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Attaque meurtrière à Ouagadougou : beaucoup d’inconnues qui en disent pourtant long sur la situation de l’Afrique sahélienne
©Ahmed OUOBA / AFP

Confusion et chaos

Le centre de la capitale du Burkina Faso a été la cible d'une série d'attaques ce vendredi.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Le mode opératoire des attentats jihadistes survenus le 2 mars dernier dans la capitale du Burkina Faso - contre l’état-major des armées du Burkina et l’ambassade de France au Burkina - rappelle bien sûr à la fois ceux de Daech et Al-Qaïda. Mais bien qu’elles aient été attribuées par certains à Daesh (Etat islamique au Grand Sahara) – ces attaques ont été revendiqués dès le lendemain (3 mars 2018 ) par le Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans (GSIM, Jamaat Nosrat al-Islam wal-Mouslimin, JNIM), organisation salafiste-jihadiste créée il y a un an pile, début mars 2018, dans le cadre de la guerre au Mali, de la fusion entre Ansar Dine (« les partisans de la religion »), Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et les Katibas Macina et Al-Mourabitoun. Le GSIM a affirmé avoir agi « en réponse à la mort de plusieurs de ses dirigeants dans un raid de l’armée française dans le nord du Mali il y a deux semaines ». Le GSIM est dirigé par le Touareg malien Iyad Ag Ghali, qui a dû quitter son pays suite aux offensives menées contre son propre mouvement par la France et ses alliés régionaux et qui agit de plus en plus en dehors du Mali, notamment au Burkina Faso. On se rappelle que le 15 février, vingt djihadistes de cette mouvance avaient été tués ou capturés lors d’une opération aérienne et au sol menée par les forces françaises contre le groupe terroriste d’Iyad Ag Ghali dans le nord-est du Mali. Entre les fusillades et l’explosion concomitante du 2 mars dernier à Ouagadougou, qui démontrent l’intention de faire le plus de morts possibles et rappelle les modes opératoires de Daesh autant que d’Al-Qaïda, le bilan semble s’élever à 16 morts dont 8 parmi les seules forces de l’ordre Burkinabées (et au moins 80 blessés dont une dizaine en état d’urgence absolue).

En clair, c’est autant l’« ennemi lointain », la France (et l’Occident en général), qui a été visée que l’Etat du Burkina Fasso (« ennemi proche »), sachant que les forces militaires et étatiques du Burkina sont considérées par les jihadistes comme des institutions « apostates » de musulmans « renégats » qui « collaborent » avec l’ennemi ex-colonial « mécréant » français qui occupe le Nord Mali et « opprime » les musulmans autochtones. Comme ailleurs, on constate depuis des années l’étanchéité de la frontière qui jadis séparait les groupes voulant frapper « l’ennemi proche » (« apostats-traitres ») et ceux qui privilégiaient « l’ennemi lointain » (l’Occident). Dans les années 1990-2000, les mouvements djihadistes frappaient en effet traditionnellement soit l'un soit l'autre, ce qui n'est plus le cas depuis notamment la fin des années 2010, puisque les deux « ennemis de l’islam » semblent être simultanément visés comme on l’a constaté avec les attentats de Charlie-Hebdo (Al Qaïda-AQPA) et du Bataclan (Daesh), perpétrés à la fois contre « l’ennemi lointain » par des groupes jihadistes qui combattent simultanément « l’ennemi proche » dans leurs bases d’action principale. 

Enfin, il faut rappeler que cette attaque à Ouagadougou n'est pas une première pour le Burkina Faso. Des occidentaux ont déjà été frappés à plusieurs reprises, et le pays est devenu un des nouveaux lieux du djihad, avec notamment dans le Nord la région de Soum qui est gangrénée de façon profonde depuis des années par l’islamisme salafiste et le djihadisme. Il faut rappeler que les attaques du 2 mars dernier sont survenues juste au moment où la fameuse « Force du G5 Sahel », qui associe cinq pays de la région (Mali, Burkina Faso, Niger, Niger Mauritanie et Tchad), soutenus en particulier par la France, le plus gros contributeur militaire et financier, en complément de l’opération française « Barkhane ». 

En 2015, déjà, la capitale du pays avait été frappée, et en janvier 2016, 30 personnes, dont 6 Canadiens et 5 Européens avaient été tués lors d’une attaque revendiquée par Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). 19 personnes avaient également été assassinées dans un café, le 13 août 2017, à l’occasion d’un autre attentat qui n’avait pas été revendiqué. Plus récemment, la menace islamiste s’est renforcée pour le Burkina Faso sous le double coup de la migration de jihadistes en provenance du Mali vers le Nord du pays et la montée en puissance régionale de l’Etat islamique dans le Grand Sahara (ISGS) puis de Ansar al-Islam, récité, les zones privilégiées étant les frontières du Burkina Faso, du Mali et du Niger. 

Une autre chose que cette attaque confirme est l'importance stratégique que revêt pour de nombreux mouvements islamistes la région du Burkina Faso au sein de la zone sahélienne voisine de plusieurs gros foyers jihadistes : Mali-Niger-Nigeria. Le Burkina-Fasso a par ailleurs un passé anti-impérialiste très chargé : l’assassinat, en 1987, du « Che Guevara africain », l’ancien président Thomas Sankara, très anti-occidental, fut souvent attribué à la France via ses « séides » locaux comme l’ex-président Compaoré qui le renversa lors d’un coup d’Etat meurtrier). Et le président Macron, lors de son récent voyage dans ce pays, a d’ailleurs essayé de désamorcer ce malentendu en annonçant l’ouverture des archives. Le Burkina, bien que francophone, est donc depuis longtemps un haut lieu de contestation anti-occidentale, avec une dimension plus intellectuelle que le Mali ou le Tchad, ce qui constitue un terreau favorable à l’émergence de l’islamisme radical anti-occidental, d’autant que la région de Soum, dans le nord du pays, est un des grands foyers de contestation islamiste, foyer d’ailleurs de plus en plus travaillé par le jihadisme depuis que son leader, Malam Dicko, chef du groupe Ansar ul-Din, s’est rapproché des organisations islamistes régionales dont le GISM et Ansar Din, venues du Mali et de plus en plus actives au Burkina.  Et dans la mesure où il est un pays important de la « françafrique », où stationnent (Ouagadougou) les troupes françaises d’élite du COS (commandement des opérations spéciales), le Burkina Faso est plus que  stratégique pour les djihadistes qui veulent faire sombrer l'Afrique dans le chaos et tentent de se greffer tant sur les mécontentements et mouvements rebelles locaux (comme dans le Nord-Soum), en déstabilisant les institutions assez fragiles du pays, que de harceler les forces avancées de « l’ennemi lointain ». Si le Burkina Faso est déstabilisé (ce qui est facilité par les complicités entre des anciens partisans de Compaoré et les islamistes puis par le foyer jihadiste local de Soum), d'autres pays de la région le seront donc inévitablement, à commencer par l’un des voisins directs les plus liés au Burkina Faso sur les plans géographiques et ethno-tribaux : la Côte d'Ivoire, dont une grande partie de la population d’où viennent les ex-rebelles du Nord est d’ascendance burkinabée.

Rajoutons à cela que nous autres Français et Occidentaux avons la fâcheuse tendance à nous concentrer sur Daech, mais c'est oublier un peu vite tous les autres mouvements présents localement dans la région, comme AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique) et Al-Ansar ul-Islam, Ansar Din, Boko Haram au Nigéria ou même le Mujao, etc…

Pour comprendre la stratégie qui pourrait se trouver derrière en cas d'attaque terroriste, il faut mentionner et même relire l'ouvrage de Abou Bakr Naji "La Gestion de la barbarie" (traduit en français et en anglais) qui expliquait en substance qu'il fallait pénétrer dans tous les pays où il préexiste une fragilité politique endémique, déstabiliser les Etats divisés ethniquement, religieusement et politiquement afin d’accélérer leur décomposition, condition préalable à l’établissement du Califat et de la Charià sur les cendres des anciens pays souverains « apostats » dont les frontières ont été tracées par les « mécréants »… Il existe donc une vraie stratégie globale, transnationale, même s’il est vrai que les mouvances et cerveaux de l’internationale islamiste jihadiste ont souvent aussi « franchisé» des groupes rebelles, sécessionnistes ou islamistes locaux qui poursuivent leur agenda propre mais jouent le jeu du franchisé. On assiste donc en Afrique à un processus d’hybridisation du jihadisme qui s’appuie sur des conflits et problèmes sociaux-politiques préexistants (conflit Nord Sud/Musulmans Chrétiens au Nigeria, en Côte d’Ivoire ou en Centre-Afrique ; conflits inter-tribaux, conflits entre un nord arabo-berbère et un sud noir comme au Mali, etc). On comprend alors que l'Afrique est un terreau fertile pour ces mouvements djihadistes. Et on oublie trop souvent que c’est aujourd’hui l’Afrique noire qui paie le plus lourd tribut du terrorisme jihadiste : en effet, lorsque des centaines de « revenants » soldats de Daesh quittent la Syrie et l’Irak pour l’Europe, en Afrique noire ils essaiment dans le même temps par milliers, de sorte qu’un pays comme le Nigeria a pu déplorer la mort de 10 000 personnes ces dernières années du seul fait du groupe jihadiste Boko Haram. Et le chaos en Libye provoqué par l’intervention occidentale (franco-britannico-américaine) de 2011 a ouvert la boîte de Pandore du « djinn islamo-terroriste dans toute la région saharo-sahélienne, d’Est en Ouest, avec tout ce que cela signifie de prolifération d’armes et de connexions entre milieux islamistes, sécessionnistes, tribus, forces jihadistes internationales et mafias des contrebandes, de la drogue ou des migrations illégales…  Les vases communicants entre les régions historiques du Jihad (Afghanistan-AF-Pak, Yémen-Irak, Syrie, Somalie-Soudan) au Moyen Orient ou au Maghreb et l’Afrique-noire ou même l’Asie (Philippines, Indonésie, etc) font que cette partie de l'Afrique sahélo-saharienne sera durablement et de plus en plus le terrain d'action des djihadistes. L’une des raisons est bien sûr la conjonction entre les facteurs que sont : Etats faillis ; corruption endémique ; hétérogénéité inter- tribale ; prédications salafistes sponsorisées par les puissances sunnites du Golfe ; pauvreté extrême ; inégalités… D’une manière générale, l'Afrique paye le plus lourd tribut en nombre de meurtres commis par des djihadistes de toutes sortes de groupuscules locaux ou « franchisés » d’Al-Qaïda ou Daesh. Elle doit faire face à un réel tsunami en la matière dont on ne peut que regretter le fait que l'on en parle très peu en Europe et en France, où « nos » attentats qui se comptent en centaines de morts font oublier ceux d’Afrique qui se comptent depuis des années en centaines de milliers de morts (si l’on inclut la terrible guerre civile algérienne et les massacres du Mali à la Somalie en passant par le Nigeria et même le Sénégal, le Niger et le Cameroun qui sont de plus en plus touchés et visés eux aussi par les jihadistes voisins).

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