"Albert et Charlie" d'Olivier Dutaillis : une amitié toute relative…<!-- --> | Atlantico.fr
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"Albert et Charlie" d'Olivier Dutaillis est à découvrir au Théâtre du Montparnasse à Paris.
"Albert et Charlie" d'Olivier Dutaillis est à découvrir au Théâtre du Montparnasse à Paris.
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Atlanti-Culture

La pièce "Albert et Charlie" d'Olivier Dutaillis est à découvrir au Théâtre du Montparnasse à Paris.

Jean Ruhlmann pour Culture-Tops

Jean Ruhlmann pour Culture-Tops

Jean Ruhlmann d’abord professeur d’histoire en collège, est actuellement enseignant-chercheur en histoire contemporaine à l’université de Lille – Charles de Gaulle. Le théâtre est une passion qui remonte à sa découverte du Festival d’Avignon ; il s’intéresse également aux séries télévisées. Il est, avec Charles Edouard Aubry, co-animateur de la rubrique théâtre et membre du Comité Editorial de Culture-Tops.

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"Albert et Charlie"

De Olivier Dutaillis

Durée : 1h 30

Mise en scène : Christophe Lidon

Avec Elisa Benizio, Jean-Pierre Lorit, Daniel Russo

INFOS & RÉSERVATION

Théâtre du Montparnasse

31, rue de la Gaité

75014 PARIS

01 43 22 77 74

http://www.theatremontparnasse.com

2 avril 2023, du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 15h30

Notre recommandation : BON

THÈME

Lorsque fin janvier 1931, Charlie Chaplin invita Albert Einstein à la projection en avant-première des Lumières de la ville, les deux hommes étaient déjà mondialement connus : Einstein depuis le début du siècle, et Chaplin depuis la fin de la Première Guerre mondiale.

Le parti-pris de la pièce consiste à les faire se retrouver à divers moments-clé de leurs parcours respectifs (1938, 1941, 1947, 1952). Les deux monstres sacrés engagent à chaque fois une discussion à bâtons rompus sur toutes sortes de sujets d’actualités, ainsi que sur leurs réalisations.

Ces échanges ont lieu sous la surveillance étroite mais empathique d’Hélène, la gouvernante allemande d’Herr Professor Einstein, qui filtre les visites d’admirateurs (ou – trices), et s’emploie à limiter les poussées de colère d’un grand physicien à la santé fragile, vouant à ce dernier comme à Chaplin une admiration sans bornes.

POINTS FORTS

Depuis le succès considérable du Souper, la mode est aux tête-à-tête et après tout, si les salles sont bien garnies, comme c’est le cas ici, c’est un sous-genre respectable et un vecteur de diffusion de l’histoire à un public populaire et curieux.

En l’occurrence, Albert et Charlie passe en revue les grandes secousses contemporaines et américaines que furent la montée en puissance du nazisme, l’invention de la bombe atomique, la guerre froide, le harcèlement médiatique et le maccarthysme, qui poussèrent Chaplin à un départ des Etats-Unis sans retour en septembre 1952.

D’autres questions sous-jacentes sont bien présentes, telles que l’exil, les entourages familiaux sacrifiés, les embarras de la notoriété, les engagements de l’un ou l’autre, et les ressorts créatifs de chacun des deux génies. En l’espèce, Einstein tablait plus sur l’intuition et l’imagination, alors que Chaplin, le saltimbanque, est un réalisateur et un comédien maniaque du détail et de la répétition.

La gravité des sujets abordés est atténuée par les interventions impromptues d’Elisa Benizio en gouvernante “sehr kokasse“ à l’accent prononcé, et par les passages consacrés aux petites manies des uns et des autres. Einstein, grand amateur de cervelas n’en est pas dépourvu, et Chaplin, qui célèbre en lui« l’homme qui dit “non“ à la chaussette ! », avoue son penchant pour le “Pie aux rognons“ de son enfance britannique.

La mise en scène nous propose une série de rencontres dans le bureau du célèbre physicien à Princeton. Le décor, assez judicieux, est formé d’un tableau noir à la forme appropriée, couvert de figures et de calculs, surmonté d’un écran-hublot cinématographique montrant le cadre de Princeton à diverses saisons, en alternance avec les images fixes ou animées d’événements auxquels il est fait allusion dans la discussion.

QUELQUES RÉSERVES

Le double écueil - que Le Souper avait si bien su éviter - est celui d’un didactisme trop poussé, et de l’invraisemblance des personnages et/ou des dialogues fictifs prononcés par eux. Or ces risques ne sont pas toujours évités, notamment quand le cahier des charges conduit nos deux compères à aborder les grands sujets qui turlupinent l’un ou l’autre de ces deux géants. C’est ainsi que l’on n’évite pas une sorte de « Et Dieu dans tout ça, Albert ? » ou encore des assertions qui frisent le ridicule, comme ce « A nous deux, nous aurions peut-être pu éviter Hiroshima » dans la bouche de Chaplin…

De la même manière, des dialogues qui “claquent“ bien sur scène, comme cet échange :

- Charlie [à propos de la mise au point de la bombe A] : « Vous aviez prévu que la bombe atomique découlerait de votre théorie ?

- Einstein : « A votre avis, l’homme de Cro-Magnon, quand il frottait ses silex, il avait prévu l’incendie du Reichstag ? »

… sont parfaitement spécieux, puisque, sauf erreur, Einstein en personne s’attacha à convaincre le président américain Fr. D. Roosevelt de la capacité d’énergie provoquée par la fission atomique et de l’urgente nécessité de prendre de vitesse le IIIe Reich dans la mise au point de l’arme qui l’utiliserait.

Il y a par ailleurs fort à douter que Chaplin soit venu en 1938 recueillir la caution d’Einstein pour la réalisation de son Dictateur.

De plus, bien souvent, les deux protagonistes se lancent des compliments et des amabilités à jets continus, ce qui peut lasser à la longue, tout comme le procédé d’exposition consistant à faire dire à Einstein des tirades débutant invariablement par « Vous savez, Charlie…. ».

Le plus gênant dans l’affaire n’est pas que Chaplin ait la même voix que Michel Blanc, mais bien plutôt qu’Albert et Charlie, à qui incombent des sujets aussi nombreux et conséquents, l’on ne sente pratiquement à aucun moment la nature exacte de la relation entre les protagonistes, en dehors d’une estime et d’une admiration réciproques de bon aloi.

On passe ainsi d’une série de rencontres assez chiches en intensité sentimentale et amicale à un final “tire-larmes“, sur fond musical de Schubert et de visions cosmiques en arrière-plan.

ENCORE UN MOT...

Au total, une comédie bien “sympathoche“ sur deux monstres sacrés empreints d’humanité et de nobles idéaux pacifiques, plongés bien malgré eux dans une époque d’extrémismes et de violence guerrière aux antipodes de leurs valeurs et convictions.

Mais la pièce recèle peu de surprises, alors que la capacité à les provoquer auprès de leurs publics respectifs constituait le point fort de l’un et de l’autre de ces deux génies…

Il y a tout même comme une vérification de la théorie de la relativité, mais aux dépens du spectacle, puisqu’en raison de la densité historique de la période couverte, la pièce semble durer plusieurs fois son heure et demie effective ...

UNE PHRASE

Albert [à Charlie] : « Ce que j’admire le plus dans votre art, c’est son universalité. Vous ne dites pas un mot, et pourtant le monde entier vous comprend.

Réponse de Charlie : C’est vrai, mais votre gloire est plus grande encore : le monde entier vous admire, alors que personne ne vous comprend… »

[…]

Albert : « Quand je travaille, je me demande comment Dieu a créé le monde. Je veux connaître ses pensées. Tout le reste n’est que détails ! »

Charlie : «Hitler et Charlot ont la même moustache. Je pense qu’Hitler me l’a volée pour s’approprier la popularité de Charlot… Voilà au moins un putsch qui a échoué ! »

L'AUTEUR

Olivier Dutaillis, après un cursus étudiant aussi robuste qu’éclectique (classes préparatoires scientifiques, Ecole nationale vétérinaire d’Alfort, Lettres modernes à Paris VIII), devient écrivain (six romans), scénariste (d’une douzaine de films), dramaturge et metteur en scène.

Au théâtre, on lui doitune douzaine de pièces, dont L'Inventeur mirobolant (prix du Spectacle jeune public).

Albert et Charlie est la plus récente de ses oeuvres. Sa prédilection pour des sujets impliquant les sciences s’explique peut-être par son parcours étudiant, d’abord orienté vers les études vétérinaires.

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