Bande de myopes : s'abstenir quand l’élection européenne est probablement celle qui a le plus d’impact sur nos vies ?!<!-- --> | Atlantico.fr
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Les européens sont-ils tous myopes ?
Les européens sont-ils tous myopes ?
©Reuters

Recherche de cohérence

Les députés européens n’ont jamais eu autant de pouvoir et dépassent même les députés français sous certains aspects. Pourtant les derniers sondages disponibles tablent sur un taux d'abstention en France aux alentours de 60 %.

Atlantico : L'élection européenne ne parvient pas à motiver l'électorat français, alors que l'enjeu est pourtant réel. Pouvez-vous nous rappeler quels sont les domaines de la vie des Français régis par des lois qui ne se décident absolument plus au niveau national ?

Jean-Sébastien Lefevbre : Énormément. Faire une liste exhaustive est très difficile, tellement les compétences de l’Union européenne touchent à tous les sujets du quotidien.

Le plus symbolique est probablement l’alimentation. La Politique agricole commune existe depuis le début des années 60 et régit l’ensemble de l’agriculture. Une réforme valable jusqu’en 2020 a d’ailleurs été approuvée fin 2013, et ce sont les députés qui seront élus dans quelques semaines qui prépareront la prochaine PAC.

Dans la même veine, la majorité du droit lié à l’environnement provient de l’UE. Ce n’est pas pour rien que les Verts y voient un scrutin clé et sont hyper actifs au Parlement.

La question des gaz de schistes, à savoir, faut-il ou non les exploiter en Europe, se joue en partie à Bruxelles.

Autre point important, tout ce qui est lié au numérique. L’Europe a été secouée par les révélations de Snowden et l’espionnage de la NSA. Or, c’est aussi au niveau européen que ces sujets sont débattus.

Le Parlement et les Etats débattent depuis deux ans et demi d’une réforme du règlement de protection des données personnelles. Les députés ont aussi proposé d’établir un Habeas Corpus numérique.

Ils viennent aussi d’approuver un texte en faveur d’une neutralité du net stricte. Ce point reste encore à être validé par le Conseil de l’UE où sont représentés les gouvernements, mais il s’agit d’un vrai choix de société puisqu’aux Etats-Unis, cette même neutralité du net, est remise en cause.

Enfin, le Parlement européen est aussi là pour ratifier tous les accords commerciaux que signe l’UE. La Commission en négocie actuellement un avec les Etats-Unis, qui pourrait bouleverser les relations entre les deux rives de l’Atlantique.

En n’allant pas voter, les citoyens laissent aux autres choisir pour eux, sur tous ces sujets.

La législature sortante a réussi à renforcer l'importance du Parlement européen parmi les institutions de l'UE. Quels sont les nouveaux pouvoirs qu'a su conquérir – parfois dans l'indifférence de l'opinion publique française – un Parlement que l'on imaginait sans réel impact dans les décisions de l'UE ?  

Les nouveaux pouvoirs du Parlement viennent surtout de la mise en place du traité de Lisbonne depuis cinq ans qui fait de l’hémicycle l’égal des Etats dans la majorité des domaines. Certains lui échappent toujours, comme la fiscalité ou la défense par exemple.

L’influence du Parlement est un combat en cours. Jusqu’en 2009, les Etats avaient l’habitude de se mettre d’accord entre eux. Aujourd’hui, un nouvel acteur vient leur demander de revoir leur position. Ça ne les réjouit pas toujours, loin de là.

Et il est difficile pour les députés de s’imposer, face à 28 gouvernements qui ont déjà du mal à s’accorder entre eux.

Le Parlement est ce que j’appelle une institution en devenir. Elle apprend. Les députés apprennent.

Quand ils négocient un compromis avec les Etats, ce qui arrive très souvent puisque les deux chambres sont rarement d’accord entre elles du premier coup, ils manquent encore parfois d’expertise.

Il est compréhensible qu’un élu ne soit pas aussi spécialisé que les nombreux fonctionnaires européens ou nationaux qui suivent tel ou tel dossier depuis des années.  

Du coup, l’administration du Parlement cherche aussi de son côté à progresser, à développer ses capacités d'analyse, pour pouvoir assister au mieux les députés.

Tout ceci explique aussi l’importance d’avoir à Bruxelles des élus compétents et impliqués dans leur mandat. Pas des personnalités qu’on cherche à recaser ou à envoyer loin de la vie politique nationale.

Quels sont les enjeux spécifiques où le scrutin de 2014, malgré le peu d'enthousiasme qu'il suscite, représente un tournant majeur ? Qu'est-ce qui va se décider avec la chambre qui sortira du scrutin du mois de mai ?

Cela rejoint ma réponse à votre première question. Mais bien d’autres dossiers sont dans les tuyaux de la Commission européenne. La réforme du droit d’auteur par exemple.

Sur un plan politique, c’est aussi la première fois que le Parlement tente de s’affirmer face aux chefs d’Etat et de gouvernement dans le choix du futur président de la Commission européenne. Des candidats ont même été désignés. Les principales formations politiques estiment qu’il devra représenter la couleur de l’hémicycle, ou tout du moins sa tendance. C’est un progrès sur le plan démocratique pour une Union qui a encore de grosses lacunes dans ce domaine. 

L’enjeu sur ce point de la prochaine législature concerne d’ailleurs la zone euro. La crise a démontré que toutes les décisions importantes la concernant se faisaient derrière des portes closes, entre ministres. Est-ce ce que veulent les Européens, ou veulent-ils un Parlement qui "challenge" cette méthode et réclame son mot à dire ?

Pourquoi cette élection n'arrive-t-elle pas à fédérer autour de son importance réelle ? Y a-t-il une maladresse – ou une volonté – de ne pas pleinement affirmer aux yeux des opinions publiques l'importance des enjeux réels du scrutin ? 

Il reste difficile pour la classe politique française, au sens large, de reconnaître que les décisions ne se prennent plus à Paris, mais à Bruxelles.

Surtout que le système européen est à l’opposé du français. en France, le jacobinisme reste omniprésent. Les Français élisent un chef tous les cinq ans, et l’Assemblée nationale qui va avec. Le pouvoir est vertical.

Avec l’UE, c’est radicalement différent. Aucun parti n’est majoritaire au Parlement, la Commission européenne est composée aussi bien de commissaires à gauche qu’à droite, et les centres de pouvoir sont multiples.

Et puis, comment demander aux Français de s’intéresser à un sujet ou des thématiques dont ils n’entendent parler que tous les cinq ans ? Les médias n’y sont pas pour rien là-dedans.

Le désintérêt français est-il également partagé par les autres pays massivement représentés au Parlement ? Les Allemands vont-ils "décider" de ce ce qui se passe dans l'Hexagone à cause du manque d'enthousiasme des Français ?

Les Allemands ne décideront pas pour les Français. Ces derniers seront toujours représentés par 74 députés européens, quoiqu’il arrive. Et les Allemands, 96. Sur un total de 751 députés.

La question est plutôt de savoir si les partis politiques français ont des stratégies d’influence à Bruxelles et Strasbourg.

Pourquoi condamner les Allemands qui font bien le job ? Les députés d’Outre-Rhin restent, s’impliquent dans leur mandat. Si Martin Schulz est aujourd’hui le prétendant des socialistes pour la Commission européenne, ce n’est pas un hasard. Cela fait 20 ans qu’il ratisse le Parlement. De simple député, il est devenu chef de la délégation allemande du SPD, puis chef du groupe social-démocrate et enfin, président de l’institution.

Rien n’interdit aux Français de faire de même. Certains y arrivent et sont même très influents, comme l’UMP Alain Lamassoure, président de la commission des Budgets. Ou la PS Pervenche Bérès sur les questions économiques.

Le Parlement est un lieu politique. Si les Français décident d’envoyer 15 ou 20 élus FN en 2014 au lieu de 3 en 2009, il est logique que l’UMP ou le PS pèsent moins dans leurs formations politiques. Le principe même de la démocratie parlementaire...

Dans le même temps, les Français doivent avoir conscience que si une partie de leurs élus est issue de formations moins adeptes du compromis, ces derniers seront plus ou moins régulièrement marginalisées.

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