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Apprentissage, créations d’emploi, créations d’entreprise : les vraies bonnes nouvelles et les moins évidentes derrière les chiffres records de ces derniers jours
©Reuters

Le niveau monte ?

Adecco annonce 3,5 millions de projets d'embauche pour 2019, tandis qu'une étude d'Euler-Hermes prévoit une augmentation des créations d'entreprise de 10%.

Thomas Carbonnier

Thomas Carbonnier

Maître Thomas Carbonnier est Avocat et coordinateur pédagogique du DU Créer et Développer son activité ou sa start-up en santé au sein de l’Université Paris Cité (issue de la fusion Paris 5 et Paris 7). Il est titulaire du Master 2 droit fiscal, du Master 2 droit financier et du D.E.S. immobilier d’entreprise de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.

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Bertrand Martinot

Bertrand Martinot

Bertrand Martinot est économiste et expert du marché du travail à l'institut Montaigne, ancien délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle. Co-auteur notamment, avec Franck Morel, de "Un autre droit du travail est possible" (Fayard, mai 2016). 

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Atlantico : Au total, Adecco a comptabilisé pour 2019 quelque 3,5 millions projets d'embauches. Un chiffre supérieur aux 2,6 millions avancés par Pôle emploi dans sa dernière enquête "Besoins en main-d'oeuvre". S'agit-il d'une vraie bonne nouvelle ou d'un chiffre en trompe-l’œil ?

Bertrand Martinot : Tout d'abord, je ne connais pas la méthodologie adoptée par Adecco pour établir ces chiffres. Et d'une enquête à l'autre (Pôle emploi, l'Apec), les méthodologies sont différentes. Quoi qu'il en soit, tous ces baromètres montrent une très forte augmentation des embauches pour l'ensemble de l'année 2019. D'autre part, ils montrent une progression assez forte de la proportion d'embauches en CDI. Troisième constat - et les chiffres de l'INSEE le corroborent -, il y a une forte progression, également, des créations nettes d'emplois. Donc, que l'on regarde les baromètres prospectifs sur l'année ou les chiffres déjà établis, on constate à chaque fois une augmentation très forte de l'emploi. Il faut donc évidemment s'en réjouir, il n'y a pas de "mais" et de "si". La conjoncture de l'emploi est bonne.

Pour concilier cette très bonne nouvelle avec la réalité que le chômage baisse assez peu, une seule explication, qui est comptable : la population active est probablement très dynamique. Parce que les gens partent de plus en plus tard à la retraite. Le serpent se mord d'ailleurs la queue, parce que plus la conjoncture de l'emploi est bonne, plus les seniors prolongent leur période d'activité ; et par ailleurs, cette bonne conjoncture de l'emploi attire des jeunes sur le marché du travail qui, sinon, seraient restés davantage dans les études. L'explication est comptable puisque la population active est calculée en additionnant les personnes ayant un emploi et celles étant au chômage. La population est donc dynamique, et peut-être davantage que ce que l'on imagine. 

Selon une étude de l'assureur-crédit Euler-Hermes, les créations d'entreprises devraient augmenter de 10% en France, après +9,3% l'an dernier et +6,2% en 2017, soit une septième année consécutive de progression, a souligné Euler Hermes dans un communiqué. Est-ce un indicateur d'un vrai redressement de l'économie française ou s'agit-il d'une fausse bonne nouvelle ?

Thomas Carbonnier : Il s’agit probablement d’un chiffre en trompe l’oeil. Suivants les chiffres publiés par la CCI Entreprendre, depuis 2016 la part des entreprises créés avec des salariés s'élève à 4% seulement ! Les deux tiers des entreprises en France sont des TPE et 30% d’entre elles n'assurent même pas l'équivalent d'un smic annuel à temps plein, charges patronales comprises. Il s’agit souvent de chômeurs arrivant en fin de droits tentent l’expérience entrepreneuriale pour tente de joindre financièrement les deux bouts en fin de mois.

Ainsi, si la création d’entreprises est toujours une heureuse nouvelle, elle est aussi un indicateur des tensions sur le marché du travail, tensions qui n’ont pas été apaisées par le raccourcissement de la durée de prescription des rappels de salaires et le plafonnement indemnités salariales devant le conseil de prud’hommes et les juridictions sociales. Rares sont les travailleurs qui se sentent une âme d’entrepreneur. Beaucoup fondent une Très Petite Entreprise (TPE) uniquement pour tenter de retrouver une source de revenus. Rares sont ceux qui espèrent faire fortune avec une idée innovante. 

Statut  juridique,  montant investi  à la création, niveau de formation, expérience professionnelle du créateur et secteurs d’activités sont des facteurs déterminants pour la pérennité des entreprises… 

L’Etat français est devenu un véritable junkie qui s’est coupé des réalités de terrains. Les impôts sont devenus sa drogue préférée. Il y a recours sans modération et met en œuvre réformes sur réformes sans connaître les préoccupations et des réalités économiques de terrains des travailleurs (salariés ou indépendants). Pauvre France.

Bertrand Martinot : En parallèle, les entrées en apprentissage ont atteint un record en 2018-2019, puisque 310 000 jeunes sont entrés dans le dispositif, selon les chiffres de la Dares, service des statistiques du ministère du travail. La démocratisation de ce type de formation est-elle une bonne nouvelle pour l'économie française ?

C'est une très bonne nouvelle aussi pour l'économie française, qui vient après de très très mauvaises nouvelles. Puisque l'apprentissage, sous le quinquennat Hollande, s'était effondré, la faute à l'apathie des autorités d'alors. Et tout particulièrement sur les premiers niveaux de qualification, là où l'apprentissage a la plus forte valeur ajoutée (sur les niveaux CAP et bac pro). À partir de 2016, à la suite des élections régionales de décembre 2015, ont été portées à la tête des conseils régionaux, des personnalités qui, dans leur quasi-totalité ou dans leur totalité, sont des fervents défenseurs de l'apprentissage. Ce qui n'était pas le cas durant la mandature précédente. Il y avait un certain nombre de présidents, notamment socialistes, qui ne faisaient pas grand chose pour l'apprentissage, car ce dernier était considéré suspect. C'était le cas, par exemple, en Île-de-France, dans les Hauts-de-France. Et désormais, dans ces deux cas, il y a désormais des personnalités très engagées dans l'apprentissage qui ont pris la tête de ces régions. 

Et comme les régions, jusqu'à cette année, étaient à la manœuvre, cela a plutôt influé sur les bons chiffres. Les régions se sont mobilisées financièrement, mais pas seulement. Elles ont également fait joué toutes les synergies qu'elles ont à leur disposition, entre les missions locales, les incitations au CFA à aller recruter les jeunes, à aller sur le terrain ; les synergies, aussi, entre le CFA et Pôle emploi - qui peut aussi orienter les jeunes - ; le travail avec les associations, avec le secteur de l'économie sociale. J'interprète donc ces bons chiffres comme le résultat de ces facteurs et d'une bonne conjoncture générale : quand l'emploi général va bien, l'apprentissage ne va pas mal. 

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