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Allemagne 1 / France 0 : ce que l’efficacité face au Coronavirus risque de changer aux rapports de force européens
©Odd ANDERSEN / AFP

Reconstruction

Alors que de nombreux pays préparent le déconfinement, l’Union européenne va devoir trouver les ressources et les outils pour surmonter et sortir de la crise économique et sanitaire. L’Allemagne a-t-elle l’avantage en raison de sa meilleur gestion de la crise ?

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Guillaume Klossa

Guillaume Klossa

Penseur et acteur du projet européen, dirigeant et essayiste, Guillaume Klossa a fondé le think tank européen EuropaNova, le programme des « European Young Leaders » et dirigé l’Union européenne de Radiotélévision / eurovision. Proche du président Juncker, il a été conseiller spécial chargé de l’intelligence artificielle du vice-président Commission européenne Andrus Ansip après avoir été conseiller de Jean-Pierre Jouyet durant la dernière présidence française de l’Union européenne et sherpa du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe (Conseil européen) pendant la dernière grande crise économique et financière. Il est coprésident du mouvement civique transnational Civico Europa à l’origine de l’appel du 9 mai 2016 pour une Renaissance européenne et de la consultation WeEuropeans (38 millions de citoyens touchés dans 27 pays et en 25 langues). Il enseigne ou a enseigné à Sciences-Po Paris, au Collège d’Europe, à HEC et à l’ENA.

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Atlantico.fr : Quelles solutions s’offrent à l’Union européenne pour sortir de la crise économique et sanitaire actuelle ? L’Allemagne a-t-elle l’avantage pour mener cette sortie ? 

Guillaume Klossa : Pour ébaucher une solution de sortie de crise, il faut d’abord comprendre la nature de la crise mais aussi celle de ces conséquences. La crise a une dimension symétrique quant à la nature sanitaire du choc : elle touche tous les Européens sans distinction économique, sociale ou culturelle. Mais elle risque d’être extrêmement asymétrique quant à ses conséquences économiques, sociales et politiques … Le risque, c’est que les pays qui ont été les premiers touchés, ceux qui sortiront probablement le plus tard et le plus difficilement du confinement, dont les industries, souvent parce que ce sont aussi les pays les plus touristiques, sont aussi les plus atteintes par la crise, soient également ceux qui ont été les plus touchés par la précédente crise financière : certains pays du Sud de l’Europe. Ce sont à la fois les plus endettés et les plus fragiles. Un enjeu majeur est d’éviter une accélération des disparités déjà fortes entre États membres. On observe déjà une augmentation des spreads Italien et des pays du sud : malgré les interventions de la Banque Centrale, les moyens mis à disposition des États ne sont pas suffisants.

Ce qui se joue, c’est l’avenir de la zone euro et derrière ça, par effet domino, celui du marché intérieur et de l’Union européenne. Or, dans le contexte international actuel, l’UE se trouve très seule pour définir une réponse économique optimale à la crise. Le G7, présidé par les Américains et qui avait joué un rôle clé dans la définition de solutions coopératives de sorties de crise précédentes, est largement aux abonnés absents et le G 20 très peu présent. Dans un monde où les Américains de Trump et les chinois de Xi Jinping jouent un jeu peu coopératif, les Européens pourraient se retrouver seuls comme jamais pour organiser la relance de leurs économies. L’intérêt général est de solidifier le marché intérieur ainsi que la zone Euro au plus vite et pour cela, le budget européen est de loin le meilleur outil.

L’urgence est de sortir des querelles d’hier entre le nord, le sud, l’est et l’ouest, qui ont été sur-jouées notamment lors du débat sur les coronabonds. L’intérêt de l’Allemagne, de la France et de l’ensemble des États membres, c’est d’abord de renforcer la zone Euro et le marché intérieur et de s’accorder très rapiment sur une stratégie de sortie de la crise du COVI 19 par le haut. Pour cela, il faut concevoir une réponse du risque de récession sans précédent dans son ampleur depuis la grande crise des années 30 (comme l’a rappelé le FMI), et qui demande une créativité et une capacité à sortir des intérêts de chacun et à développer une stratégie d’investissement dans l’avenir et dans nos priorités partagées en matière de Green deal (avec la stratégie misant sur une agriculture, une alimentation, une nature et un tourisme durables), de numérisation, de développement démocratique et sociale, de soutien à nos industries stratégiques et à la relocalisation des productions clés… 

C’est un défi de même ampleur, reconstruire l’Europe à partir d’un champ de ruine, qui avait amené Monnet, Schuman et Adenauer à poser les bases d’un nouveau projet européen au lendemain de la guerre. Dans ce contexte inédit, chacun doit sortir de ses positions traditionnelles et faire preuve d’agilité et du sens de l’intérêt commun, insuffisamment présent ces dernières années, A cet égard, le rôle de la France comme de l’Allemagne est clé.

Edouard Husson : Nous sommes en train de voir en direct les deux visages de l'Allemagne. Janus laisse voir ses deux profils. Le premier c'est celui d'une nation efficace parce qu'elle est décentralisée et fondée sur une subsidiarité ascendante de la décision. C'est la société allemande qui a toujours misé sur l'éducation, au sein de laquelle chacun, quelle que soit sa place dans la société, est encouragé à éduquer l'autre dans le domaine où il est le plus compétent. Cette société, en s'appuyant sur ce qu'on appelle sa "discipline sociale", sur ses agences locales de santé publique, sur la coordination entre ses ministères régionaux de la santé et sur une intervention minimale de l'Etat Fédéral, lutte efficacement contre le COVID 19. Le second visage, c'est celui de la même Allemagne absolument dénuée d'empathie pour les autres nations d'Europe, incapable de leadership et de vision pour l'avenir de l'Europe, qui laisse l'Italie du Nord se débattre avec la crise alors que la région la plus durement touchée d'Europe est aussi l'une des plus dynamiques économiquement et l'une des plus utiles et ressemble absolument à l'Allemagne par son réseau dynamique d'ETI, souvent des entreprises familiales. C'est d'ailleurs pourquoi des voix se font entendre en Allemagne, par exemple dans l'industrie automobile qui craint pour ses fournisseurs, pour que le pays se montre plus conciliant sur la question des coronabonds. Mais Angela Merkel - que bien des observateurs en France croient être un génie alors qu'elle est le plus mauvais chancelier de l'histoire de la République Fédérale - ne veut pas, pour l'instant, entendre parler de "coronabonds". Elle a même déclaré devant son parti, lundi dernier, qu'il fallait faire attention, en Allemagne, à réserver l'aide d'état à des secteurs essentiels; parce que si on l'engageait pour le secteur artistique, par exemple, cela justifierait les pays mal gérés du sud de l'Europe dans leurs demandes de soutien. 

Comment financer le plan de relance et de transformation de l’économie européenne que vous proposez ?

Guillaume Klossa : Le meilleur outil est à mon sens le budget européen. Les besoins doivent être définis selon des priorités et projets partagés d’intérêt européen. Et son niveau doit être pensé en fonction des moyens nécessaires à la mise en œuvre des priorités et non être déterminé en fonction d’un pourcentage arbitraire du PIB comme c’est le cas aujourd’hui (1% environ). Pour faire face à l’augmentation du budget de l’Union, il faut de nouvelles ressources propres - Cela peut-être des taxes sur les plateformes numériques globales, sur le carbone, sur les grandes entreprises etc. – mais aussi une augmentation des contributions des Etats membres. Cette augmentation pourrait être financée par des obligations levées par la Commission européenne. 

Qu’en est-il de la question, souvent clivante, de la dette ?

Edouard Husson : L'Italie se bat, sans soutien de la France, pour obtenir des coronabonds. Elle refuse d'entrer dans le MES, à cause des contraintes qui lui sont liées. Le Premier ministre Conte a été très clair là-dessus. Il est prêt à ce que ces "coronabonds" soient limités dans le temps mais il demande que l'on fonctionne comme dans une véritable union monétaire où une région en crise peut être soutenue par l'émission de crédit par la banque centrale ou par des transferts financiers. L'Allemagne n'en veut pas: de son point de vue, il ne s'agit pas de crédit, mais de dette, en allemand, "Schuld", qui veut dire aussi la faute. L'Allemagne, comme je le disais plus haut, est une nation fondée sur l'éducation et la transmission morale qu'elle implique mais ne sait pas penser en termes politiques. Cela s'explique très bien par le passé récent - quand l'Allemagne s'est mise à faire de la politique, elle n'est pas aller puiser dans la philosophie du "bon gouvernement", héritée des Grecs ni dans l'ampleur de vue des constructeurs d'empire romains.Elle a bricolé à partir de Machiavel et de Hegel une philosophie de l'Etat qui a mené à la catastrophe de 1933-1945. Depuis lors, les Allemands se méfient du leadership politique, ils ne veulent pas d'une Europe puissance mais d'une Europe école de la bonne gestion, où chaque société apprendrait à maintenir son budget en équilibre, à penser dans le long terme, à développer une mentalité industrielle. L'Allemagne a groupé autour d'elle un noyau de cette union européenne, qui ne pensent plus en termes de puissance mais de réussite économique et de tranquillité politique. Face à cela, que pèsent les problèmes de l'Italie, nation du XIXè siècle où l'on voulait faire passer le sentiment national avant le réalisme économique? Que pèse la "grande nation" hâbleuse et passablement mal organisée dont le président donne des leçons...d'incompétence à tous ses partenaires? 

A quelles conditions l’Allemagne peut-elle soutenir une plus grande intégration économique?

Guillaume Klossa : L’Allemagne a toujours dit qu’elle était ouverte à plus d’intégration économique et de mutualisation européenne à condition que la dimension démocratique de l’Union soit renforcée. Il faut un grand deal entre la stratégie de relance économique et le renforcement de la démocratie à l’échelle européenne. C’est la seule manière de sortir par le haut, de se renforcer, du dilemme dans lequel les Européens se trouvent actuellement. Entre une profonde solitude, les américains et les chinois jouent leur propre jeu géopolitique et non-coopératif et une nécessité de construire une dynamique nouvelle dans l’esprit du New-deal, si nous voulons sortir renforcer de la crise et non pas marginalisés. 

Quel rôle la France peut-elle tenir ? Ces incertitudes récentes peuvent-elles l’empêcher de discuter d’égal à égal avec l’Allemagne ?

Guillaume Klossa : La France doit co-construire une nouvelle dynamique Franco-Allemande qui soit inclusive (avec notamment d’autres pays comme l’Espagne, la Pologne, l’Italie, mais aussi les pays nordiques). Elle doit renforcer encore sa capacité d’empathie, mais aussi sortir de ses schémas traditionnels pour pousser les Allemands à sortir des leurs. Le talent dont sauront faire preuve le président de la République et de ses équipes est décisif dans cette perspective, mais il faut aussi la bonne volonté de tous les partenaires. C’est un jeu collectif. Il ne faut pas sous-estimer le soutien potentiel de la société civile. Tout ne pourra marcher que dans un esprit de co-construction, avec les acteurs économiques et sociaux et les différentes institutions. Si ce n’est que l’affaire des États et de la France et de l’Allemagne, nous ne réussirons que laborieusement la sortie de crise.

Edouard Husson : Nos dirigeants vivent encore dans l'illusion selon laquelle nos partenaires veulent créer une nation européenne. Mais non, cela fait longtemps que la Finlande a dit qu'elle ne voulait pas payer pour l'Europe méditerranéenne. Les pays de la "zone mark" ne s'intéressent qu'au maintien de leurs bonnes relations économiques avec l'Allemagne. Les pays du groupe de Visegrad savent qu'ils ont trop d'emploi créés par des entreprises allemandes sur leur territoire pour se permettre de soutenir l'Europe du Sud. Si l'on ajoute que la France a toujours snobé l'Europe méditerranéenne pour s'attirer les bonnes grâces de l'Allemagne, et continue à ne pas soutenir, aujourd'hui, l'Italie dans la demande de coronabonds, Paris est de toute façon isolée. Ajoutons que la gestion de la crise du coronavirus nous met dans la catégorie des cancres et détruit définitivement notre crédibilité. Le cancre donneur de leçons ne sera bien reçu nulle part.

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