Barack Obama zappe le sommet de l'Apec… et préfigure un monde où la Chine aura remplacé les Etats-Unis ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Mais où est Kerry ?
Mais où est Kerry ?
©Reuters

La roue tourne

Barack Obama n'a pas pu se rendre au sommet de l'Apec qui se déroulait les 7 et 8 octobre à Djakarta pour cause de shutdown. Une absence dont la Chine aura su profiter pour faire valoir ses intérêts.

Antoine Brunet

Antoine Brunet

Antoine Brunet est économiste et président d’AB Marchés.

Il est l'auteur de La visée hégémonique de la Chine (avec Jean-Paul Guichard, L’Harmattan, 2011).

 

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Sur la photo des dirigeants des pays présents au Sommet de l’Apec, le représentant des Etats-Unis, le Secrétaire d’Etat John Kerry, figure en retrait, essentiellement parce que, du fait de l’épisode du shutdown, les Etats-Unis étaient le seul pays participant à n’être pas représenté par son chef d’Etat. La discrétion s’imposait.

Il demeure que la division et la bipolarisation croissantes qui envahissent la politique intérieure américaine portent de plus en plus gravement atteinte à l’image et à l’influence des Etats-Unis dans le monde. L’incapacité des deux grands partis américains à trouver des compromis valables et durables introduit une paralysie dans la conduite des affaires américaines qui ne peut qu’affaiblir l’influence extérieure des Etats-Unis. Cela n’est pas du tout réjouissant : depuis 2007, nous sommes entrés dans une nouvelle période historique ; grâce en particulier à la crise prolongée qu’elle inflige depuis lors au reste du monde, la Chine opère une montée en puissance géopolitique qui est à la fois formidable et fulgurante. Et ce dans tous les domaines, industriel, commercial, économique, financier, monétaire, technologique, universitaire, diplomatique, militaire, spatial, idéologique…. Pour espérer équilibrer et contenir une telle montée en puissance, il est souhaitable et décisif que les Etats-Unis puissent maintenir leur capacité d’action et de réaction.

On a ainsi trop vite oublié que le sommet Apec de 2012 avait été marqué par un formidable succès diplomatique du tandem "Obama-Hillary Clinton". De l’été 2011 à l’été 2012, M.Hu, l’ancien N°1 chinois, avait revendiqué publiquement et activement la pleine souveraineté sur la mer de Chine du sud (3.500.000 km2 à comparer à 2.500.000 km2 pour la mer Méditerranée). Le tandem avait allumé avec succès toutes sortes de contrefeux, mobilisant des pays comme le Vietnam, les Philippines, le Japon, l’Inde…Pékin avait alors fini par se trouver très isolé dans sa diplomatie asiatique. Tellement isolé qu’il préféra mettre à profit le changement d’équipe politique (de celle de M.Hu à celle de M.Xi) pour opérer un repli tactique sur un dossier qui se retournait en boomerang contre lui. On vérifiait ainsi une fois de plus que face aux immenses appétits géopolitiques que manifeste Pékin, le monde a besoin d’un pôle de résistance qui ne peut venir que de Washington.

Le problème, c’est que, face à Pékin, les Etats-Unis ne sont pas affaiblis par leurs seules divisions internes ; ils sont affaiblis aussi par la dynamique stratégique que Pékin réussit à mettre en oeuvre. Au moment où les Etats-Unis peuvent se féliciter d’avoir contré la Chine sur le dossier majeur de la Mer de Chine du sud, ils se voient atteints par une adversité supplémentaire : depuis début 2013, la Chine a indirectement ouvert une grande crise économique et financière simultanément chez un nombre important de grands pays émergents majeurs (Brésil, Inde, Afrique du sud, Argentine, Turquie, Indonésie, Malaisie….)

De quel genre de crise s’agit-il ? Il s’agit en réalité d’une nouvelle crise de financement extérieur comme en avaient déjà connu ces mêmes pays il y a 20 ans environ.

Ces pays trop confiants en eux ont cherché et atteint une croissance forte en négligeant que cette croissance forte était de plus en plus déséquilibrée et s’accompagnait en particulier d’un déficit commercial manufacturier de plus en plus important à l’égard de la Chine ("Sur-compétitivité coût salarial horaire" de la Chine non seulement vis-à-vis des pays occidentaux mais également vis-à-vis de tous ces pays émergents).

Cela a conduit tous ces pays à subir un déficit commercial  global de plus en plus considérable. Cela ne s’est pas remarqué immédiatement : entre 2009 et 2012, ces pays reçurent des flux de capitaux considérables des Etats-Unis, du Japon et de l’Europe, tous pays qui tiraient leurs taux d’intérêt très bas pour tenter de sortir de leur propre crise. Le déficit commercial des grands pays émergents était croissant mais il se finançait très facilement, trop facilement…..

Mi-2013, quand les flux de capitaux occidentaux s’essoufflèrent (avec en particulier à compter de mai 2013 la volonté légitime des Etats-Unis et de la Fed de réduire leur recours à la planche à billets), ces pays émergents se sont trouvés simultanément en difficulté financière. Déficit commercial énorme alors que la croissance du PIB avait elle-même été asphyxiée par les déficits commerciaux répétés : les observateurs financiers ne tardèrent pas à donner leur verdict ; ces pays ne méritent plus la confiance des investisseurs privés.

A l’été 2013, "par sa stratégie de billard à bande", la Chine avait fini par inscrire une redoutable configuration économico-financière internationale : une dizaine de grands pays émergents subissaient simultanément une crise de leurs financements extérieurs, une crise de confiance dans la signature de leurs Etats et un risque de basculement brutal en récession…..

Qui pouvait donc leur tendre un filet de sécurité financière ? Les Etats-Unis ? il est impossible d’imaginer qu’ils utilisent leur planche à billets pour financer le déficit commercial du Brésil ou de l’Inde….L’Europe ? la BCE vient de négocier avec la Chine un filet de sécurité financière pour 45 milliards d’euros. Le FMI ? Il n’a plus d’argent, excepté celui que la Chine veut bien lui prêter.

Parce que depuis 15 ans la Chine est de très loin le plus grand pays excédentaire dans ses échanges extérieurs, la Chine est devenue de très loin le plus grand Etat créancier au monde. La même Chine qui a déstabilisé les pays occidentaux et les pays émergents par ses excédents commerciaux colossaux se retrouve incontournable quand il s’agit d’éviter le pire aux pays émergents déstabilisés.

La Chine est en train de capitaliser sa stratégie longue. La domination industrielle et commerciale qu’elle exerce depuis 15 ans sur le monde est sous nos yeux en train de se transformer en une domination financière du reste du monde.

Et cette domination financière s’avère tellement intense qu’elle est susceptible maintenant de surmonter les plus grandes réticences diplomatiques. Ni le Brésil, ni l’Argentine, ni l’Inde, ni l’Indonésie, ni la Malaisie, ni la Turquie n’avaient l’intention de se subordonner à la Chine. La Chine s’impose maintenant à eux.

Quand le Brésil et l’Inde sont sur le point d’accepter un filet de sécurité financière de 45 milliards de dollars de Pékin en leur faveur, ils exposent dangereusement leur souveraineté et mettent le doigt dans une subordination financière à la Chine. Et on a vu au sommet 2013 de l’Apec des pays comme l’Indonésie et la Malaisie tentés de se rapprocher à nouveau de la Chine….

Oui, M. Kerry faisait pâle figure à Djakarta.

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