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Apple en guerre contre la veuve et l’orphelin ? Photos, musique, jeux vidéos… tout ce que vous risquez de faire subir à vos héritiers si vous oubliez d’inscrire vos mots de passe dans votre testament
©Reuters

Mort numérique

Aux Etats-Unis, la fille d'un homme décédé a dû mener lutter pendant plusieurs mois contre Apple pour récupérer le mot de passe de son père afin de permettre à sa mère de continuer de jouer en ligne via ce compte.

Fabrice Mattatia

Fabrice Mattatia

Fabrice Mattatia est expert en confiance numérique, ancien conseiller de la secrétaire d'État au numérique, polytechnicien et docteur en droit, . Il intervient dans plusieurs universités, dont Paris I Panthéon Sorbonne et La Rochelle, et dans des grandes écoles comme Télécom ParisTech. Il est également l'auteur de nombreux articles de vulgarisation sur le droit et sur les technologies.

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Atlantico : L'affaire a largement été médiatisée, faisant notamment l'objet d'une interview sur la chaîne CBS et d'un article sur le site du Washington Post. En quoi ce cas est-il emblématique de la difficulté de récupérer l'accès aux comptes numériques en déshérence suite au décès de leur propriétaire ?

Fabrice Mattatia : De manière générale, les comptes numériques sont régis par les conditions d’utilisation que l’on doit accepter lors de l’ouverture, et qui sont de nature contractuelle. Cela signifie que c’est le prestataire de service qui fixe la règle du jeu, et non la loi qui est le plus souvent muette sur ces questions. Or le prestataire a pensé les règles, évidemment, pour des clients vivants, et le cas du décès ou de la transmission aux héritiers a tout simplement été négligé. Ce n’était pas grave au début, mais avec la multiplication des utilisateurs et le passage des années, le nombre de décès d’utilisateurs ne peut que croître. Apple n’est sans doute pas le seul prestataire concerné.

La famille et les héritiers peuvent pourtant revendiquer l’accès à plusieurs catégories de services immatériels :

- comme dans l’exemple que vous citez, les applications téléchargées et payées par le défunt ;

- de même, les livres électroniques, la musique ou les films qu’il a achetés, ou l’abonnement à un site web (Atlantico par exemple) ;

- les mails du défunt (ne serait-ce que parce que les factures des différents abonnements arrivent désormais par mail et non plus par papier !) ;

- ses données personnelles (catégorie fourre-tout, qui peut comprendre par exemple les comptes Facebook et Linkedin) ;

- ses propriétés numériques, comme par exemple la propriété d’un nom de domaine sur internet…

Pour l'instant, à quoi les entreprises éditrices de services Web sont-elles tenues (juridiquement) ?

L’article du Washington Post que vous citez indique que plusieurs Etats américains ont adopté des lois pour régir ces cas. En l’absence de loi, ce sont les conditions générales d’utilisation qui priment. Elles indiquent d’habitude que le mot de passe est strictement personnel.

En pratique, rien ne vous empêche de faire connaître vos comptes et vos mots de passe à votre conjoint ou à vos héritiers (dans votre testament par exemple), ils pourront alors accéder à vos comptes sans problème. C’est sans doute une entorse aux conditions d’utilisation, mais le prestataire ne pourra pas la déceler et cela simplifiera beaucoup les choses pour vos héritiers.

Est-il particulièrement difficile pour un Européen de faire valoir ses droits sur ses données personnelles lorsqu'il utilise un service fourni par un éditeur américain, donc dépendant du droit américain ?

Le problème ne réside pas dans le droit américain, puisqu’il est la plupart du temps muet sur cette question et que ce sont les conditions générales d’utilisation qui s’appliquent.

En revanche, l’absence d’un interlocuteur français peut constituer une difficulté concrète s’il faut s’adresser à un contact aux Etats-Unis, et encore plus s’il faut recourir à des moyens judiciaires pour obtenir les éléments demandés, et que le prestataire dépend des tribunaux américains.

Dans son projet de loi sur le numérique, la secrétaire d'Etat Axelle Lemaire porte l'idée d'un droit à la "mort numérique".  La mesure est encore en cours de discussion au Parlement. De quoi s'agirait-il ?

Plutôt que de « mort numérique », je préfère qualifier cette mesure d’ « héritage numérique ». En effet, le projet de loi ne traite pas d’un droit à disparaître (qui pourrait se discuter, concernant par exemple le compte Facebook du défunt ou les résultats de requêtes sur Google le mentionnant), mais de la manière de transmettre ses données et ses comptes à ses héritiers.

En France, la loi actuelle prévoit seulement que les héritiers d’une personne décédée peuvent exiger la mise à jour des données personnelles pour prendre en compte le décès (article 40 de la loi Informatique et Libertés).

Le projet de loi actuellement en débat au parlement vise à encadrer la transmission des données personnelles aux héritiers, en donnant aux personnes la possibilité d’enregistrer leurs volontés chez un tiers de confiance, comme un notaire. Les personnes pourraient alors décider du devenir de leurs données après leur mort, et de leur éventuelle transmission à leurs héritiers. Tout prestataire devrait informer ses clients du sort de ses données à son décès et leur donner la possibilité d’organiser une communication de ces données à des tiers.

Notons que ce projet de loi concerne spécifiquement les données personnelles. Il ne règle pas la transmission de certains droits (code d’activation d’une application téléchargée ou d’une licence Microsoft, propriété d’un domaine internet, abonnement à Atlantico…), dont la transmission nécessite encore de la réflexion (on peut concevoir qu’un nom de domaine soit légué en indivision, mais Atlantico acceptera-t-il que tous les héritiers d’un abonné obtiennent son mot de passe ?).

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