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Avancée capitale sur le front d’Alzheimer ? Des scientifiques mettent au point un traitement qui pourrait permettre de faire reculer la maladie
©Pixabay

Regénérescence

Les premiers essais d'un nouveau "médicament", le LMTX, montrent en tout cas que les chercheurs sont sur la bonne voie.

André Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est professeur de neurosciences à l'université d'Aix-Marseille.

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Atlantico : Selon les études test de Phase III relatives au LMTX, (inhibition des agrégats de protéine tau) destiné aux patients souffrant de la maladie d'Alzheimer, les résultats seraient encourageants. Que peut-on raisonnablement attendre de ce médicament ? S'agit- il d'un espoir sérieux pour les malades ? 

André Nieoullon : Les critiques méthodologiques de cet essai clinique sont hélas trop nombreuses pour qu’en l’état il soit possible de se faire une idée de l’espoir que pourrait susciter un tel traitement, hélas. De fait, les essais cliniques des médicaments dits « de Phase III » sont sur le principe menés sur de larges populations de patients, en vue de comparer l’efficacité thérapeutique de la molécule testée à un traitement de référence, s’il existe, ou à un placébo. Ces essais sont généralement largement multicentriques et conduits « en double aveugle », c’est-à-dire sans que le patient et l’équipe médicale sache ce que prend réellement le malade. Clairement, dans cet essai particulier, si l’aspect double aveugle et placébo est respecté, le nombre de patients concernés est beaucoup trop faible (une cinquantaine) pour pourvoir conclure.

L’article publié la semaine dernière dans le Journal of Alzheimer’s Disease sous l’égide de la Société TauRx Therapeutics Ltd reproduit les résultats d’une étude précédente de 2016 publiée dans The Lancet, suggérant que le LMTX, un produit considéré comme pouvant agir dans le cerveau des patients pour détruire les agrégats d’une protéine particulière, la protéine Tau, administré pendant plusieurs mois, avait pour effet d’améliorer l’état cognitif des malades et de réduire l’atrophie cérébrale résultant de la maladie neurodégénérative chez des patients souffrant de formes « légères à modérées » de la maladie d’Alzheimer.

Pour bien comprendre, il faut se souvenir que la maladie d’Alzheimer fait partie d’un ensemble de maladies neurodégénératives incluant la maladie et des syndromes apparentés dont l’origine est encore totalement inconnue et affectant dans notre pays environ 1 million de personnes, le plus souvent âgées de plus de 65 ans, le principal facteur de risque de la maladie étant considéré comme étant de fait l’avancée en âge. Ces maladies se traduisent conventionnellement par des troubles de la mémoire s’aggravant progressivement, qui affectent plus généralement l’ensemble de la sphère cognitive et se traduisent par une dégradation majeure, notamment des repères spatio-temporaux (schématiquement : Où suis-je ? Quel jour sommes-nous ? Qui êtes-vous ? Qui suis-je ?), sur une dizaine d’années environ, avant la disparition du malade. A ce jour il n’existe aucun traitement de la maladie d’Alzheimer et des syndromes apparentés en dépit de molécules susceptibles d’efficacité modérée au plan symptomatique chez certaines patients, notamment en rapport avec le renforcement des fonctions cholinergiques cérébrales dont on sait qu’elles sont essentielles pour un bon fonctionnement cérébral (traitements anticholinergiques).

Sur le plan des mécanismes de la dégénérescence des neurones, dont il est dit plus haut qu’elle reste à ce jour d’origine totalement inconnue en dépit de rares formes génétiques, les recherches sont focalisées sur deux marqueurs de la maladie attestant de la mort neuronale dans des régions cérébrales en rapport avec les processus cognitifs et la mémoire : la protéine béta-amyloïde et la protéine Tau. Ces deux marqueurs, par ailleurs étant des constituants normaux du cerveau lorsqu’ils ne sont pas sous forme de dépôts tissulaires, font l’objet de toute l’attention des chercheurs depuis leur découverte il y a maintenant plusieurs décennies, et de nombreuses corrélations ont été établies, en particulier dans le cas de la protéine Tau, entre le développement des agrégats de cette protéine devenue ainsi progressivement insoluble et la progression des symptômes cliniques attestant de la neuro-dégénérescence inéluctable.

Les principales pistes de développement des traitements étiologiques de la maladie d’Alzheimer, c’est-à-dire visant à ralentir voire stopper l’évolution de la maladie, sont ainsi axés depuis une trentaine d’années sur ces protéines, et en particulier sur la protéine béta-amyloïde. Après de nombreux espoirs déçus de voir l’émergence de traitements enfin à même de guérir les malades, tant sur le plan des médicaments que sur celui de l’immunothérapie dirigée contre la protéine, il faut reconnaître l’impuissance des chercheurs alors même que plus d’une centaine de molécules sont actuellement en développement, attestant par là d’une recherche extraordinairement active à la hauteur des enjeux sociétaux, et sans aucun doute des intérêts de l’industrie pharmaceutique.

Dans ce contexte, il est compréhensible que toute découverte dans ce domaine ait un retentissement médiatique considérable, comme c’est le cas des travaux sur le LMTX.

Quels sont les mécanismes d’action du LMTX pour parvenir à un tel résultat ?

Le LMTX est une molécule qui cible les agrégats de protéine Tau, ce qui, en soit, est une avancée en ce sens que, comme rappelé ci-dessus, la quasi-totalité des travaux sur la thérapeutique de la maladie d’Alzheimer porte sur la protéine béta-amyloïde. Le LMTX est décrit comme une molécule susceptible de « dissoudre » les agrégats de la protéine Tau rendue insoluble par la maladie et qui cause sous cette forme la mort des neurones dans les régions où elle s’accumule. En fait, le LMTX est un dérivé du banal « bleu de méthylène » déjà rapporté depuis plusieurs années comme étant susceptible d’effets thérapeutiques, dans une forme rendue plus assimilable par le cerveau et présentant moins d’effets secondaires pour le malade. Des essais précliniques in vitro et sur des souris transgéniques vont dans le sens de cette hypothèse. Mais de l’hypothèse à l’efficacité thérapeutique il y a un monde que la recherche dite « translationnelle », c’est-à-dire mettant à disposition du malade les résultats du laboratoire de recherche, n’a pas encore franchi dans le cas de ce produit. Une piste de recherche intéressante, donc, mais seulement une piste de recherche, pour le moment. 

Dans le cas où ce produit remplissait les conditions de sa mise sur le marché, quels pourraient être les délais pour obtenir sa disponibilité sur le marché français ?​

C’est donc dans ce contexte qu’ont été entrepris les essais cliniques sur le LMTX, dont les résultats ont été publiés d’abord en 2016, puis récemment la semaine dernière pour un second essai de Phase III de la molécule. Si la presse a accueilli avec enthousiasme les résultats publiés d’abord dans The Lancet, puis maintenant dans le Journal of Alzheimer’s Disease, enthousiasme il faut le dire relayé par l’Editeur américain de ce prestigieux journal scientifique, George Perry qui parle de résultats « hautement significatifs en faveur de l’hypothèse d’une stratégie thérapeutique basée sur la protéine Tau », la communauté scientifique et médicale est plus prudente, voire assez négative, sur ces travaux. Ainsi les propos de John Hardy, Professeur à l’University College of London, ou encore de David Reynolds et de James Pickett, personnalités unanimement reconnues du domaine de la recherche sur la maladie d’Alzheimer en Angleterre, pour qui ces essais cliniques présentent trop d’insuffisances méthodologiques pour être crédible et qui vont jusqu’à évoquer une certaine irresponsabilité des auteurs de susciter de faux espoirs chez les malades (Robert Howard, University College of London). 

Pour ces éminents spécialistes, la route reste longue avant que de pouvoir conclure à un effet thérapeutique du LMTX au regard des limites méthodologiques considérables de ces essais clinique. Pour faire bref, la principale critique porte sur le nombre très limité de patients sur lesquels une amélioration thérapeutique serait susceptible d’intervenir, considérant le fait que le LMTX –pour des raisons incompréhensibles à cette heure- n’aurait pas d’effet, voire des effets aggravant, sur les patients prenant en même temps que le LMTX un autre traitement symptomatique de la maladie, notamment anticholinergique, c’est-à-dire la quasi-totalité de la cohorte de patients utilisés pour l’essai clinique. Par conséquent, pour ces chercheurs il est en l’état abusif de parler d’effet thérapeutique du LMTX et ils suggèrent que de nouveaux tests puissent être entrepris avec des protocoles de recherche permettant au bout de répondre réellement à la question de savoir s’il existe ou non  un effet de la molécule en rapport avec les bonnes pratiques du domaine. Jusque-là leur avis est donc très réservé, pour ne pas dire moins.

Ces chercheurs en profitent aussi pour fustiger quelque peu les médias qui s’emparent de ces nouvelles sans réel sens critique sur le plan scientifique, conduisant à susciter chez les malades et leur famille de légitimes espoirs face à leur immense détresse. Alors, il faut attendre encore et encore, ce qui est l’un des leitmotivs de la recherche biomédicale où le temps et l’argent sont deux dimensions incontournables du progrès scientifique et thérapeutique des sociétés modernes.

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