Augmentés de 33% par un patron qui avait lu Thomas Piketty : pourquoi il ne suffira malheureusement pas de faire lire à tous "Le Capital au XXIe siècle" pour faire repartir les salaires à la hausse<!-- --> | Atlantico.fr
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Thomas Piketty
©Reuters

Une jolie histoire

C'est après la lecture du bestseller de l'économiste français que Mark Bertolini, PDG du groupe américain d'assurance-santé Aetna, aurait décidé de faire passer le salaire horaire minimum de ses employés de 12 à 16 dollars. Son but : participer à la lutte contre le creusement des inégalités.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Depuis plusieurs jours, une jolie histoire fleurit le débat économique ; le CEO de l’assureur américain Aetna, Peter Cappelli, aurait eu une vision en lisant le livre de Thomas Piketty, le Capital au XXIe siècle. Augmenter tout le monde au sein de l’entreprise et notamment les plus bas salaires. Intéressé ou pas, les résultats sont les mêmes et les heureux salariés d’Aetna vont pouvoir bénéficier d’une hausse moyenne de salaire de 11%, et de 33% pour les moins bien lotis. En révisant le salaire minimum de l’entreprise à 16 dollars de l’heure, la compagnie ne chipote pas.

Lire également : Comment savoir si votre patron fait partie de ceux qui peuvent se permettre de vous augmenter après avoir lu le livre de Thomas Piketty

La première réaction à une telle situation est de se dire que si Aetna fait ce choix, c’est qu’elle peut le faire. La faute reviendrait alors sur les concurrents qui ne feraient pas le même effort pour le bien-être de leurs salariés. Mais Aetna n’est pas seule, car depuis plusieurs mois, le signal des salaires à la hausse n’est plus si rare. L’été dernier, IKEA avait pu relever son salaire minimum pour ses salariés américains, mais également GAP, où désormais le salaire minimum sera supérieur à 10 dollars de l’heure, ou encore Starbucks.

Finalement, les entreprises américaines ne font que répondre à un signal macroéconomique simple. Puisque le chômage aux Etats-Unis est passé de 10% en 2010 à 5.6% aujourd’hui, permettant à une grande partie des actifs de reprendre le chemin de l’emploi, la conséquence est claire : désormais le marché de l’emploi commence à être favorable aux salariés.

Si un employeur souhaite embaucher un salarié et que le taux de chômage est élevé, il n’aura pas beaucoup d’efforts à faire du côté du salaire. Dans ce cas-là, pour le salarié concerné, l’objectif est de trouver un emploi, la négociation relative à la compensation n’arrive que dans un second temps. Mais l’étape actuelle change la donne. Car lorsque le chômage s’approche de 5%, le marché de l’emploi change de main. Si une entreprise cherche à embaucher un nouvel employé, elle va devoir le débaucher. Ce qui implique de surenchérir sur le salaire. Il n’est plus possible de proposer un salaire de base pour emporter la décision. Le mouvement est en marche.

De la même façon, si les entreprises américaines ne peuvent plus chercher leurs nouveaux collaborateurs parmi les chômeurs mais doivent se livrer au débauchage, cela va avoir une autre conséquence. Les entreprises vont devoir fidéliser leurs salariés en leur offrant de meilleures conditions de travail ou de meilleurs salaires. Elles vont ainsi se protéger de la concurrence vis-à-vis de leurs salariés. Et c’est ce que vient de faire Aetna. Car dans un contexte où la croissance américaine atteint 5% au dernier trimestre et où les anticipations restent élevées pour les mois à venir, la concurrence pour avoir les meilleurs salariés va s’intensifier. Il faut anticiper.

Et c’est ici la principale justification du mouvement qu’il est possible d’observer aux Etats Unis. La lecture de Thomas Piketty n’est pas suffisante, même si la sincérité du CEO en question ne mérite pas non plus d’être remise en cause. Notamment sur un point, car Peter Cappelli indique également qu’il souhaite ainsi renforcer une vieille idée, celle du "Corporate America", "l’Entreprise Amérique". Il s’agit ici de participer activement au renforcement global de l’économie des Etats-Unis, et dont la base même est son marché intérieur.

A l’opposé du mercantilisme européen, d’origine allemande, l’objectif n’est pas simplement de comprimer les salaires au maximum afin de pouvoir présenter la plus belle balance commerciale possible au JT de 20h. Non, contrairement à l’Europe, les Etats-Unis ont aujourd’hui une stratégie claire de "demande intérieure" : l’objectif n’est pas d’exporter à tout prix, et faire semblant d’être meilleur que les autres, mais de faire progresser l’ensemble en se basant sur son propre marché de consommateurs. Plus de 300 millions d’Américains suffisent, et pour que ceux-ci consomment, les hausses de salaires sont plutôt une bonne idée.

En Europe, la stratégie est différente. Puisque l’idée d’un "continent foutu" fait doucement son chemin, il suffit de payer les gens de moins en moins pour que la "compétitivité" s’améliore, et enfin exporter le tout aux Chinois ou aux Américains. Les européens sont perçus comme une main d’œuvre plutôt que comme des consommateurs. Au-delà d’être grotesque, cette vision oublie que l’Europe, cela reste 500 millions de consommateurs, c’est-à-dire le plus grand marché du monde. Il suffirait de s’appuyer dessus pour sortir de la crise. Mais la croyance européenne est autre, car la stratégie économique européenne ne repose que sur cela, des croyances.

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