Antisémitisme : ce que le cas de la fille du couple Garrido/Corbière dit de la galaxie LFI<!-- --> | Atlantico.fr
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Raquel Garrido et Alexis Corbière.
Raquel Garrido et Alexis Corbière.
©Geoffroy Van der Hasselt / AFP

Dérives insoumises ?

Placée en garde à vue pour apologie du terrorisme, la fille des deux députés insoumis dit assumer son antisémitisme. D’autant plus frappant sur les dérives insoumises que ses parents n’en sont, eux, pas du tout soupçonnables.

Frédéric Le Moal

Frédéric Le Moal

Frédéric Le Moal est un historien spécialiste de l'histoire militaire et des relations internationales. Son intérêt se porte notamment sur les Balkans pendant les deux guerres mondiales, sur l'Italie mussolinienne et sur Pie XII.

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Atlantico : La fille des députés Nupes-LFI Rachel Garrido et Alexis Corbière a été interpellée mardi matin par les enquêteurs de la brigade de répression de la délinquance contre la personne. Inès Corbière a été placée en garde à vue pour « apologie du terrorisme » et « provocation publique et directe non suivie d’effet de commettre des atteintes volontaires à la vie » sur les réseaux sociaux. Déclarant que « Je suis antisémite, j’assume » Qu’est-ce que cette décomplexion indique ?

Frédéric Le Moal : Selon moi, cela révèle que le tabou de l’antisémitisme a clairement sauté dans une partie de l’extrême-gauche française sous la pression de deux phénomènes : celui, profond et exponentiel, de l’islamo-gauchisme sur fond de présence musulmane renforcée en France d’une part, et bien sûr l’atroce attaque du 7 octobre perpétrée par les terroristes du Hamas contre Israël, ce qui a conduit les Israéliens dans une opération militaire d’envergure dans laquelle les civils de Gaza paient un prix très élevé. Ces deux éléments ont joué un rôle crucial dans l’affirmation d’un antisémitisme décomplexé, beaucoup moins combattu politiquement et médiatiquement, que celui venant de l’extrême-droite. Il faut rappeler en effet que si la France a été un pays fortement frappé par l’antisémitisme – le pays de l'« Affaire Dreyfus » – l’horreur de la Shoah autant que le traumatisme de la politique collaborationniste de Vichy l’ont extirpé des profondeurs de la population. Le fantasme d’un antisémitisme toujours tapi dans l’ombre a cependant été utilisé par la gauche dite antifasciste pour diaboliser la droite nationale. Les outrances verbales de Jean-Marie Le Pen dans les années 80 ont alimenté le procès en antisémitisme et ainsi permis à la gauche d’accuser cette droite de n’avoir pas encore rompu avec l’héritage de Charles Maurras et du maréchal Pétain. Aujourd’hui, avec l’accélération provoquée par l’attaque sanglante du 7 octobre, les Français découvrent avec étonnement l’existence d’une extrême gauche qui ne cache plus son antisémitisme déguisé en antisionisme. Une découverte très curieuse et tardive, car cette haine des juifs se fait sentir en France depuis plusieurs années.

Est-ce une malheureuse coïncidence ou y a-t-il une collusion entre Nupes-LFI et l’antisémitisme ?

Commençons par rappeler l’existence d’un antisémitisme de gauche dont La France insoumise est l’héritière de nos jours, qui a été nourri par la haine du capitalisme, et ce, dès le XIXème siècle. Avec qui le juif était-il identifié, sinon avec un pur bourgeois, un banquier, un entrepreneur, un financier, un usurier, un exploiteur du peuple ? Autant de stéréotypes que la littérature révolutionnaire du XIXe siècle véhiculait avec une franchise qui déconcerte nos mentalités actuelles. Karl Marx affirmait que « l’argent est le dieu jaloux d’Israël devant lequel aucun autre dieu ne doit subsister ». L’anarchiste Proudhon dénonçait le juif comme « un parasite », Bakounine comme le membre d’une « secte exploiteuse, un peuple sangsue ». Jean Jaurès, l’icône de la gauche française, n’en fut pas exempt. Les communistes du PCF non plus, surtout vis-à-vis du dirigeant socialiste Léon Blum dont ils moquaient « les mains aux longs doigts crochetés ». La litanie de ces horreurs est longue, sans parler de la politique antisémite de Staline au début des années 1950, déjà sur fond d’antisionisme...

Faisons maintenant un saut dans le temps. De nos jours, la gauche révolutionnaire a remplacé le juif par le sioniste, de sorte que son antisémitisme est devenu « décent » pour plusieurs cercles politico-intellectuels. Israël est ainsi dénoncé comme la dernière puissance coloniale, occidentale, « blanche », d’autant plus qu’il refuse la soumission et le repentir en se défendant les armes à la main contre ses ennemis déterminés à le détruire et à récupérer la Palestine « du fleuve à la mer ». Tout cela remonte aux années 1970. Mais il y a un fait nouveau, capital et profond : le changement de population en cours en raison de l’immigration de masse.

La fille Corbière évolue dans un bain culturel antisémite, quand ses parents sont dans l’aile républicaine de leur mouvement. Cet antisémitisme d’atmosphère aura-t-il raison du laïcisme des mouvements de gauche et en particulier LFI ?

L’historien ne peut qu’assister avec un certain effarement aux bouleversements idéologiques en cours. Au tournant des XIXème et XXème siècles, la défense de la laïcité constituait l’alpha et l’oméga de la gauche française, depuis les modérés jusqu’aux radicaux, avec certes des nuances qui ne constituaient pas pour autant des fractures. Il s’agissait d’un marqueur politique très net avec la droite, globalement attachée à l’identité catholique du pays et à une présence forte de l’Eglise dans la société. Or, nous voyons aujourd’hui une partie de l’extrême-gauche abandonner son logiciel laïciste à la faveur d’une politique d’accommodement dont on se demande jusqu’où elle ira. Certes, l’état calamiteux du catholicisme en France et la perte d’influence considérable de l’Eglise rendent inutile le combat pour la laïcité, gagné de ce côté. Mais, un fait nouveau vient tout changer. Si la France est le pays avec la plus grande communauté juive, elle est également celui qui accueille sur son sol la plus importante population arabo-musulmane et sub-saharienne, dont la préférence électorale en faveur de Mélenchon a été révélée lors des élections présidentielles de 2022. A partir de ce moment-là, tout a un sens : La France Insoumise est devenue le parti d’une partie du corps électoral musulman, et soutient de fait la cause du Hamas qu’elle croit hostile à Israël. Le musulman a remplacé l’ouvrier dans le rôle de l’exploité et de la victime de la vieille France bourgeoise et prétendument raciste.

Donc, nous assistons à une guerre interne à la gauche autour de la question de la laïcité qui constitue une déchirure profonde. Qui en sortira vainqueur ? Ce sont les électeurs qui trancheront. A la fin du XIXème siècle, les Français envoyèrent à la Chambre des majorités favorables à la nature laïque de l’Etat en toute connaissance de cause… D’où la loi de 1905. La réponse à votre question se trouve en fait dans les évolutions du corps électoral, comme toujours en démocratie.

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