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Angela m'a tuer ? Le bilan Merkel pour l'économie européenne
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A qui la faute ?

Ce dimanche 1er septembre, Angela Merkel et son challenger, Peer Steinbrück, s'affronteront lors d'un débat télévisé trois semaines avant les élections législatives. Pour le moment, la chancelière reste la grande favorite.

Jacques Sapir,Nicolas Goetzmann,H16 et Jean-Marc Daniel

Jacques Sapir,Nicolas Goetzmann,H16 et Jean-Marc Daniel

Jacques Sapir est directeur d'études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), où il dirige le Centre d'Études des Modes d'Industrialisation (CEMI-EHESS). Il est l'auteur de La Démondialisation (Seuil, 2011). Il tient également son Carnet dédié à l'économie, l'Europe et la Russie.

Nicolas Goetzmann est stratégiste macroéconomique et auteur d'un rapport sur la politique monétaire européenne pour le compte de la Fondapol. 

H16 tient le blog HashtableIl tient à son anonymat. Tout juste sait-on, qu'à 37 ans, cet informaticien à l'humour acerbe habite en Belgique et travaille pour "une grosse boutique qui produit, gère et manipule beaucoup, beaucoup de documents".

Jean-Marc Daniel est professeur à ESCP-Europe, et responsable de l’enseignement de l'économie aux élèves – ingénieurs du Corps des mines.

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Atlantico : Angela Merkel et Peer Steinbrück (le candidat du parti social-démocrate - le SPD) s'affrontent ce dimanche 1er septembre à l'occasion de leur premier et unique débat télévisé à trois semaines seulement des élections législatives fédérales allemandes - le Bundestag désignant le Chancelier fédéral. Trois ans après le début de la crise grecque qui a secoué la zone euro et l'économie mondiale, la politique de fermeté allemande a-t-elle vraiment défendu les intérêts économiques de l'Allemagne au détriment de la zone euro comme le lui reproche beaucoup d'Européens ?

Jacques Sapir : On reproche beaucoup à Madame Merkel d’avoir, si ce n’est provoqué, du moins aggravé la crise de la zone euro en refusant ou en retardant différentes mesures. Ces reproches sont en partie justifiés mais ne prennent pas en compte la dimension structurelle de la situation. La crise de la zone euro n’est pas liée à la politique de la Grèce, ou du Portugal ou de l’Espagne. Fondamentalement, dans une zone monétaire, il faut que les politiques économiques des différents pays soient unifiées ou qu’existent de puissants mécanismes de transferts financiers entre ces pays. Comme l’Allemagne à toujours refusé cette seconde solution (ce que l’on peut comprendre quand on sait qu’elle impliquerait le transfert permanent de 8% à 10 du PIB de l’Allemagne vers les pays de l’Europe du Sud) la seule solution aurait été d’avoir des politiques économiques coordonnées. Or, à partir de 2003, l’Allemagne a décidé de jouer un jeu solitaire, ce que l’on appelle en théorie des jeux "faire défection", avec la mise en œuvre des mesures dites "Harz IV". Mais il faut souligner que la responsabilité en incombe non à Madame Merkel mais à G. Shroeder, son prédécesseur. 
Pour que l’Allemagne puisse jouer à la "vertueuse" fourmi sans provoquer de crise économique encore fallait-il qu’il y ait des "cigales". Si TOUS les pays avaient imité l’Allemagne, l’Europe aurait été plongée dans une récession très violente. En fait, à partir de 2002-2003 et jusqu’en 2008, ce sont les dépenses de la France, de l’Espagne (et secondairement de petits pays comme le Portugal et la Grèce) qui ont tiré la croissance. Depuis le commencement de la crise, ce sont ces mêmes pays qui souffrent terriblement car l’Allemagne se refuse à les aider pleinement et se refuse à porter à elle seule la croissance européenne. L’excédent commercial démesuré (environ 8% du PIB dont 6% sur la zone euro) qu’a accumulé l’Allemagne depuis 2006 a rendu la situation intenable. 
Alors, oui, l’égoïsme de l’Allemagne est bien une réalité, mais cela ne correspond nullement aux intérêts des Allemands et l’importance du phénomène des "travailleurs pauvres" en est une des preuves. L’existence de la zone euro implique que l’Allemagne doive payer, soit directement (et les montants seraient énormes) soit indirectement (en tirant la croissance de la zone). L’Allemagne ne peut pas le faire (pour la première solution) et ne veut pas le faire (pour la seconde). En réalité, Madame Merkel ne peut choisir une politique et c’est cela qu’il faut lui reprocher. Ses conseillers, et ceux du ministre allemand des Finances considèrent aujourd’hui que l’Allemagne ne peut sauver à elle seule la zone euro, ce qui est exact. Mais ils n’ont pas le courage de faire face à la situation en proclamant qu’il faut alors dissoudre la zone euro. Cette indécision est le réel péché de l’Allemagne. 

H16 : Pour répondre à la question, il faut savoir quels sont les intérêts économiques des Allemands, et voir en quoi ils divergeraient des intérêts économiques du reste de l'Europe. Réclamer une monnaie saine, c'est-à-dire basée sur un endettement modéré des Etats, une inflation contrôlée et une fiscalité relativement souple, est-ce un intérêt uniquement allemand ? Ne serait-ce pas le souhait de tout pays gouverné par des gens responsables ? 
Lorsqu'on se rappelle la position des Allemands sur la question monétaire depuis le traité de Maastricht jusqu'à l'Union actuelle et l'instauration de la monnaie unique, les principes de base (inflation étroitement contrôlée, dettes et déficits des Etats dans des intervalles étroits, taux d'intérêts réduits) n'ont jamais été unilatéralement décidés par l'Allemagne : tous les États membres y ont souscrit, tous étaient d'accord il y a vingt ans sur ces critères. Cette "fermeté" qu'on reproche à l'Allemagne, c'est, ni plus ni moins, la cohérence dans la durée et le rappel qu'un traité engage vraiment ceux qui l'ont signé. Effectivement, du point de vue des gouvernements des pays du Sud (et français notamment), pour lesquels les traités sont aussi oubliables que les promesses électorales, pour lesquels la stabilité (fiscale, monétaire) est une vaste rigolade, pour lesquels les déficits et les dettes n'ont aucune importance, cette fermeté allemande semble insupportable : on ne peut plus dévaluer à qui mieux-mieux, c'est-à-dire spolier les épargnants, on ne peut plus voler les salariés par l'inflation, et on ne peut plus appauvrir les générations futures par la dette. Zut alors, c'est insupportable !
En d'autres termes, reprocher à l'Allemagne ce qui a fait le fondement de l'Union depuis vingt ans, c'est lui reprocher d'être un trouble-fête qui casse l'ambiance Pognon Gratuit À Tous Les Étages... Bravo.
En outre, l'Allemagne de Merkel a bel et bien défendu les intérêts de tous les États de la zone euro, parce qu'ils coïncidaient avec les siens : quel serait l'intérêt de l'Allemagne d'imposer des mesures qui lui seraient même légèrement favorables alors que ces autres pays représentent une bonne partie de ses débouchés commerciaux ? Pire : rien n'indique qu'une absence de fermeté n'augmenterait pas de façon significative les avantages concurrentiels de l'Allemagne, au risque d'enfoncer encore plus ses partenaires commerciaux dans la crise. Au contraire même : une monnaie qui file, ce sont par exemple des machines-outils allemandes qui s'exporte encore mieux en dehors d'Europe (10% des exportations de l'Allemagne vont vers l'Asie, par exemple). Dans cette situation, l'industrie française (ou ce qu'il en reste) qui exporte beaucoup moins dans le reste du monde serait laminée (seulement 2% vers l'Asie) ; quant à la balance commerciale française, ce serait un désastre puisque la France importe bien plus qu'elle n'exporte. 

Nicolas Goetzmann :Je ne crois pas à un cynisme allemand. Il me semble que les réformes entreprises sous le mandat de Gerhard Schröder sont réellement perçues comme étant l’unique raison de la réussite allemande. Que les efforts consentis alors sont à l'origine du plein emploi que connaît aujourd’hui le pays, et que les autres pays de la zone se refusent à ces mêmes efforts.
Malheureusement cette perception, pourtant très répandue, oublie un fait majeur. L’Allemagne a opéré ces réformes au sein d’une zone euro qui connaissait alors une croissance de l’ordre de 4% en nominal. Cette croissance s’est effondrée depuis 2008, ce qui rend la tâche impossible aux autres pays, comme nous pouvons le constater. 
La politique de fermeté allemande s’appuie sur la certitude que seule une politique de harakiri budgétaire apportera le salut, ceci au mépris de l’évidente réalité des 12% de chômage en Europe. Au mépris également des politiques de relance monétaire qui sont menées avec succès dans le monde.
Cette confusion provoque un gigantesque gâchis depuis 5 ans, qui aura, comme au Japon, des résonances à long terme.
Jean-Marc Daniel : Je ne pense pas que l’on puisse vraiment accuser les Allemands d’égoïsme à l’égard de leurs partenaires. D’abord, parce que depuis très longtemps, ils ont affiché que leur principe économique de référence est de considérer, à la différence par exemple des Américains, que l’inflation n’est pas un outil de politique économique mais un problème. Ils ont affronté sur ce thème les Américains dès le G7 de Bonn de 1978. Cela signifie que tout pays qui s’associe à eux pour une construction économique partagée-en l’occurrence ici une construction monétaire- doit intégrer qu’il devra renoncer à l’inflation. Et renoncer à l’inflation, c’est renoncer à accumuler de la dette publique car l’inflation reste à ce jour le moyen le plus indolore de se débarrasser de la dette.
Ceux qui ont joué contre les intérêts de la zone, ce sont les pays comme la Grèce mais aussi comme la France qui ont cru que la croissance pouvait se fonder sur le déficit budgétaire et que les conséquences de ce déficit seraient effacées par une inflation entretenue par des dévaluations à répétition. Ceux qui espèrent une dévaluation et qui clament que l’euro est trop fort sont plus coupables que les Allemands des problèmes de l’euro. A ceci, j’ajouterai que non seulement l’Allemagne est par principe opposée à l’inflation et au déficit budgétaire, mais aussi par nécessité. C’est un pays qui vieillit et comme tous les pays qui vont avoir des problèmes de contraction de la population active, elle a besoin de protéger son épargne, c'est-à-dire à la fois de dégager des excédents extérieurs et de tabler sur une monnaie forte pour pouvoir les placer de la façon la plus favorable.

Refus d'achats directs de dettes d'Etats, refus de faire fonctionner la planche à billet, refus de taux directeurs faibles... Sur le plan monétaire, les pressions de l'Allemagne vis-à-vis de la BCE ont-elles été absurdes alors que toutes les autres grandes économies mondiales - Etats-Unis, Japon, Royaume-Uni... - ont menées des politiques opposées ?

Nicolas Goetzmann : Au-delà d’être une politique absurde, c’est une politique d’une lâcheté insupportable. Une politique monétaire n’est pas uniquement un outil de contrôle de l’inflation mais bien le moyen de contrôler le niveau d’activité.C’est-à-dire de contrôler l’inflation ET la croissance, mais ceci semble être oublié.

C’est-à-dire que la politique de la BCE, si inquiète de voir le taux d’inflation s’élever à un taux supérieur de 2.00%, fait ce qu’il faut pour que la croissance soit faible. 
Nous assistons à un arbitrage politique qui consiste à préférer un taux de chômage de 12% plutôt qu’un taux d’inflation supérieur à 2.00%. Voici le choix de Maastricht.
Je n’accuse pas l’Allemagne, le traité de Maastricht a été signé par tous, et je ne vois personne proposer de réformer la politique monétaire pour qu’elle prenne enfin en compte le niveau de chômage comme un objectif.
Ce qui est en effet absurde, et pour schématiser, est qu’un chômeur européen a une utilité économique. Son rôle est de peser sur le niveau d’activité afin d’éviter tout risque d’inflation. Le chômeur grec, espagnol ou français est le pare-feu anti inflation du retraité allemand, hollandais ou autrichien.
La cerise sur le gâteau était ce moment ou Pierre Moscovici évoquait le plein emploi au cœur de l’été, cette phrase révèle un pathétique manque de compréhension du rôle de la politique monétaire au sein de l’économie. Et c’est dans cette configuration que nous allons aborder les élections européennes de 2014.
Jacques Sapir :Il y a bien sûr une dimension folle dans la politique de l’Allemagne, que ce soit sur la question du rachat des dettes ou sur celle des taux d’intérêts. Il est d’ailleurs frappant que l’Allemagne refuse, en réalité, le principe de l’Union bancaire qu’elle n’a de cesse de retarder et de vider de son contenu. Mais, ici encore, il faut éviter de céder à la facilité. 
Tout d’abord, si l’Allemagne (mais aussi la Finlande et d’autres pays) acceptaient une politique monétaire différente, cela constituerait certes une bouffée d’oxygène pour la zone euro mais cela ne réglerait nullement le problème de la divergence des structures économiques entre pays. Ce fut folie de croire que la monnaie provoquerait à elle seule la convergence des structures économiques. Et cette folie, les économistes français en sont aussi responsables que les économistes allemands. Ce fut folie de croire que les pays de la zone euro constituaient l’embryon d’une "zone monétaire optimale". Mais, ici aussi, de cette folie les économistes français sont tout aussi responsables que les allemands ou les néerlandais. Une politique monétaire différente de celle menée actuellement ne résoudrait pas le problème structurel de la divergence économique entre pays, divergence qui se traduit par la divergence du mouvement des gains de productivité et de l’inflation. Or, ce sont ces divergences qui provoquent les déséquilibres massifs de compétitivité au sein de la zone euro, déséquilibres qui sont à l’origine de la crise actuelle.
Ensuite, l’Allemagne a une position cohérente en matière de souveraineté. Il faut que les différentes réglementations européennes soient compatibles avec la Constitution allemande. D’ailleurs, la cour constitutionnelle de Karlsruhe va trancher sur la compatibilité des OMT (Outright Monetary Trancactions) de la Banque centrale européenne cet automne. Nous devrions plutôt nous interroger sur l’incohérence de la position française. Les différents gouvernements, depuis Jospin jusqu’à Ayrault en passant par Raffarin, Villepin et Fillon, se sont précipités pour changer la constitution française à chaque nouveau traité. Les présidents, qu’il s’agisse de Jacques Chirac, de Nicolas Sarkozy ou de François Hollande n’ont pas joué leur rôle de défenseur de la constitution. Tout cela révèle une fuite en avant dans le fédéralisme de la part de l’élite politique française, qui dure depuis maintenant plus de vingt ans. Mais c’est un fédéralisme sans issue car nous sommes les seuls à le porter. Alors, il s’exacerbe dans une haine de la nation que l’on ressent dans des déclarations, tant à gauche qu’à droite. C’est absurde ; ne reprochons pas à l’Allemagne d’être, sur ce point, bien plus cohérente que nous.
H16 :"Des politiques opposées", c'est un peu vite dit. Si les deux institutions (Fed et BCE) n'ont pas tout à fait les mêmes politiques monétaires et les mêmes possibilités, les sous-jacents intellectuels restent les mêmes : une politique keynésienne. Ainsi, pour les taux directeurs, il suffit de regarder la courbe des taux de la Fed et celle de la BCE pour se rendre compte que les deux suivent des mouvements très proches : lorsqu'un taux directeur monte ou baisse, l'autre le suit à quelques mois. On n'est pas, ici, dans des politiques opposées, loin s'en faut.
Mais pour en revenir à l'Allemagne, en réalité, la pression qu'elle a imposée à la BCE, c'est la pression d'un pays qui a compris qu'il avait beaucoup plus à perdre qu'à gagner en laissant s'installer des politiques monétaires permissives, comme l'inflation. La perte de valeur d'une monnaie est, in fine, une perte de confiance. On voit assez bien comment elle débute, on ne sait jamais comment elle peut s'arrêter. L’Inde, actuellement, donne un magnifique exemple de perte de confiance dans sa monnaie, la roupie : cela peut arriver très vite, et toute prétention de contrôle sur ce genre de mécanismes est futile. L'Allemagne a été vaccinée par Weimar. Il semble que les assignats français n'aient pas suffisamment marqués les esprits pour qu'en entende encore certains exprimer le désir humide de faire tourner la planche à billets (ce qu'un rachat direct de dettes par la BCE veut dire).
Il est assez facile pour un dirigeant d'un pays européen en difficulté de désigner l'Allemagne ou Merkel comme "intransigeante", "inflexible", "psychorigide" ou que sais-je, comme bouc-émissaire des problèmes monétaires ou économiques de la zone euro. Il est plus difficile d'admettre une mauvaise gestion chez soi. 
La réalité, c'est qu'il y a une excellente corrélation entre les pays qui, régulièrement, affichent des budgets équilibrés ou bénéficiaires et conservent des économies en bon état, avec un nombre réduit de chômeurs, et une industrie en bonne santé. Inversement, on trouve la même corrélation entre les pays qui empilent déficits sur déficits, jouent avec leur monnaie ou leur fiscalité, et qui génèrent du chômage ou affichent des difficultés industrielles notoires. C'est vrai en Europe, c'est vrai aux États-Unis. C'est vrai au niveau des pays, c'est vrai au niveau d'un département ou d'une municipalité (Détroit est là pour nous le rappeler). Devant ce constat franchement médiocre, peut-être est-il justement grand temps de revenir à des fondamentaux sains ; les politiques que prônent les Allemands actuellement à la faveur de la campagne électorale sont en tout cas un peu plus réalistes que la démarche qui consiste, essentiellement, à faire ce qui a été déjà tenté, avec le résultat qu'on peut mesurer.
Les mêmes causes provoquant les mêmes effets, l'obstination à, par exemple, sauver des banques insolvables, relancer la consommation, tabasser le contribuables provoque les mêmes soucis aigus de trésorerie dans les pays qui choisissent ces méthodes. Et si c'est vrai au niveau d'un pays, on comprend que ça l'est au niveau de toute la zone euro. 
Jean-Marc Daniel : D’abord, la planche à billets, qui correspond à l’achat de la dette publique directement par la banque centrale, n’existe plus nulle part. Le refus de la planche à billets n’est pas historiquement allemand mais américain puisque la Réserve fédérale a été créée il y a exactement un siècle sur le principe du rachat de la dette aux banques mais pas de l’achat direct à l’Etat ; et ce sont les Américains qui l’ont inscrit dans les statuts de la toute première Bundesbank. Par ailleurs, le bilan de la BCE rapporté au PIB de la zone euro est plus important que celui de la Fed ou de la Banque d’Angleterre… La BCE a fait la même chose que les autres banques centrales, avec une logique de fuite en avant dont Ben Bernanke sur le départ est en train de dire que ce n’était peut-être pas optimal...

Le vrai problème n’est pas l’attitude technique de la BCE ou les déclarations en son sein du représentant de la Bundesbank. Le problème est politique. Aux Etats-Unis, la ville de Détroit est en faillite comme en Europe la Grèce. Mais personne ne dit  « nous avons eu tort de laisser Détroit faire partie des Etats-Unis », alors que nombreux sont ceux qui déclarent que les Grecs n’ont pas leur place dans la zone euro. On accuse la Grèce de manquer de compétitivité, mais il y a bien des régions du Sud de l’Europe comme la Corse ou la Sardaigne qui sont moins compétitives qu’elle et que personne ne menace d’exclure de l’euro.

Le problème à résoudre sur le plan politique avec la nouvelle équipe allemande ne sera pas celui du statut de la BCE - les traités sont là et si on n’en voulait pas, il ne fallait pas les signer… - mais celui de l’avenir politique de l’Europe

Angela Merkel est donnée ultra-favorite dans tous les sondages. Ses positions - notamment sur le plan monétaire - peuvent-elles s'assouplir, voire changer dans le cadre de son troisième mandat ? A défaut, quelles en seraient les conséquences pour la zone euro ?

Nicolas Goetzmann : La campagne d’Angela Merkel a été menée en détachement de son parti. Le journal Der Spiegel la déclare "Reine d’Allemagne", et celle-ci se garde bien de redescendre de son piédestal. Elle n’invite pas à voter CDU, mais à faire le choix de l’intérêt du pays. Avec une telle force politique, il est peu vraisemblable que sa position européenne s’assouplisse. Les récentes déclarations du ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, qualifiant d'"erreur" l’entrée de la Grèce dans la zone euro, donnent le ton.
Il ne faut pas oublier que l’électeur allemand "moyen" est une femme de 56 ans, ce qui entraîne une politique de conservation plutôt qu’une politique dédiée au dynamisme et à la jeunesse. C’est-à-dire une politique de strict maintien des prix qui se met en place par une politique de faible croissance de la zone euro. L’intérêt allemand est simplement l’inverse de l’intérêt des pays du sud, et la France en est un. 
L’Allemagne est en situation de plein emploi, un surplus de croissance entraînerait immédiatement une tension sur les salaires et un peu d’inflation. L’électeur n’en veut pas. Dont acte pour les autres pays de la zone.
La conséquence pour la zone euro est de voir une croissance molle s’installer sur le long terme, comme au Japon dans années 1990 et 2000. De voir le chômage stagner à des niveaux insupportables, et que les personnes concernées se retrouvent inemployables à long terme, faute d’avoir pu maintenir leur niveau de qualification. Le chômage conjoncturel devenant structurel à long terme.
Jacques Sapir : Il y a peu de chance que Mme Merkel sorte du dilemme dans lequel elle est enfermée après l’élection de septembre. Bien entendu, certaines choses peuvent changer. Beaucoup dépendra du score du nouveau parti AfD (Alternativ Fur Deutschland) dont les positions sont très critiques par rapport à la zone euro. La véritable question qui se posera après ces élections sera de savoir si, mis devant l’alternative de voir exploser la zone euro ou de provoquer la perte de l’Union européenne, les responsables allemands, comme les y incitent le conseiller du ministre des Finances dans une interview donnée à Die Welt le 17 août, ne se décideront pas à sacrifier l’euro pour sauver l’Europe. Ce serait la voix de la raison, et l’intérêt bien compris nom seulement de l’Allemagne mais aussi des autres pays européens. 
H16 : Sur le plan économique, la situation n'est pas simple : l'Allemagne reste, de fait, solidaire des autres économies de la zone euro, et son avenir, marqué par une démographie peu réjouissante, n'est pas forcément simple. Sur le plan politique, on peut tout imaginer : après tout, il y a peu de chances qu'elle tente un quatrième mandat si elle est élue, et pourrait dès lors choisir de plaire plutôt aux Européens qu'au peuple qui l'a élue.  Cependant, force est de constater que la position de Merkel aurait peut-être pu s'infléchir si elle avait eu, en face d'elle, un président français médiatiquement habile et politiquement aussi ferme qu'elle. Avec François Hollande, elle a clairement les coudées franches de ce côté-là.
Maintenant, est-ce un mal ? Et surtout, quelle est l'alternative à la fermeté ? La mollesse, justement ? Concrètement, que veut-on, que peut-on réellement proposer ? L'inflation, avec les risques énormes que toute parte très vite en sucette, avec des bank-holidays à la chypriote étendus sur toute la zone euro ? La diminution du taux directeur de la BCE, avec l'inévitable formation de bulles, par exemple dans l'immobilier parce qu'actuellement, il n'est pas assez cher, peut-être ? Est-on prêt pour ça ? Quel dirigeant veut être en poste au moment où ceci se produit ?
Il n'y a guère d'alternative. Merkel le sait, et elle sait aussi que si elle veut sauver quelque chose et qu'on s'écarte trop de cette ligne, elle aura tout intérêt à faire sortir l'Allemagne de la zone euro. Dans cette dernière hypothèse, quelles sont les chances de la France, sous Hollande, de tirer son épingle du jeu ? Sérieusement ? 
Jean-Marc Daniel : Mme Merkel n’a aucune raison de changer de position d’autant moins que la zone euro sort progressivement de la crise. L’ajustement a été sévère mais beaucoup de pays hors zone euro ont connu des ajustements tout aussi sévères. La Grèce, qui est le pays qui a le plus souffert, aura cette année le même PIB qu’en 2004. Elle a perdu une décennie mais n’est pas revenue au sous développement qui la caractérisait avant qu’elle ne rejoigne l’Europe.

La conséquence du maintien de la position allemande sera double : d’abord une tendance à l’appréciation de l’euro, surtout au moment où les économies émergentes, qui souffrent d’inflation, vont devoir corriger leur trajectoire de croissance de façon brutale –comme la Grèce ces dernières années … !! - et vont essayer  pour compenser la contraction de leur demande intérieure de baisser leur  taux de change - ; ensuite la nécessité pour la deuxième économie de la zone, à savoir la France de faire les réformes nécessaires, dont la plus urgente est désormais une forte baisse des dépenses publiques. 

Propos recueillis par Olivier Harmant

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