Ajustement ou vrai remaniement ? Voilà comment Emmanuel Macron est en train de nous prouver qu’il n’a toujours pas compris comment respecter les institutions<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et Elisabeth Borne lors d'un Conseil des ministres.
Emmanuel Macron et Elisabeth Borne lors d'un Conseil des ministres.
©STEPHANIE LECOCQ / POOL / AFP

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Emmanuel Macron continue d'agir comme si la Ve République était un régime présidentiel en ne laissant aucun espace à la Première ministre qui devrait pourtant être la cheffe d’une majorité parlementaire.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Avec une majorité absolue, la Ve République est un régime présidentiel. Avec une majorité absolue différente de la couleur du président de la République, la Ve République est un régime parlementaire et c’est ce qu’on a vu lors des périodes de cohabitation. Emmanuel Macron continue à la pratiquer comme si elle était un régime présidentiel en ne laissant aucun espace à la Première ministre qui devrait pourtant être la cheffe d’une majorité parlementaire. À quel point cela nuit-il au bon fonctionnement de la Ve République ?

Christophe Boutin : Nous ne sommes absolument pas dans une période de cohabitation : il n’y a pas actuellement, et l’absence de possibilité de vote d’une motion de censure à l’encontre des projets présidentiels mis en musique par le gouvernement le démontre parfaitement, une majorité à l’Assemblée nationale radicalement opposée au président Macron. Il y a simplement ce que l’on peut qualifier de majorité relative et non pas absolue pour la coalition présidentielle, qui doit de ce fait chercher des appuis, texte par texte, auprès d’autres formations - au premier rang desquelles soit le groupe LIOT soit celui des Républicains – pour obtenir leur vote sans épreuve de force. 

Par ailleurs, lorsque vous dites que la Cinquième est un régime présidentiel lorsque la présidence dispose à la Chambre d’une majorité absolue, vous faites une erreur très commune : le « régime présidentiel » désigne en effet un type de régime politique particulier, celui des États-Unis, dans lequel il y a une séparation stricte des pouvoirs exécutif et législatif. Sous la Ve République, et notamment bien évidemment depuis l’élection de son Président au suffrage universel direct, nous avons un régime de « parlementarisme rationalisé » qui s’est très nettement « présidentialisé », « l’arbitre » initial étant devenu « le capitaine » pour reprendre une formule bien connue, mais pas un régime présidentiel. 

Dans ce cadre, effectivement, les articles 20 (« Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation ») et 21 (« Le Premier ministre dirige l'action du Gouvernement ») de la Constitution passent au second plan : c’est bien, hors cohabitation du moins, le chef de l’État, le président de la République, qui fixe les grands axes des réformes, et qui est ensuite plus ou moins pesant dans le contrôle de l’exécution de ceux-ci par ce qui reste « son » gouvernement.

Il n’y a donc pas ici de transformation du régime, pas de manœuvre de la part d’Emmanuel Macron. Tout au plus la situation actuelle démontre-t-elle, une fois de plus, l’incroyable faculté d’adaptation de cette constitution de la VeRépublique, qui a effectivement permis de fonctionner avec le fait majoritaire - la cohérence entre majorité présidentielle et majorité parlementaire -, mais aussi, en période de cohabitation, quand ces deux majorité étaient contraires, redonnant du pouvoir au Premier ministre bien plus d’ailleurs qu’au Parlement, et le permet encore dans la situation actuelle, qui voit cette fois le Parlement retrouver un rôle nouveau. Y toucher par une révision incontrôlée serait, il convient de le rappeler une nouvelle fois, faire courir un grave risque non seulement à nos institutions, mais aussi à notre pays.

A minima, Emmanuel Macron ne devrait-il pas donner au Premier ministre suffisamment d’autonomie politique pour s’adapter aux rapports de force au sein du Parlement ?

Mais cette autonomie lui est pleinement laissée par Emmanuel Macron. Évoquant les fameux cent jour d’apaisement il a simplement demandé alors à Élisabeth Borne d’essayer d’élargir sa majorité parlementaire - ce que cette dernière n’a aucunement réussi à faire. Mais elle dispose actuellement de tous les moyens pour s’adapter aux différents rapports de force au sein du Parlement - et il faut rappeler ici que l’usage de l’article 49 al.3 fait partie de cette adaptation, qu’il n’est en rien inconstitutionnel, en rien contraire, au bon fonctionnement de la Ve République. Par l’usage de l’article 49 al.3 le Premier ministre met en effet en jeu sur un texte l’existence même de son gouvernement, et si les députés votent une motion de censure, le texte comme le gouvernement disparaissent. Si les députés se refusent actuellement à voter une telle motion de censure, la balle est en quelque sorte « dans leur camp ». 

Par ailleurs, Elizabeth Borne a tout à fait les moyens pour négocier avec les différentes formations présentes au Parlement les textes qu’elle prépare, qu’il s’agisse de la future loi sur l’immigration ou des prochains textes budgétaires. Elle est libre d’instaurer un dialogue préalable, de tenir compte de ce qui peut être dit lors de l’examen des textes en commission, d’amender, de faire évoluer les textes jusqu’au dernier moment. Et si, sans doute, elle reste parfois sur ses positions initiales parce que telles sont les demandes présidentielles, personne ne la force à rester à avaler des couleuvres.

En conservant Élisabeth Borne à son poste, le chef de l’État ne vient-il pas apporter la preuve que le poste de Premier ministre est une coquille vide aujourd’hui ?

Pas plus qu’en conservant Georges Pompidou à son poste Charles de Gaulle ait prouvé que le poste était une coquille vide. Le Premier ministre est un partenaire plus ou moins important du chef de l’État, mais rappelons que lors des premiers gouvernements du Général de Gaulle celui-ci faisait remplir ses premiers ministres, Michel Debré comme les autres, une lettre de démission en blanc, montrant bien qui était à même de décider in fine. 

Ce que prouve le « maintien » d’Elizabeth Borne, beaucoup plus que la question de la coquille vide, c’est la difficulté pour la macronie à se renouveler. Prendre un Premier ministre dans l’un des groupes alliés, qu’il s’agisse du MoDem de François Bayrou ou d’Horizons d’Édouard Philippe serait fragiliser Renaissance. Il faut donc rester dans ce vivier… peu rempli de personnalités séduisant les Français.

Mais c’est toute la séquence que nous venons de vivre qui est tout à fait inhabituelle. D’abord, le président de la République n’a pas prononcé un discours du 14 juillet devenu traditionnel - même s’il n’est en rien obligatoire -, et dans lequel il aurait pu tirer le bilan des fameux cent jours d’apaisement. Ensuite, quand il y a un remaniement, traditionnellement, le Premier ministre remet sa démission au chef de l’État, qui éventuellement le reconduit dans ses fonctions, lui demande de former un nouveau gouvernement en lui laissant pour cela le temps nécessaire, gouvernement dont la présentation sera faite par le secrétaire général de l’Élysée sur les marches du Palais. 

Rien de tout cela ici : un communiqué de presse nous annonce seulement qu’Elizabeth Borne est « maintenue » comme Première ministre ; on décale d’une journée le Conseil des ministres, comme pour permettre de réaliser en un jour seulement ce que l’on appelle à l’Élysée des « ajustements », autrement dit des modifications a minima de l’équipe gouvernementale, dont la nouvelle composition devrait être annoncée là encore uniquement par un communiqué de presse. 

Il s’agit ici de montrer que rien ne change, et que le maître des horloges ne remet absolument pas sa pendule à l’heure. Or il est permis de penser qu’Élisabeth Borne espérait, elle, bien autre chose : qu’elle bénéficie d’une reconnaissance officielle de son travail pendant les cent jours, comme de pouvoir remanier de manière plus large, pour donner un vrai élan à son nouveau gouvernement. Mais le Président lui coupe d’autant plus l’herbe sous le pied qu’est annoncée une prise de parole présidentielle définissant le nouveau cap après le « réajustement »… C’est en cela, par ce mépris affiché et assumé, qu’est la nouveauté du rapport entre Président et Premier ministre.

Dans quelle mesure Emmanuel Macron a-t-il aggravé la crise touchant la Ve République depuis plusieurs décennies ?

Emmanuel Macron a aggravé la crise touchant la Ve République depuis des décennies en augmentant un peu plus encore la rupture existant entre la caste dirigeante et le peuple, et ce de deux manières. 

La première a été d’accentuer la dérive qui confie la réalité du pouvoir aux conseillers élyséens, jeunes gens sans doute forts brillants, mais qui, d’une part, n’ont absolument jamais été confrontés à la réalité de la politique - notamment à la question de l’élection – et qui, d’autre part, ont effectué l’essentiel de leur parcours au sein d’une caste bien éloignée des réalités de la « France périphérique », nomenklatura consanguine épicée seulement d’un zeste de discrimination positive. Avec Emmanuel Macron, ce sont ces conseillers au moins autant – et sans doute plus – que nombre de ministres qui orientent les choix – et il y a à ce point osmose que l’on voit certains conseillers du château devenir ministres. 

On objectera qu’une haute administration coupée des réalités n’est pas une nouveauté, mais ces favoris du Prince, comme lui obsédés d’appliquer les méthodes des cabinets de consultants et de faire ces allers-retours entre public et privé qui arrondissent les carnets d’adresse un jour et les fins de mois le lendemain, n’ont rien à voir avec cette haute administration que la « constitution administrative » de la Cinquième république avait mise en place et dont Emmanuel Macron détruit d’ailleurs les « grands corpos » l’un après l’autre.

La seconde manière d’aggraver le divorce a été – mais pas plus et pas moins que ses prédécesseurs – de refuser de demander au peuple son arbitrage sur certains sujets. Or le référendum était conçu dans l’esprit même du Général, De Gaulle, qui en a usé pour cela et comme cela, comme un élément d’équilibre institutionnel. Il est en effet – avec les élections législatives à la suite d’une dissolution – le seul moyen pour cet arbitre devenu capitaine de prouver qu’il dispose d’une légitimité suffisante pour imposer ses choix. L’historique de cette rupture est d’ailleurs la thématique de l’ouvrage que nous avons consacré au sujet avec Frederic Rouvillois, Le référendum, ou comment redonner le pouvoir au peuple, publié il y a quelques mois.

La Ve République devait être la rencontre « d’un homme et d’un peuple », comme le rappelait son fondateur en évoquant l’élection présidentielle au suffrage universel direct. La captation du pouvoir par une caste autiste qui ne répond pas aux inquiétudes du peuple s’est logiquement accentuée sous la présidence de celui qui n’est jamais que son meilleur représentant. Quousque tandem ? 

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