Alliance LR - RN : les mauvais calculs d’Eric Ciotti<!-- --> | Atlantico.fr
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Eric Ciotti pose avant un entretien sur le plateau de TF1 à Boulogne-Billancourt, près de Paris, le 11 juin 2024.
Eric Ciotti pose avant un entretien sur le plateau de TF1 à Boulogne-Billancourt, près de Paris, le 11 juin 2024.
©STEPHANE DE SAKUTIN / POOL / AFP

Naufrage de la droite

La décision d’Éric Ciotti de nouer une alliance avec le RN a déclenché un tollé chez Les Républicains. De nombreux membres du parti annoncent déjà leur intention de quitter le navire.

Stewart Chau

Stewart Chau

Stewart Chau est Directeur d’études chez Verian.

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Xavier Dupuy

Xavier Dupuy

Xavier Dupuy est politologue, spécialiste de l'opinion. Il s'exprime sous pseudonyme.

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Atlantico : Que pensent les militants et les sympathisants des LR sur les questions internationales, sujets sociétaux, immigration, du RN ? 

Stewart Chau : Lorsqu'on évalue les opinions des militants et des sympathisants des LR sur les questions internationales, les sujets sociétaux et l'immigration, ainsi que sur le RN, il est crucial de tenir compte de l'évolution de l'électorat de droite.

Depuis 2017, cet électorat a subi des changements significatifs, avec une bascule notable d'un nombre considérable d'électeurs traditionnels de droite vers le macronisme. Parmi ces électeurs se trouvent notamment des retraités de plus de 65 ans, principalement issus des grandes villes et appartenant à des catégories sociales élevées, qui ont délaissé l'image traditionnelle de droite. Cette évolution a profondément modifié la sociologie de l'électorat républicain. Ainsi, il semble que la réserve de voix des Républicains ce sont les déçus du macronisme depuis sept ans, et cette réservese situe plutôt donc chez les Républicains modérés. 

Malgré cela, un électorat républicain résiduel demeure, bien que son nombre soit relativement restreint, comme en témoigne son score d'environ 7 % lors des dernières élections européennes. Il existe des convergences idéologiques parfois avec le Rassemblement national, motivées par plusieurs facteurs. Tout d'abord, l'image du RN auprès de ces électeurs s'est améliorée. Au début de 2024, un nombre significatif de sympathisants de droite exprimaient leur souhait d'une alliance entre le RN et le LR, avec un taux d'adhésion de 77 %. Parmi les électeurs LR, 51 % considéraient qu'une telle alliance était une bonne chose dans certaines circonstances.

Ces données soulignent l'importance de l'image perçue du RN et de l'acceptation croissante de la possibilité d'une alliance avec ce parti. Cependant, il est crucial de noter que ces souhaits d'alliance peuvent différer de leur concrétisation, et que des considérations stratégiques et idéologiques plus larges doivent être prises en compte dans les décisions politiques futures.

Que pensent les militants et les sympathisants des LR de l’alliance avec le RN ? 

Stewart Chau : Lorsqu'on se penche sur l'opinion des militants et des sympathisants des LR concernant une éventuelle alliance avec le RN, la question centrale est de savoir si les circonstances justifient une telle démarche, comme le souhaite Éric Ciotti. 

De même, sur la question du danger démocratique et de la participation du RN à l'arc républicain, une grande partie des électeurs LR restants sont convaincus que le Rassemblement national est désormais un parti comme un autre. C'est cette perception qui a motivé Éric Ciotti à franchir le pas et à concrétiser cette alliance.

Cependant, il est essentiel de faire preuve de prudence pour plusieurs raisons. Tout d'abord, il est une chose d'avoir une image positive du RN et de souhaiter une alliance en principe, mais c'est une autre chose que de concrétiser cette alliance. S'allier au RN implique d'avoir un programme commun et de s'entendre sur un certain nombre de points, ce qui pourrait avoir des conséquences significatives.

De plus, je suis surpris par ce que je considère comme une erreur stratégique de la part d'Éric Ciotti, qui pense que la réserve de voix pour les LR se trouve à la droite de la droite. En réalité, bon nombre de ces voix ont déjà migré vers Reconquête ou le RN.

Ainsi, il semble que la réserve de voix des Républicains modérés, déçus du macronisme depuis sept ans, se situe plutôt chez les Républicains modérés. Il est donc étonnant de vouloir diluer cette réserve de voix au sein d'un regroupement de la droite, alors qu'il existe peut-être une opportunité sans précédent pour les Républicains de récupérer ces électeurs modérés mécontents du macronisme. Je considère donc que c'est une erreur stratégique majeure. 

En outre, un autre point important est à souligner. Lorsque l'on examine les résultats des dernières élections européennes, on constate pour la première fois une désertion des plus de 65 ans du camp de la majorité présidentielle. Certains ont voté pour le RN et d'autres ont choisi de ne pas voter du tout. Dans l'ensemble, j'ai le sentiment que les LR se tirent une balle dans le pied en cédant à l'alliance des droites, ce qui entraîne une dilution de leur force politique dans cette union.

Comment évaluez-vous les récentes annonces d'Éric Ciotti concernant l'orientation stratégique du parti, et pourquoi pensez-vous que cette approche pourrait être un mauvais calcul, notamment en s'alignant trop près du Rassemblement National ? Ont-ils forcément besoin de cette alliance avec le RN pour l’emporter politiquement ?

Xavier Dupuy : L'annonce d'Éric Ciotti a surpris, car elle semble être une initiative individuelle ou ultra-minoritaire. Les réactions des principaux cadres élus LR montrent une ligne majoritaire opposée à toute alliance avec la Macronie ou le Rassemblement national. Depuis son annonce, de plus en plus d'élus LR s'expriment contre cette proposition. Ainsi, le souhait d'accord d'Éric Ciotti risque de se limiter à lui-même et à Mme Christelle D'Intorni, députée des Alpes-Maritimes. En dehors de ces deux circonscriptions, cette tentative paraît vouée à l'échec. Le Rassemblement national est en position de force et une alliance avec les Républicains pourrait lui apporter une légitimité supplémentaire, mais l'apport en voix serait discutable.

Parmi les députés LR sortants, la majorité, grâce à leur forte implantation locale, est en mesure de se faire réélire malgré la faiblesse nationale de LR. La démarche de Ciotti semble donc incompréhensible pour ces sortants. Le mauvais score des Républicains aux dernières élections européennes a révélé des faiblesses structurelles du parti.

Le mauvais score des Républicains aux dernières élections européennes a révélé des faiblesses structurelles. Quelles erreurs majeures ont contribué à ce résultat, et quelles leçons peuvent être tirées pour éviter de futurs échecs électoraux ? Le LR pourraient-ils bénéficier d’un large soutien des sympathisants d’Emmanuel Macron par exemple face au RN ou LFI compte tenu des sondages actuels ?

Xavier Dupuy : Il n'y a pas eu d'erreur particulière durant la campagne des élections européennes. Les erreurs des Républicains remontent à bien plus longtemps, avec des divisions internes persistantes et une absence de leadership qui les ont menés à cette situation. La campagne a été menée de façon honnête par M. Bellamy, qui a fait ce qu'il a pu dans ce contexte difficile. Les querelles de personnes ont miné la formation politique depuis des années.


Malgré cela, les Républicains restent la première force politique locale, mais ils peinent à exister au niveau national. Une partie de leurs électeurs s'est tournée vers la Macronie, Reconquête ou le Rassemblement national. Autrefois, les Républicains pesaient entre 25 et 30 % ; aujourd'hui, ils atteignent seulement 7 à 10 %, avec 15 à 17 points dispersés parmi d'autres formations. Pour regagner ces électeurs, ils devront établir un leadership solide et repenser leur position idéologique et leurs propositions.

Pourquoi les électeurs LR seraient-ils aujourd'hui plus enclins à soutenir le RN qu'auparavant ?

Stewart Chau : Un autre point crucial qui explique l'ouverture de certains sympathisants de droite envers les alliances avec le RN est le changement notable de l'image du RN auprès des Français, et donc également des électeurs LR, qui considèrent désormais le RN comme un parti ordinaire.

Pour illustrer cela, quelques chiffres sont éloquents : au début de l'année 2024, lorsque les Français ont été interrogés sur la capacité du RN à participer à un gouvernement, 43 % ont répondu favorablement, un des scores les plus élevés depuis 1984. Pourtant, parmi les électeurs et les sympathisants LR, ce soutien est encore plus massif, atteignant 78 %. Cela indique que les électeurs LR ont largement intégré la normalisation voire la crédibilisation du RN en tant que parti de gouvernement.

Suite au revers des législatives, François Bayrou et Edouard Philippe ont plaidé pour une moindre application du chef de l'État ou pour une alliance avec le PS ou les LR pour faire barrage aux RN. Que souhaitent réellement les militants et les sympathisants centristes par rapport au projet d'alliance avec le PS ou LR pour lutter contre les RN ? 

Stewart Chau : Je n'ai pas de données chiffrées sur les sympathisants de la majorité présidentielle. Cependant, ce qui est remarquable, c'est la réitération du cordon sanitaire, de l'arc républicain, qui a été mis en place dès 2017. Je ne pense pas que ce soit une stratégie très efficace, car elle est usée et fatigante. Bien sûr, ils ont raison de dramatiser la situation, car elle est vraiment dramatique pour la majorité présidentielle.

Cependant, je pense que nous devrions nous engager davantage dans une confrontation politique plutôt que dans une manœuvre politicienne. Les Français, dans leur ensemble, et notamment le cœur de la majorité présidentielle, attendent une exposition claire et convaincante des idées de cette majorité, ainsi que des explications sur les raisons de ses choix. Dans cet exercice démocratique, il est essentiel de voter de manière raisonnée, ce qui signifie voter pour la majorité. Mais cela nécessite un discours argumenté et convaincant. Se cacher derrière l'arc républicain, une fois de plus, ne suffira pas à barrer la route au Rassemblement national, à mon avis.

Quels sont les défis et les opportunités pour les figures majeures du mouvement, telles que Laurent Wauquiez, Valérie Pécresse et Xavier Bertrand, dans le contexte de la réinvention de la droite ? Comment peuvent-ils redynamiser le parti sans céder à l'influence du RN ?

Xavier Dupuy : Pour reconstruire une formation politique de droite, les Républicains doivent revenir à la base et se demander à qui ils s'adressent aujourd'hui. Depuis trop longtemps, ils négligent la population active, ce qui les empêche de gagner des élections. Sans propositions et corpus idéologique en phase avec les actifs, ils ne pourront pas regagner le pouvoir.

On observe la même tendance avec la Macronie : bien qu'ils aient obtenu un résultat de 14%, leur soutien parmi la population active est faible, autour de 10%. Ils ne parviennent à atteindre 14% qu'en rassemblant 25% des retraités. En revanche, le Rassemblement national obtient des résultats élevés parmi les actifs, attirant un électorat qui a quitté la droite et probablement aussi la gauche. Pour atteindre plus de 40% parmi la population active, le RN a forcément pris des voix aux deux camps.

Selon vous, quelle stratégie devrait adopter la présidence du parti pour récupérer les électeurs du centre droit et de la gauche modérée, et comment cette approche pourrait-elle se différencier de celle prônée par Éric Ciotti ?

Xavier Dupuy : Je ne pense pas qu'il soit pertinent de segmenter les électeurs en centre-gauche ou plus à droite. Lorsqu'un mouvement politique s'adresse aux Français, il doit s'adresser à tous. En le faisant, il attirera des personnes venant de divers horizons, intéressées par le projet et le leadership proposés. Un parti ne doit pas se concentrer uniquement sur la reconquête du centre-gauche ou de sa droite.

Un parti politique qui gagne doit rassembler largement, mais pas simplement par défaut. Aujourd'hui, le Rassemblement national semble attirer un électorat varié, souvent par rejet des autres partis plutôt que par adhésion à son projet. Un parti de gouvernement comme les Républicains ne peut se reconstruire et gagner que s'il attire des électeurs par adhésion à son projet.

Pour rebondir avec ce que vous dites, est-ce que ça ne va pas un peu décrédibiliser les Républicains, avec ce qu'a dit Éric Ciotti de proposer une alliance avec le RN ?

Xavier Dupuy : Le spectacle actuel, avec un président de parti prônant une alliance avec le RN tandis que le reste du parti s'y oppose, donne une mauvaise image des Républicains. Cette situation, où la majorité du parti dit non et un président isolé dit oui, rend l'alliance difficilement envisageable. Les Français, notamment ceux de droite, risquent d'être encore plus perturbés par cette division.

Et quelles sont les positions des électeurs centristes sur l'économie, les sujets sociétaux ou l'immigration ? Sur quels sujets les électeurs centristes sont en opposition avec les instances dirigeantes du parti ?

Stewart Chau : Je crois que ce qui va être déterminant pour l'électorat de la majorité présidentielle, c'est, une fois de plus, la capacité d'Emmanuel Macron et de sa majorité à incarner ce qu'ils avaient promis au début de son premier mandat en 2017.

Certes, beaucoup de choses ont changé depuis lors, et nous évoluons dans un monde complètement différent. Mais l'essence même du macronisme, si tant est qu'elle existe encore, doit être prouvée.

Je pense que jusqu'à présent, la majorité présidentielle s'est quelque peu reposée sur ses lauriers en s'appuyant sur le socle républicain. Aujourd'hui, elle doit reprendre les rênes pour réaffirmer son identité, renouant peut-être avec les fondements du macronisme qui ont suscité l'adhésion au départ, et qui pourraient être efficaces pour séduire l'électorat de centre-gauche et de centre-droite. Il s'agit de l'idée même de progrès, qu'il soit social, sociétal ou économique.

Nous n'avons pas vraiment l'impression que cette notion de progrès soit au cœur de ce début de deuxième mandat de Macron, caractérisé par un retour sur certains acquis, avec un discours autoritaire et rigide, qui est sans doute attendu par une partie de l'électorat de Macron, mais qui ne suffit pas. C'est pourquoi je pense, comme je l'ai dit précédemment, qu'il y a une erreur stratégique à penser que la réserve de voix se situe aux extrêmes, alors qu'en réalité, je crois que c'est le bloc modéré du centre qui est la clé, c'est-à-dire la majorité présidentielle. Il est peut-être dans cette dynamique de modération et de nuance que les électeurs attendent les partis de gouvernement, y compris les Républicains, le Parti Socialiste et Europe Écologie Les Verts.

Quant à la question de savoir s'il existe un décalage entre les aspirations des militants et sympathisants et les souhaits des dirigeants, cela pourrait être difficile à déterminer. Personnellement, j'ai une intuition. Je pense que le discours ultraconservateur qui semble être dicté par le gouvernement, et qui s'aligne sur le début du deuxième mandat, est une erreur. Cette idée selon laquelle la seule voie possible est de revenir sur des droits acquis peut fonctionner pour certains électeurs de droite, mais pas pour ceux de centre-gauche, voire du centre.

C'est un peu regrettable, car il y avait des réformes sociétales majeures sur lesquelles le gouvernement aurait pu agir, mais qui ont été mises de côté. Je crois vraiment que pour la majorité présidentielle, le défi est de redonner vie à l'ADN originel du macronisme, centré sur l'idée de progrès et de réinvention de l'avenir, car c'est peut-être là que se trouve le manque de crédibilité et de légitimité perçu par l'opinion publique, tant à l'extrême-droite qu'à la gauche.

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