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Aides sociales, Aquarius et cie… Pourquoi Emmanuel Macron n’a pas peur de sa majorité
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Sans peur...et sans reproches ?

Pour le parti LREM, Emmanuel Macron est non seulement le "père fondateur", mais aussi le "père la Victoire".

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : De la question migratoire avec l'Aquarius à celle des aides sociales, Emmanuel Macron se trouve confronté à certaines tensions internes au parti, mais a pu assumer sa position de refus d'un virage social, notamment au travers son discours au congrès annuel de la Mutualité. En quoi l'absence de corpus idéologique réel de LREM - reposant presque exclusivement sur la personne d'Emmanuel Macron- empêche toute réelle fronde interne, au contraire de ce qui a pu arriver à François Hollande entre 2012 et 2017 ? En quoi Emmanuel Macron peut-il échapper à toute accusation de "trahison" de la part des LREM ? Comment expliquer cette affirmation qui semble marquer la fin du "en même temps" ?

Jean Petaux : Le propre d’un parti de type « césariste » reposant sur une personnalité plus ou moins charismatique qui a fondé cette formation politique ou qui a conduit ce parti à la victoire c’est son fonctionnement entièrement asservi aux décisions du leader. Pour LREM, Emmanuel Macron est non seulement le « père fondateur » (dans l’absolu cela vaudrait déjà un fort degré de soumission et d’obéissance) mais aussi le « père la Victoire » (puisqu’il était sur la tombe de Clémenceau, le bien nommé, mercredi). Et cette victoire, totale, dans des proportions inespérées a été à la fois double (présidentielle et surtout législative puisqu’elle s’est manifestée par un « tsunami » LREM) et obtenue en un temps record après la fondation (un peu plus d’un an). Cet enchainement des faits explique à lui seul l’absence totale d’opposition à Emmanuel Macron dans ses propres rangs. Bien évidemment on entend des individualités qui s’expriment, qui rechignent, qui grognent, mais ces personnalités ne parlent qu’en leur nom propre. Elles n’ont, pour l’heure, aucun effet d’entrainement. Les adhérents (si tant est qu’il y en ait d’ailleurs) de La République En Marche gardent une confiance absolue en leur chef et il ne faut pas imaginer que ce « peuple » macroniste va exprimer une quelconque réserve à l’égard des choix opérés par le « leader ». Pourquoi le ferait-il d’ailleurs ? Contrairement à ses prédécesseurs Emmanuel Macron n’a pas promis de « grand soir ». Souvenons-nous : pendant toute la campagne les commentateurs, les journalistes, ses propres adversaires directs sur le ring politique, ont cherché à l’obliger au dévoilement, ont tenté de lui faire préciser des éléments précis (et donc forcément clivants) dans son programme. Emmanuel Macron s’en est toujours sorti soit par sa formule magique du « en même temps », érigée en exemple de la « pensée complexe » soit par des phrases totalement alambiquées, dignes de Proust pour leur longueur et de Bourdieu pour leur limpidité, énonçant tout et le contraire de tout en passant par le tout contraire tant et si bien que plus personne ne comprenait ce qu’il voulait dire. A ce petit jeu du « Bonneteau  rhétorique » bien malin (ou très attentif ou très chanceux) celui qui parvenait, tel le joueur du célèbre jeu d’arnaque réussissant à ne pas perdre de vue la carte et à dire où elle se situait, à comprendre le fil de la pensée (et du programme) du futur chef de l’Etat.

Clairement Emmanuel Macron ne peut être accusé d’avoir menti puisqu’il n’a en fait véritablement rien promis. Hormis des mesures très précises, ponctuelles et à forte charge symbolique (et incidence financière aussi) comme la prise en charge intégrale des lunettes et des prothèses auditives. Emmanuel Macron est donc très à l’abri d’une fronde organisée. Quand bien même une telle situation se présenterait on pourrait imaginer que celui qui serait la cible de ces critiques réagirait d’une toute autre manière que son prédécesseur confronté, pour sa part,  dès l’été 2012, à une fronde bien réelle. Là où François Hollande s’est montré pusillanime et a cherché à temporiser, Emmanuel Macron ne montrera aucune forme de clémence et de patience. « Jupiter dementat quid perdere vult » : ce sera le cas de le dire ! Voilà aussi de quoi empêcher l’amorce d’une fronde organisée et publiquement oppositionnelle à l’intérieur du « parti unique ». Entre la fidélité-loyauté qui confine à la caporalisation ; la confiance absolue dans les choix du leader qui a tout gagné qui s’apparente à l’adoration ; la peur de la colère du chef en cas de velléité critique qui renvoie à une forme de dissuasion : Emmanuel Macron peut faire tous les virages qu’il veut ; marquer d’autant plus de pauses dans le volet « protection » qu’il n’a pas vraiment démarré sur ce chemin ; trahir d’autant plus aisément que cette trahison est quasiment indémontrable vu que pour trahir il faut avoir promis : en bref le modèle Macron du « je fais ce que je veux, quand je veux et comme je veux » n’est pas près de trouver une quelconque amorce de limitation en provenance de son propre camp.

La faiblesse de l'opposition dans les sondages, notamment sur la perception des Français que personne ne ferait mieux qu'Emmanuel Macron (un sondage IFOP pour le JDD, datant de ce mois de mai, montrant que seuls 14% d'entre eux considèrent que Jean Luc Mélenchon ferait mieux, un score identique à celui de Marine Le Pen, et supérieur à ceux de Laurent Wauquiez (8%) et d'Olivier Faure (4%) ) montre également une absence d'opposition crédible aux yeux de l'opinion, montre que le président bénéfice, en plus d'une absence d'opposition interne, d'un "boulevard" politique devant lui ? Comment Emmanuel Macron a-t-il su créer -en partie - un tel environnement ?

Encore une fois méfions-nous des situations apparemment hégémoniques. Elles cachent parfois des fractures brutales non pas à l’intérieur du camp majoritaire mais entre une opinion et une classe politique globalement rejetée. L’exemple de Mai 68 dont on a beaucoup parlé ces dernières semaines montre combien les partis politiques, dans leur globalité, ne sont pas sortis indemnes de la crise de Mai. Encore une fois, les circonstances importent dans la compréhension de la situation politique actuelle. N’oublions pas d’abord qu’Emmanuel Macron doit une partie de sa fulgurante ascension politique d’abord et de sa victoire ensuite à la vague de « dégagisme » qui a frappé de plein fouet les deux grandes « coalitions de gouvernement » aux commandes du pays depuis 1958 : celle de la droite républicaine traditionnellement depuis les années Pompidou alliée au centre droit et celle de la gauche socialiste alliée soit aux communistes soit aux écologistes, soit comme de 1997 à 2002, alliée aux deux formations. Trois personnalités politiques ont été bénéficiaires de cette vague : Macron, Le Pen et Mélenchon. Encore que ce dernier, vieil archétype du politicien socialiste élu sénateur dans les années 80, n’est-il arrivé que quatrième du premier tour de la présidentielle (19,56% des suffrages exprimés) et n’a pas coiffé, pour la 3ème marche du podium, un François Fillon pourtant totalement démonétisé consécutivement à un trop plein de monnaie justement.

Elu, pour partie, sur un besoin de changement Emmanuel Macron a aussi parfaitement compris le changement des besoins. Aujourd’hui encore par son style présidentiel, par son autorité, par ses provocations, par la manière avec laquelle il « gère » les conflits sociaux, par ses postures sur le terrain international, il montre qu’il incarne plus que ses prédécesseurs la fonction présidentielle. Les électeurs ont donc décidé de lui laisser sa chance. D’où un niveau de popularité inconnu de ses trois prédécesseurs 13 mois après sa prise de fonction. Et on assiste à cette situation étonnante d’une opposition qui non seulement n’imprime pas mais qui semble condamnée aux dissonances, aux crises internes et à la dispersion-fragmentation perpétuelle. Macron règne en fait par défaut et « en même temps » par présence. Défaut d’adversaire et présence présidentielle. C’est le propre d’un système politique : le fort se renforce au contact du faible et le faible ne parvient à inquiéter le fort que s’il ne se représente plus, lui-même, comme faible, condition sine qua non pour que l’électorat commence à lui accorder un début de crédibilité dans sa capacité à devenir (un jour) fort.

Quels sont cependant les risques qui peuvent guetter Emmanuel Macron dans cette liberté qu'il détient aujourdhui ?

Toujours les mêmes depuis le 14 mai 2017 jour de sa prise de fonction : l’ubris ou le sentiment de toute puissance qui ne connait plus de limites. Le besoin de franchise de plus en plus affirmé au point que les discours, porteurs de cette franchise, seront entendus de plus en plus comme des provocations gratuites quand ce ne sera pas pire : des propos purement cyniques. Une rigidité croissante dans les positions et les choix consécutivement au fait que le logiciel : « J’ai raison et ceux qui ne pensent comme moi sont forcément cons » deviendrait le logiciel unique. Et, dernier risque, non des moindres : la vérification une nouvelle fois de l’adage cher à Montesquieu : « Le pouvoir rend fou, le pouvoir absolu rend absolument fou ». Autrement dit, explique le célèbre philosophe bordelais : il faut toujours un contre-pouvoir au pouvoir. Sous peine de quoi (pour parler cette fois-ci le langage de la modernité et de la technologie), le pouvoir risque, comme un réacteur nucléaire, de monter en température et, tout simplement, de diverger… C’est bien là le principal risque d’Emmanuel Macron : à considérer que les corps intermédiaires ne jouent plus leurs rôles (constat sur lequel il n’a d’ailleurs pas forcément tort) et à les contourner ou à feindre de les ignorer, il s’expose à un colloque singulier avec les Français. De Gaulle l’a fait.. N’est pas de Gaulle qui veut et surtout ce qui a pu durer 11 ans entre 1958 et 1969 ne durera jamais aussi longtemps en 2018…

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