1932 par les Britanniques, la guerre de libération du Koweït en 1991 l'avait déjà affaibli et celle de 2003 ébranlé définitivement ; le Kurdistan est de facto indépendant, et jamais les chiites majoritaires (sud) n'accepteront de retomber sous la férule des sunnites. Ces Etats, dans les frontières initiales, ont vécu.

Pour ce qui est de la situation irakienne et la cohabitation entre chiites et sunnites, on ne peut pas contraindre des collectifs à vivre ensemble et dans des statuts politiques qu'ils dénient. Si Daesh n'a pas été vaincu avant (et ne le sera pas avant de longs mois), c'est bien parce que les Kurdes non arabes, les chiites non sunnites, les bédouins non citadins n'avaient que peu d'appétence à aller "libérer" une Mossoul qui n'intégraient pas leurs collectif respectif, et qu'aller mourir pour Mossoul ne les intéressait pas beaucoup. 

Au-delà, je pense qu'en Syrie et en Irak, sunnites et chiites vivront vraisemblablement plus séparés qu'au cours des décennies passées, tant l'instrumentalisation par l'Arabie saoudite et l'Iran du religieux au profit du politique aura été grande.

Dans ce conflit, le rôle de la Turquie en particulier a été beaucoup commenté, entre opposition officielle au régime de Bachar el-Assad et à l'Etat Islamique, soupçons de soutien masqué aux djihadistes et affrontements féroces avec les kurdes. Si le conflit s'arrêtait demain avec les "prises" de Mossoul et d'Alep, quelle serait la situation des frontières turco-syrienne et turco-irakienne ?

En premier lieu, le soutien turc à l'Etat Islamique n'a pas été "masqué" mais bel et bien manifeste ! Deux années durant, la longue frontière turco-irakienne et turco-syrienne fut poreuse aux combattants de Daesh et à leurs trafics, notamment de pétrole, de drogue, de cigarettes, d'armes légères. En second lieu, l'hostilité compulsive du président turc Erdogan à l'encontre d'Assad est fort récente ; jusqu'en 2011, il le qualifiait d'ami et d'allié, supprimait les visas pour les Syriens, menait des manoeuvres militaires communes ! Enfin et surtout, le pouvoir turc est obnubilé par la montée en puissance des Kurdes. C'est sa hantise, son cauchemar, et la boussole de presque toutes ses politiques moyen-orientales. Daesh n'est devenu également ennemi que lorsqu'il s'est mis à frapper le sol turc... 

J'ajoute que sur le terrain comme dans sa rhétorique virulente et complotiste, la Turquie se comporte comme si elle n'était plus dans l'Alliance atlantique. Un jour ou l'autre, il faudra bien trancher.

Alors que l'attention des médias, des dirigeants politiques et des militaires semble être totalement focalisée sur les affrontements militaires en cours, la question de l'après-guerre a-t-elle été suffisamment pensée selon vous ?

Non. Sans doute devrait-on tenter de tracer des perspectives régionales solides avant de libérer Mossoul, mais pour l'heure c'est la nouvelle Guerre froide qui préoccupe et anime les grandes puissances. Et les voisins, Turquie, Iran et Israël, sont-ils forcément mécontents de voir les anciennes puissances régionales syrienne et irakienne définitivement inoffensives ? Pas sûr...

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