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Après le Brexit, voilà le Turxin : quand Erdogan organise un référendum sur l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne
©Reuters

Malin comme un Turc

Alors que les discussions sur l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne ont été mises en suspens pendant la campagne sur le Brexit, l'Union a annoncé l'ouverture d'un nouveau chapitre de négociation. Pour autant, l'avenir politique du projet semble très compromis.

Laurent Leylekian

Laurent Leylekian

Laurent Leylekian est analyste politique, spécialiste de la Turquie.

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Atlantico : Pendant la campagne qui a précédé le référendum britannique, la question de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne a été abordée, notamment par les partisans du Brexit : pour eux, les négociations avec la Turquie auraient été mises en suspens afin de ne pas alimenter le sentiment anti-européen au Royaume-Uni. Où en sont réellement les négociations entre l'UE et la Turquie ? Un tel projet a t-il réellement un avenir politique ? 

Laurent Leylekian : Il est évident que le processus d’adhésion de la Turquie constitue un chiffon rouge pour tous ceux qui récusent le projet européen tel qu’il a évolué, c’est-à-dire vers cette sorte d’entité molle et faible, dépourvue de contenu identitaire et ouverte à tous les vents libéraux. C’est l’Europe "hall de gare" que je dénonce régulièrement. Ceci dit, la question turque est sans doute perçue un peu différemment en Grande-Bretagne, où l’on trouve aussi des opposants d’un autre genre qui approuvent l’Europe-marché et qui contestent – au contraire – la prééminence des normes et des règlements européens sur les lois souverainement votées par les Britanniques.

Pour ce type de partisans du Brexit, la Turquie dans l’Union européenne n’est pas un problème puisque celle-ci n’est vue que comme un simple marché sans frontières dont ils espèrent qu’il soit le plus large possible. On peut d’ailleurs souligner l’incohérence – ou l’égoïsme – de leur position puisqu’ils souhaitent l’extension illimitée du domaine des normes libérales adoptées à Bruxelles, à l’exception de leur île.

Ceci dit, le processus d’adhésion n’a pas vraiment été mis en sommeil pendant la campagne du Brexit. Le 22 juin, la veille même du référendum britannique, la Commission annonçait pour le 30 juin l’ouverture d’un nouveau chapitre de l’Acquis communautaire avec la Turquie ; et pas n’importe lequel : celui sur la politique économique et monétaire. Je crois que si l’on avait voulu convaincre les opposants à l’Europe "hall de gare" de voter le Brexit, on ne s’y serait pas pris autrement. Le pire, voyez-vous, c’est que ceux qui ont pris cette décision ne se sont sans doute même pas aperçus du problème, ne serait-ce qu’en termes de communication.

Néanmoins, pour répondre à votre dernière question, le processus avance aujourd’hui à bas bruit. On ouvre des chapitres techniques – qu’on ne referme qu’au compte-goutte – et sans qu’il y ait une volonté politique de conclure – ni du côté turc, ni du côté européen. Ce processus, c’est un peu le cancer de l’Union européenne. Il progresse insidieusement, de manière indolore, et quand tous les chapitres techniques auront été ouverts puis refermés, la crise éclatera. Mais il sera alors trop tard pour ne pas conclure une adhésion dont personne ne veut. Le plus tôt on stoppera net le processus, le mieux ce sera.

De son côté, le président Erdogan souhaite interroger le peuple turc sur sa volonté d'adhérer à l'UE. Quel objectif poursuit-il en appelant de ses voeux un tel référendum ? Quel résultat espère-t-il obtenir ?

On peut lire cette annonce d’Erdogan de deux manières exactement opposées, ce qui ne signifie pas qu’elles soient contradictoires. La première interprétation consiste à penser que – dans l’hypothèse où les Turcs votent en faveur du "Turxit" – Erdogan voit dans un tel référendum une manière de sortir la tête haute d’un processus qui ne lui sert désormais plus à rien. N’oublions pas que pour Erdogan, "la démocratie est comme un tramway, il va jusqu’où vous voulez aller, et là vous descendez". Via la "démocratie", Erdogan est arrivé là où il voulait – au pouvoir absolu – et il n’en a donc plus besoin. En revanche, il ne veut pas perdre la face et un Turxit pourrait lui fournir le moyen honorable de descendre du tramway.

L’autre interprétation consiste à voir – dans l’hypothèse d’un rejet du "Turxit" par les Turcs – un moyen de renforcer au contraire l’emprise qu’exerce Ankara sur l’Union européenne, notamment en faveur de l’adhésion mais pas uniquement. Les deux interprétations ne sont pas forcément exclusive l’une de l’autre dans la tête d’Erdogan puisqu’il peut être gagnant dans les deux cas. Je voudrais d’ailleurs souligner ce fait : d’un point de vue psychologique, l’initiative politique que constituerait cet éventuel référendum turc pourrait permettre à Ankara d’entériner l’idée que l’adhésion à l’Union dépend exclusivement de la volonté du peuple turc et non pas de la soumission du gouvernement turc à des principes et à des pratiques politiques démocratiques. Espérons que nos "élites" ne seront pas assez bêtes pour se laisser prendre à ce tour de passe-passe.

Quels sont ceux aujourd'hui, en Turquie comme au sein de l'UE, qui sont favorables à l'entrée de la Turquie ? Sont-ils moins nombreux qu'il y a dix ans ? Pourquoi ?

Il faut tout d’abord souligner que – globalement – la question turque ne passionne plus. Il est révélateur que les sondages d’ampleur les plus récents sur la question datent de 2014. En fait, plus personne n’y croit. Au-delà cependant, il semble que les opinions publiques européennes et turques se soient même radicalisées dans leur refus. Un sondage de 2014 montre que les Français étaient 83% à s’opposer à cette adhésion mais ce pourcentage serait vraisemblablement encore plus élevé aujourd’hui. Même dans des pays traditionnellement plus favorables comme l’Espagne ou l’Italie, les soutiens peinent à dépasser 50%. En Turquie enfin, on trouvait toujours, en 2014, 38% des personnes interrogés pour considérer que l’adhésion de leur pays aurait été positive et 33% négative. Mieux encore, selon ce sondage Eurobaromètre, 38% des Turcs étaient contre l’élargissement de l’Union (33% pour) et 41% contre l’Union économique et monétaire – en clair le passage à l’Euro – alors que seuls 28% étaient pour !

En fait, le moment historique est passé. L’Union européenne est devenue aux yeux de tous – même de nombre de Turcs – une technostructure aliénante et impitoyable. L’exemple grec y est sans doute pour beaucoup, notamment en Turquie où l’on sait ce que fut le régime des Capitulations et où on reste sourcilleux sur les questions de souveraineté. Par ailleurs, aujourd’hui, la Turquie est elle-même en situation de guerre civile entre des masses redevenues très musulmanes et fanatiquement réactionnaires et des minorités désormais en danger. Quand je dis minorités, je ne pense pas qu’aux Kurdes mais aussi aux progressistes turcs qui sont maintenant menacés de mort. Les médias d’opposition ferment les uns après les autres. Les journalistes sont emprisonnés, même le représentant de Reporters Sans Frontières. Il y a trois jours, j’ai reçu un appel de détresse d’une amie turque, une intellectuelle. Son appel suait l’angoisse. En se taisant, l’Union européenne acquiesce à ces répressions et décrédibilise totalement les valeurs qu’elle entend représenter, en Europe comme en Turquie. Si elle veut retrouver une once de crédibilité, l’Union européenne ne devrait pas favoriser l’adhésion de la Turquie mais prendre des sanctions contre le régime.  

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