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Une nouvelle arnaque sur les brevets venue des Etats-Unis ?
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Astérix

Gagner de l’argent sans rien inventer mais en rançonnant les inventeurs, c’est possible aux États-Unis grâce à la législation locale sur les brevets. Une petite firme française soumise à une tentative d’intimidation juridique résiste par une mobilisation en ligne et en brandissant… le Minitel.

Nathalie Joannes

Nathalie Joannes

Nathalie Joannès, 45 ans, formatrice en Informatique Pédagogique à l’Education Nationale : création de sites et blogs sous différentes plates formes ;  recherche de ressources libres autour de l’éducation ;  formation auprès de public d’adultes sur des logiciels, sites ;  élaboration de projets pédagogiques. Passionnée par la veille, les réseaux sociaux, les usages du web.

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29 septembre 2011. Eric Hassid, co-fondateur de GroupCamp, éditeur parisien de logiciels pour PME, reçoit une lettre recommandée de Lodsys, une firme américaine : "Vos activités copient quatre de nos brevets. Achetez nos licences ou nous vous poursuivons en justice pour contrefaçon." La start-up française n’a pas les moyens financiers d’entamer une procédure coûteuse.

Le business de l’intimidation

En tant qu’acteur important de la "Guerre des Brevets" (patents war), Lodsys (que la rédaction d'Atlantico a contacté sans obtenir de réponse) aurait développé une stratégie de "terreur" vis-à-vis des développeurs isolés qui travaillent par exemple sur les applications pour iPad ou pour Androïd, en espérant qu’Apple ou Google les protégera. De grandes marques comme le New York Times ou Hewlett-Packard auraient également été soumises au chantage.

Le modèle économique de cette guerre des brevets en plein développement consiste essentiellement à déposer des brevets très "génériques" et à les rentabiliser par tous les moyens de pression dont sont capables de redoutables équipes d’informaticiens et d’avocats d’affaires. Group Camp, par exemple, est « accusé » d’avoir copié un procédé d’échange d’informations en ligne sur un produit.

Il se trouve que la mise en demeure de Lodsys est exactement la même que celle qui a été envoyée à des centaines, peut-être des milliers, d’autres « cibles ». C’est ce qu’on appelle le patent troll = harcèlement sur les brevets.

Une enquête sur Lodsys révèle un aspect peu connu du capitalisme financier coupé de l’économie réelle : le business de l’intimidation. Intimidation légale parce que fondée sur la législation américaine des brevets.

Le bluff de l’inventeur

La technique juridico-financière de cette intimidation a été mise au point par un certain Dan Abelow qui a déposé des brevets sur tout et n’importe quoi.

Déposé en 1990 et enregistré en 1993, le brevet N° 5 251 294 couvre « l’accessibilité et l’assemblage de fragments d’informations par le truchement d’un ordinateur. » Il  y est question de "contextes associés dont la combinaison est susceptible de créer des situations préférentielles, elles-mêmes reliées à des méta-situations."

Le brevet N° 5 999 908 de 1992-1999 protège "la conception de modules inspirés par l’interactivité des consommateurs sur un produit." La première ligne du dossier officiel précise que cette "invention" est destinée aux "produits ou services comportant un microprocesseur et des facilités de communication."

L’inventeur, comme il se désigne lui-même, en impose de deux manières. Il affiche des diplômes impressionnants : un master en "stratégies technologiques" de Harvard et un autre en sciences économiques à Wharton (Pennsylvanie). Il déploie surtout une liste époustouflante de grosses entreprises (American Express, Apple, Google, Microsoft, Sony, etc…) dont les innovations feraient référence à ses propres inventions. Un petit développeur qui travaille sur une réelle innovation dans le garage de son père ne peut que s’incliner.

Nathan Myrhvold, « baron des brevets »

Dan Abelow a vendu son portefeuille d’inventions à deux petites sociétés : Webinvention et Lodsys. Derrière cette double rétrocession se profile un étrange fonds d’investissements, Intellectual Ventures .

C’est, en apparence, une place de marché qui affirme innover dans de nombreux domaines scientifiques et technologiques. Elle met surtout en relations les inventeurs et les acheteurs d’inventions en assurant qu’elle peut à la fois protéger les premiers tout en valorisant les placements des seconds.

Le fonds a été créé par le personnage le plus redouté de la Sillicon Valley et de tous les terroirs innovants des Etats-Unis, Nathan Myhrvold. Propriétaire du plus gros portefeuille américain de brevets, il a été surnommé "the patents baron", métaphore plutôt péjorative comme on le verra plus loin.

Il a pourtant l’air sympa, ce Nathan. Très diplômé lui aussi : masters en géophysique et physique de l’espace, doctorat en mathématiques théoriques et physiques (Université de Californie), master de Princeton en mathématiques économiques. Il est par ailleurs, paléontologiste amateur spécialiste des volcans et talentueux photographe récompensé pour ses clichés sur la nature. Expert envié de la cuisine française (il a suivi des cours auprès d’un grand chef dans l’Hexagone), il a aussi remporté un championnat du monde de barbecue.

Un homme que tous les geeks aimeraient compter dans leur réseau, ne serait-ce que pour jouir de son extraordinaire maison au bord du lac de Washington près de Seattle. Sa stature en affaires vient en partie des treize années passées chez Microsoft  comme "chef opérationnel des technologies" et créateur de Microsoft Research.

On lui prête aussi la capacité d’engranger, avec des associés venus d’Intel et de Microsoft, un trésor de guerre initial de 5 milliards de dollars. De quoi acheter beaucoup de brevets. De quoi embaucher les meilleurs spécialistes en informatique, en biotechnologies, en droit des affaires et en droit de la propriété intellectuelle made in USA.

Sulfater la stratosphère

Comme Dan Abelow, Nathan Myhrvold se pare du titre d’inventeur. Intellectual Ventures a fait breveter un "bouclier stratosphérique" susceptible d’enrayer le réchauffement climatique : il suffirait de répandre en aérosols des particules de sulfate sur le pourtour de la Terre, à très haute altitude, en mobilisant des canons d’artillerie, des fusées, des avions ravitailleurs de l’US Air Force, voire des dirigeables.

Cette solution a fait l’objet d’un chapitre complet, le cinquième, dans un ouvrage désopilant consacré aux Freakonomics. Il y a aussi, dans le portefeuille de Intellectual Ventures, un système original de maintien à température de la bière et du vin.

Grâce à ses laboratoires, Intellectual Ventures réussit à se faire passer pour une sorte d’institut privé de l’innovation. Le problème, c’est que jamais aucune innovation des "IV Labs" n’est arrivée jusqu’aux consommateurs.

Le marché des litiges : 50 milliards de dollars

En fait, le fonds d’investissements transfère certains de ses brevets à l’une des deux sociétés auxquelles Dan Abelow avait confié son propre portefeuille d’ "inventions" : Lodsys. A charge pour elle de vendre des licences à ceux qui se laissent intimider ou d’extorquer juridiquement des sommes considérables à ceux qui tentent de résister.

Les liens d’affaires entre Intellectual Ventures et Lodsys ne sont pas éclaircis malgré l’enquête teigneuse du Guardian. Selon le quotidien britannique, Intellectual Ventures posséderait 1 300 sociétés écrans dont la vocation serait de ratisser le marché de la propriété intellectuelle : 50 milliards de dollars au bas mot.

Un gisement de cash qui fait saliver le financier de Boston, Charles River. Il a été séduit parce ce que lui a raconté son associé, Izhar Armony : « Nathan a une vision géniale : l’invention est l’essence de l’innovation. » Charles River a investi 300 millions dans Intellectual Ventures en jurant ses grands dieux qu’il n’y a pas de dark side (part d’ombre) dans la gestion des brevets.

D’ailleurs il a investi aussi dans d’autres sociétés qui opèrent sur le marché des litiges, dont une créée en Californie par d’anciens salariés d’Intellectual Ventures. Des développeurs et des juristes aux États-Unis affirment que le patents troll est une taxe qui finira par tuer l’innovation, à raison de 500 000 dollars en moyenne pour résister juridiquement à Lodsys et autres firmes spécialisées dans le contentieux sur la propriété intellectuelle à l’américaine.

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