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Alya : ce que les Israéliens oublient de dire sur les raisons pour lesquelles ils se font si pressants dans leur invitation aux juifs de France de venir en Israël
©Reuters

Allez viens ! On est bien !

Il y a un an, à la veille de la marche du 11 janvier et quelques jours après l'attentat de l'Hyper Cacher, Benyamin Netanyahou lançait un appel aux Français juifs à rejoindre l'Etat d'Israël, leur véritable "foyer" selon ses mots. Il avait tenu le même discours après les attentats commis par Mohammed Merah.

David Elkaïm

David Elkaïm

David Elkaïm est fonctionnaire détaché au ministère des Affaires étrangères, chargé de conférences à Sciences Po Paris et chercheur au CF2R. Il est notamment l'auteur aux côtés de Eric Dénécé de l'ouvrage Les Services secrets israéliens (Tallandier, 2014).

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Atlantico : Le Premier ministre israélien a-t-il une attention particulière pour la population juive de France ? Si oui pourquoi cette population juive en particulier ?

David Elkaïm : Cette "attention particulière", qui ne date pas de l’actuel Premier ministre (cf. les déclarations d’Ariel Sharon en 2005), s’explique par la conjonction de deux facteurs.

Premièrement, hormis les Etats-Unis, la communauté juive française est, depuis que les Juifs de l’ex-URSS ont été autorisés à faire leur alya (« montée » en hébreu, terme qui désigne l'émigration vers Israël) à la fin de la Guerre froide, la plus importante du monde avec environ 600 000 membres. L’organisation communautaire de la société américaine et la domination du judaïsme libéral expliquent que les alya des juifs américains restent proportionnellement moins importantes.

Deuxièmement, la montée de l’antisémitisme en France, même s’il faut manier cette idée avec beaucoup de précautions, et, cela est en revanche incontestable, la perpétration de plusieurs attentats antisémites ont créé une grande angoisse dans la communauté juive.

Même s’il ne s’agit aucunement d’un « exode » (contrairement aux anticipations de l’Institut de Politique du Peuple Juif, le « think tank » de l’Agence juive) et que les motivations en sont multiples (certaines sont « identitaires » mais d’autres s’expliquent notamment par des motifs économiques), un nombre croissant de Français (probablement entre 10 et 15 000 personnes en 2015) choisissent de faire leur alya.

Il me parait important de souligner que le discours du Premier ministre sur l’alya est diversement apprécié dans la communauté juive française. D’abord parce que certains Juifs de France ne se sentent pas de proximité particulière vis-à-vis d’Israël. Ensuite, parce que beaucoup estiment qu’un juif qui ne vit pas en Israël n’est pas un juif « incomplet » et que la vie en diaspora n’est pas spirituellement inférieure à la vie en Israël. Enfin, parce que la majorité est profondément attachée à la France et n’envisage pas de la quitter même si la situation n’est pas « totalement réjouissante ». C’est peut-être même à cause de la situation que les juifs de France restent largement sourds aux appels à l’alya : parce que la France est leur pays, ils veulent y rester pour contribuer en citoyens français à la défense des valeurs de la République.

Cette politique qui consiste à inciter les Juifs de la diaspora à faire leur alya est-elle motivée par la volonté de contrebalancer la forte démographie des Palestiniens ? 

Il faut rappeler que, par-delà les clivages politiques, Gauche et Droite israéliennes sont « sionistes », donc favorables à l’alya. En effet, la raison d’être du projet sioniste, qui émerge en Europe dans la deuxième moitié du XIXème siècle, est la création d’un « foyer national juif » pour répondre à la montée de l’antisémitisme (qui se distingue de l’anti-judaïsme par sa dimension « raciale »). Après des débats internes, les membres du Congrès juif mondial créé par Theodor Herzl décident que ce foyer national ne peut légitimement être créé que sur la terre des origines du peuple juif, même si ces origines sont très lointaines et partiellement mythiques : la terre d’Israël, alors sous domination musulmane depuis le VIIème siècle.

Par parenthèse, il convient de souligner qu’en tant que tel, le sionisme n’est pas incompatible avec la création d’un Etat palestinien, du moment qu’il est créé à côté d’Israël et non à sa place !

La création de l’Etat d’Israël en 1948 est donc l’aboutissement du projet sioniste mais ne l’épuise pas : il s’agit désormais de renforcer l’"Etat des Juifs" (selon le titre du livre de Herzl) pour qu’il puisse offrir un refuge à tous les Juifs qui se sentiraient persécutés ou tout simplement qui souhaiteraient vivre au milieu du peuple juif.

Juridiquement, cette vocation d’Israël à accueillir (virtuellement) tous les Juifs du monde est traduite dans la Loi du Retour (1950) qui indique que "Tout Juif a le droit d’immigrer en Israël".

La promotion de l’alya n’est donc pas prioritairement liée au conflit israélo-palestinien mais, dès lors que la perspective de la création d’un Etat palestinien s’éloigne, elle le devient !

Plusieurs membres du gouvernement israélien actuel, et le Premier ministre lui-même en certaines occasions, n’en font pas mystère : ils n’entendent pas évacuer la Cisjordanie dans un futur proche et le moyen le plus sûr de rendre l’occupation pérenne si ce n’est irréversible, c’est de « grignoter » petit à petit des territoires et d’y installer de nouvelles implantations peuplées d’Israéliens. (Sur cette question, il faut préciser que les habitants des implantations ne sont pas tous des « idéologiques » : beaucoup s’y installent non parce qu’ils croient au « Grand Israël » mais du fait d’incitations fiscales et d’une qualité de vie paradoxalement supérieure qu’en Israël même.) 

Or, même si les études démographiques indiquent que les Palestiniens de Cisjordanie sont en phase de transition démographique, c’est-à-dire que la natalité commence à y diminuer, il ne fait aucun doute que d’ici 20 ou 30 ans au plus tard, les « non-juifs » seront majoritaires dans l’ensemble Gaza-Israël-Cisjordanie.

C’est pourquoi des voix s’élèvent depuis longtemps en Israël pour souligner le caractère suicidaire de la politique d’occupation, qui corrompt la société israélienne et est contraire aux intérêts de long terme du pays. En effet, si l’occupation de la Cisjordanie perdure, Israël ne pourra pas rester à la fois Juif et démocratique. Car soit Israël devra in fine accorder le droit de vote à tous les Palestiniens qui, devenus majoritaires, prendront démocratiquement le pouvoir et, alors, Israël perdra son caractère juif (les Juifs y seront en minorité démographique et politique) ; soit ils seront privés d’une citoyenneté pleine et entière (comme c’est aujourd’hui le cas des « Cisjordaniens » qui sont de jure ou de facto sous administration israélienne sans droit de vote mais pas des citoyens arabes israéliens dont la situation est complexe) et là, Israël aura cessé d’être une démocratie puisque la majorité de la population sous son contrôle sera privée du droit de vote.

Les autorités israéliennes ne sont pas préoccupées uniquement par la question palestinienne : au sein de la population israélienne, des juifs ultra-orthodoxes peuvent menacer la cohésion du pays en refusant de faire le service militaire, voire pour d'autres, ultra-minoritaires, en contestant le projet sioniste vu comme une manière de forcer la main de Dieu en provoquant le retour des Juifs en Israël promis par la Bible par des moyens humains. Provoquer l'arrivée massive de Juifs de France peut-elle être une manière pour les autorités israéliennes de marginaliser un peu plus ces populations ?

Je ne pense pas que l’on puisse établir une corrélation directe entre la montée, bien réelle, des religieux en Israël et l’alya des Français.

Tout d’abord, il faut souligner qu’il y a « 50 nuances de noir » (la couleur des habits des haredim ultra-orthodoxes!

Une infime minorité se revendique antisioniste : pour eux, c’est dieu, et non les Hommes, qui doit recréer l’Etat d’Israël, le sionisme est donc sacrilège ! Donc ils habitent en Israël mais ne reconnaissent pas cet Etat, ne votent pas et a fortiori ne font pas l’armée. Pour donner une idée de leur radicalisme, il faut se souvenir que ce sont des rabbins issus des rangs de Netoure Karta, un des groupes de cette mouvance, qui ont participé aux divers sommets organisés en Iran sous Ahmadinejad où ils ont servi d’alibi au milieu de diatribes antisémites, ou encore que, lors de la Journée à la mémoire des victimes de la Shoah qui a lieu chaque année, ils sont les seuls Israéliens à ne pas se figer pendant les minutes de silence.

Les autres groupes orthodoxes participent d’une façon ou d’une autre à la vie de la cité. Si certains groupes sont quiétistes, c’est-à-dire qu’ils ne font pas de politique, d’autres ont créé des partis qui présentent des candidats aux différentes élections et qui, par le jeu du scrutin proportionnel, jouent souvent un rôle charnière dans les coalitions gouvernementales, d’où leur poids politique démesuré. Leurs objectifs vont de la simple défense des acquis (subventions aux yeshivot, les écoles talmudiques, allocations à leurs étudiants, enseignement religieux dans les écoles publiques etc.) à une participation à l’ensemble des débats de politique intérieure mais aussi de politique étrangère. Parmi ces partis, certains ont des positions extrémistes sur la mixité femme-homme, les relations avec la minorité arabe israélienne, la résolution du conflit israélo-palestinien ou plus largement en matière de relations internationales.

Sur la question de l’armée, un compromis a été mis en place dès la création de l’Etat : les religieux peuvent choisir de participer à la défense du pays en priant et en étudiant dans les yeshivot et non en combattant sous l’uniforme. Une loi est d’ailleurs venue limiter les exemptions.

Mais un grand nombre de religieux font l’armée et c’est cela qui suscite des inquiétudes : au-delà des revendications sur la possibilité de faire ses prières pendant le service ou pour la limitation de la mixité, les soldats orthodoxes seront-ils tentés de ne pas exécuter des ordres qu’ils jugeraient contraires à leurs convictions religieuses ? Pourraient-ils, le cas échéant refuser de procéder à l’évacuation d’implantations en Cisjordanie ? Au contraire, sont-ils susceptibles de faire preuve de complaisance face aux actes commis par les juifs contre des arabes israéliens ou des Palestiniens, comme le groupe Prix à payer ?

L’évacuation de la bande de Gaza en 2005 s’est passée sans encombre même si elle reste un traumatisme pour une partie des orthodoxes. Même s’il convient de rester vigilant, les institutions politiques et militaires israéliennes ont jusqu’à présent fait preuve de leur solidité.

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