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Baccalauréat : contrôle continu ou notation sous contrainte, y a-t-il encore une différence ?
©JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

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La mesure proposée par Jean-Michel Blanquer d'utiliser le contrôle continu pour passer outre la grève des correcteurs a fait bondir les syndicats et interroge quant à sa validité juridique. Pour autant, les professeurs sont-ils encore libres de noter les élèves à leur juste valeur ?

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli est professeur agrégé de lettres, enseignant et essayiste français.

 Il est l'auteur ou le co-auteur d'un grand nombre d'ouvrages parus chez différents éditeurs, notamment  La Fabrique du crétin (Jean-Claude Gawsewitch, 2005) et La société pornographique (Bourin, 2012)

Il possède également un blog : bonnet d'âne

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Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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Atlantico : Face à l'ampleur de la grève des correcteurs du baccalauréat, Jean-Michel Blanquer a décidé d'utiliser les notes de contrôle continu pour compléter les copies de baccalauréat. Certains ont vu dans cette mesure une remise en question "scandaleuse" de l'examen. Pourtant, les consignes de notation n'entravent-elles pas déjà la liberté du correcteur, au point que l'examen peut être considéré comme caduque depuis un certain nombre d'années ?

Pierre Duriot : Il y a une hypocrisie généralisée sur cet examen. On voit mal le ministre faire utiliser les notes du contrôle continu pour ne pas donner le bac à ceux dont les copies sont retenues par les syndicalistes. Un examen parvenu à un tel taux de réussite, alors même que le niveau mesuré des écoliers français et comparé au niveau international, nous place dans le ventre mou des pays industrialisés, n'a plus aucune valeur. Pire, il y a une contradiction évidente entre le fait de se féliciter en permanence de l'augmentation du taux de réussite au bac, pendant qu'objectivement le niveau général baisse et que des indicateurs évidents comme la qualité de l'orthographe et de la syntaxe chez les lycéens, sont devenus des objets de fous rires. Entendons nous bien, le mot clé de « bienveillance », utilisé à toutes les sauces, conduit à accepter l'inacceptable, à tolérer l'intolérable et à dire que c'est bien, quand ce n'est pas bien, à titre d'encouragement. Depuis des années, les consignes passent, sans plus le moindre secret. Les professeurs communiquent sur les consignes reçues de bienveillance et ceux qui seraient trop sévères voient leurs notations revues à la hausse, c'est un secret de Polichinelle. Le bac est un Barnum socio-politique en trompe l'oeil, de manière évidente, puisqu'en plus, le taux de réussite est relativement homogène sur l'ensemble du territoire, ce qui, compte tenu des inégalités géographiques, serait rigoureusement impossible. On fait plaisir aux parents, aux électeurs, aux futurs électeurs, on s'auto-congratule et tout le monde fait semblant d'y croire. Seulement on perd des vocations, des filières artisanales et industrielles, une diversification des compétences et des métiers, un véritable gâchis, qui en plus, coûte très cher. Pour les élèves, en plus, la sélection se fait ailleurs et oui, leur bac dévalorisé ne trompe personne. Non seulement, il faut au minimum une mention bien ou très bien pour être considéré dans les études qui suivent, mais également l'origine géographique de votre bac va compter à certains yeux. Les grandes écoles et plus loin, les patrons et DRH, se chargent de la sélection et aucun système étatique, si contraignant soit-il, n'empêchera cette sélection dont les élèves syndicalistes ne veulent pas entendre parler.

Jean-Paul Brighelli : "Ampleur" est certainement un terme excessif. 100 000 copies que l'on menace de ne pas rendre, c'est une goutte d'eau, sur plusieurs millions. Un millier d'enseignants qui menacent de ne pas faire leur travail, c'est une fraction infime de 800 000 enseignants — les derniers nostalgiques de Vallaud-Belkacem, sans doute.

Par ailleurs, utiliser le contrôle continu — au moins jusqu'à ce que la note d'examen arrive — est une pratique courante ces dernières années, par exemple pour compenser une copie perdue — cela arrive. Quant à savoir ce qui est scandaleux — ou par qui le scandale arrive… Plusieurs syndicats se sont désolidarisés a priori de la "grève" des corrections ou de la rétention de copies et de notes, arguant que l'on n'a pas le droit de prendre des élèves en otage. C'est le réflexe du truand qui prend en otages les clients d'une banque pour faire pression sur le directeur… Que quelques syndicats respectables aient cru utiliser ce genre de chantage est sidérant. Pensez qu'il m'est arrivé de faire une longue grève — en 2003 — avec un badge me déclarant gréviste tout en faisant cours à mes classes d'examen — et en accepteznt les retenues sur salaires correspondantes. Nous nous devons à nos élèves, parce qu'ils seront encore là, eux, quand le ministre sera passé.
Et pour le contrôle continu, cela fait des années que je propose de supprimer le baccalauréat, de le transformer en diplôme de fin d'études (octroyé à tous les élèves, ce qui permettrait à la fois de les faire travailer intelligemment en Terminale au lieu de bachoter et de récupérer le mois de juin pour les études au lieu de fermer les lycées pour préparer les tables…) en laissant tout l'enseignement supérieur libre de fixer ses critères d'admission, sur le modèle de ce qui se fait en Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles.
Cela créerait une hiérarchie des établissements ? Mais réveillez-vous, mes chers collègues : cette hiérarchie existe de fait et depuis des années, parce que vous avez trop souvent abaissé la barre pour acheter la paix — ou pire, pour complaire à des inspecteurs ou des idéologues pédadémagogues. Vous voulez remonter le cote de votre établissement ? Cessez de laisser filer, soyez impitoyables, appliquez la tolérance zéro — les élèves et les parents vous en sauront un gré infini. Et ceux qui refuseront de le faire n'ont rien à faire dans cette profession.

Est-ce d'ailleurs le seul examen ou le seul concours public où ce genre de pratiques arrivent ? Qu'en est-il par exemple des consignes pour l'agrégation ?

Jean-Paul Brighelli : Soyons sérieux : si au CAPES on peut parfois remonter certaines notes pour arriver à des moyennes de concours convenables (mais la tendance est plutôt de refuser d'affecter tous les postes mis au concours, vu la médiocrité des candidats dans certaines disciplines), l'Agrégation est le dernier concours totalement neutre et objectif — même s'il y a bien des nuances sur les attentes de tel ou tel jury. Même chose dans les concours des grandes écoles — ces concours qu'il est de plus en plus question de supprimer, ou de remplacer par un oral qui sera une entrevue entre oligarques et enfants d'oligarques — mais c'est une autre histoire.

En quoi l'utilisation du contrôle continu marquerait tout de même une étape dans la disparition de l'examen ? Qu'est-ce qui empêche aujourd'hui d'y aboutir ?

Pierre Duriot : La question n'est pas de savoir si on peut ou pas remplacer le bac par le contrôle continu. En admettant que cela soit fait et que cela passe auprès de l'opinion publique, rien n'empêchera de garder le même niveau de réussite et transférant les consignes de bienveillance données lors de la correction du bac à l'ensemble de l'année de terminale. Actuellement, avec cette notation favorisant la réussite le jour de l'examen, un élève qui a peu travaillé au cours de l'année peut tout de même obtenir le bac au jour J. Avec le contrôle continu, on pourrait se dire que cela obligerait tous les élèves à fournir un effort minimal toute l'année et en jouant le jeu, il se pourrait que le taux de réussite soit plutôt à la baisse, ce que les parents d'élèves électeurs ne seraient sans doute pas prêts à accepter. Mais en plus, le bac a une dimension symbolique, presque initiatique, il faut avoir son bac, quitte à ce qu'il soit plus décrété que mérité. L'opinion publique n'est pas encore prête à se passer de ce symbole fort. Mais la politique, plus que l'enseignement, l'électoralisme, dans un état providence, ont conduit à donner toujours plus pour toujours moins d'effort. Comme le dit le vieil adage, nous avons été habitués à avoir le beurre et l'argent du beurre et nous en sommes maintenant au stade du « cul de la crémière ». Mais tout cela s'arrête au bac, ou peu après, pour le reste, les choses sont dures, très dures, à partir du moment où l'on rentre dans la société du travail et la violence est d'autant plus grande, pour ces élèves habitués à une bienveillance qui n'est plus de mise dans la société ordinaire, laquelle vous crédite de quelques points non mérités pour que vous obteniez votre bac, mais vous sanctionne sans vergogne pour quelques kilomètres heures de trop une fois au volant. Il faudra surtout, pour un gouvernement, apprendre à ne plus intégrer le niveau d'instruction des enfants des électeurs dans les arguments de campagne...

Jean-Paul Brighelli : Bien sûr — mais cela se fait au Brevet depuis des années : et d'ailleurs, quelle est la valeur marchande du Brevet ? Quelle entreprise recrute au niveau du Brevet ? Il est voué à disparaître, tout comme le Bac est voué à disparaître, parce qu'avec le Bac, on ne peut plus postuler à rien. Il n'y a aucune raison, sinon sentimentale, de conserver un examen qui n'examine rien et dont la valeur pratique est nulle. Supprimons le Bac, et redonnons des ambitions aux collèges et aux lycées. La relance des internats d'excellence, annoncée par Blanquer, va dans ce sens — mais l'excellence devrait être le premier et le dernier mot de tout le système scolaire : amener chaque élève au plus haut de ses capacités, c'ets exiger l'excellence de chacun. Après des années de gabegie, il est plus que temps de sonner la fin de la récré — et de virer, dans les centres de formation des maîtres, tous les grands incompétents qui s'y sont creusé une niche inexpugnable : renvoyons-les dans le Premier ou le Second degré, puisque selon eux ils y excellent.

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