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Les Français seraient selon une chercheuse les inventeurs de l'amour !
Les Français seraient selon une chercheuse les inventeurs de l'amour !
©Allociné

Serial lover

La chercheuse Marilyn Yalom vient de publier "How the French Invented Love" (Comment les Français ont inventé l'amour), livre dans lequel elle développe la théorie selon laquelle l'amour est bien "made in France" en s'appuyant sur plus de 900 ans de littérature française.

Sylvie  Freyermuth

Sylvie Freyermuth

Sylvie Freyermuth est professeur de langue et littérature françaises à l'Université du Luxembourg. Elle est notamment à l'origine d'un cycle de conférences consacré à l'amour dans la littérature française.  

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Atlantico : La chercheuse Marilyn Yalom vient de publier How the French Invented Love, 900 Years of Passion and Romance (Comment les Français ont inventé l'amour, 900 ans de passion et de romance) dans lequel elle développe la théorie selon laquelle l'amour est bien "made in France", s'appuyant sur plus de 900 ans de littérature française. Existe-t-il vraiment un amour à la française dans notre littérature ?

Sylvie Freyermuth : Pour affirmer qu’il existe ou non un "amour à la française" dans notre littérature, il est indispensable de parfaitement connaître celle des autres pays. Votre question, qui fait référence à l’ouvrage de Marilyn Yalom, implique donc une réponse qui s’ancre dans le champ de la littérature comparée, parce qu’elle évoque implicitement des propriétés inhérentes aux représentations littéraires françaises de l’amour par opposition à celles des autres pays.

La littérature française du Moyen Age a essaimé dans les pays d’Europe voisins, notamment en Allemagne et en Italie, à travers la poésie des troubadours (en Oc, c’est-à-dire au sud de la France) et des trouvères (en Oïl, au nord de la France). Ainsi, Dante est profondément influencé par la lyrique courtoise française et la "Fin’amor" qui s’y rattache. Son recueil poétique Vita nuova, célébrant son amour pour Béatrice, en est un excellent exemple. Ou encore, la tradition des "Minnesänger" qui étaient des poètes allemands chantant l’amour courtois, dit clairement le rôle de la "Fin’amor" française joué par-delà les frontières. Si l’on considère cette influence venue de France, on peut dire en effet qu’il existe en littérature, du moins dans son origine, une représentation de l’amour "à la française". Le Roman de la Rose[1] "ou l’art d’amors est tote enclose"[2] est bien une somme cryptée de l’amour et de l’érotisme chevaleresques français, qui a servi de référence durant des siècles aux modèles de l’amour en Europe.      

En quoi est-il différent des autres ?

Dans une Europe où les intellectuels n’ont cessé de se déplacer et d’échanger depuis la Renaissance, il est bien difficile de défendre l’idée d’une spécificité de la représentation littéraire française de l’amour, car cela implique un cloisonnement incompatible avec cette circulation des modèles d’un pays à l’autre et des échanges qui ont pu, sinon gommer, du moins estomper certaines particularités nationales. On pense aussitôt à L’Amour et l’Occident de Denis de Rougemont, qui, pour avoir paru à la veille de la Seconde Guerre mondiale n’en est pas moins pertinent. Il n’est pas question ici d’une particularité française, mais de celle de nos sociétés occidentales dominées par le combat entre Eros (amour-passion tout en tension), et Agapè (amour chrétien qui mène à l’apaisement).

L'influence de notre littérature, depuis la poésie lyrique du XIIe en passant par l'amour courtois a-t-elle vraiment eu un impact sur la manière de concevoir l'amour dans notre société ?

Je crois que la littérature ne doit pas être envisagée comme une entité autonome, mais au contraire mise en relation avec les contextes dans lesquels elle s’épanouit et qui témoignent de l’activité de l’intelligence des hommes dans tous les domaines (historique, philosophique, politique, scientifique, économique, artistique etc.). Les œuvres littéraires s’en font l’écho ; elles constituent une force d’interrogation et une voix critique adressées à nos sociétés. Dès lors, il me semble possible de parler d’une influence de la littérature sur la manière de concevoir l’amour dans notre société, mais elle n’est pas unilatérale.

Le français a acquis la réputation d'être la "langue de l'amour". Dans quelle mesure la littérature française a-t-elle participé à cette renommée ?

Je voudrais vous demander si vous savez d’où vient cette réputation de la langue française dont vous me parlez. Car une réputation se construit à travers le regard porté sur quelque chose ou quelqu’un, donc à travers la perception que les autres ont du phénomène ou de la personne. En l’occurrence, qui est à l’origine de ce regard subjectif ? Pensez-vous au monde anglo-saxon, par exemple, qui a forgé la représentation du "French lover", cette personne qui témoigne d’une nette propension à aimer le sexe ?

Vous savez, la littérature française aborde de très nombreux sujets autres que l’amour. Mais si l’on dit effectivement que le français est "la langue de l’amour" (ce qui résonne tout de même à mes oreilles comme un cliché), je pense que cela tient au fait que notre littérature lui a offert une place non négligeable. En outre, les représentations de l’amour trouvent chez les auteurs français, aussi bien féminins que masculins, une variété d’ordre générique, esthétique et stylistique absolument remarquable. Par exemple, l’amour représenté durant le règne de Louis XIV, c’est-à-dire dans le Grand Siècle entièrement dominé par le souci de la norme et de la rigueur classique au service d’un absolutisme monarchique, est totalement libéré au siècle suivant (XVIIIe siècle) dans le roman licencieux. Point n’est besoin de citer les excès de Sade, il suffit d’évoquer Les liaisons dangereuses, dont les lettres confrontent dans toutes leurs nuances les pratiques et sentiments amoureux des épistoliers, et qui demeure le chef d’œuvre de virtuosité stylistique d’un militaire de carrière. Ou encore, l’exacerbation romantique des sentiments  trouve un contrepoint incisif dans l’ironie avec laquelle Flaubert maltraite ses personnages. Dernier exemple, contemporain celui-ci, pour illustrer la variété littéraire française que j’évoquais : que dire des romans de Jean Rouaud L’imitation du bonheur et La femme promise, si ce n’est que la représentation du sentiment amoureux qui y est donnée constitue un plaidoyer pour les capacités de transcendance de l’être sincèrement et profondément épris vers le beau et le bien.

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[1] : Composé en deux périodes par  Guillaume de Lorris (aux environs de 1230) et Jean de Meung (après 1275). 

[2] : Citation en ancien français. Traduction : « où se trouve contenu tout l’art d’aimer ». 

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