Agriculture : vers un été de terrible sécheresse en France ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des vaches charolaises et ses veaux boivent dans un réservoir dans un champ sec dans une ferme du hameau de Saint-Nicolas, dans le centre de la France, le 10 août 2020.
Des vaches charolaises et ses veaux boivent dans un réservoir dans un champ sec dans une ferme du hameau de Saint-Nicolas, dans le centre de la France, le 10 août 2020.
©PHILIPPE DESMAZES / AFP

Conditions météorologiques

La France est confrontée à un phénomène de sécheresse. Cette réalité risque de s'amplifier dans le courant de l'été prochain.

Serge Zaka

Serge Zaka

Docteur en agroclimatologie chez ITK, administrateur d’Infoclimat et chercheur-modélisateur, Serge Zaka étudie l’impact du changement climatique sur l’agriculture.

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Atlantico : La France fait face à un phénomène de sécheresse qui a débuté cet hiver. Quelle est l’ampleur du phénomène et comment l’expliquer ? 

Serge Zaka : Nous faisons actuellement face à une sécheresse dite « agricole ». Ce type de sécheresse peut mettre plusieurs semaines, voire plusieurs mois avant de s’installer. Ainsi, le phénomène que nous connaissons actuellement a débuté le 26 décembre. Depuis cette date, la France a été plutôt épargnée par la pluie. Pourtant, il s’agit de périodes dites de « recharge » et où il est censé pleuvoir pour que les nappes phréatiques et les sols accumulent de l’eau et nous avons été déficitaires pendant près de 4 mois. Si tout allait bien, le niveau d’eau actuel devrait être observé au mois de juin. De plus, comme les températures augmentent et que la végétation a déjà des feuilles, l’évapotranspiration augmente elle aussi. 

À titre d’exemple, nous observons au mois d'avril une baisse de 25% des précipitations. Cette baisse est de 38% en mars et en février et de 41% en janvier. Cela fait donc quatre mois qu’on enchaîne des périodes de sécheresse. La saison culturale commence donc assez mal puisque l'indice de sécheresse des sols se situe entre 0,60 et 0,63 à l'échelle de la France. Début mai, cet indice devait être de 0,80 en moyenne.  

Nous nous dirigeons donc vers un été de sécheresse en France ? Quelle serait son ampleur ?

Si les conséquences de cette sécheresse pourraient être lourdes, nous pouvons espérer que la pluie reprenne au cours du mois de mai, même si cela paraît peu probable selon les prévisions actuelles.  

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Si le mois de mai est sec, comme c’est actuellement prévu, les céréales seront impactées de plusieurs manières. Il y a trois facteurs pour calculer leur rendement : le nombre d’épis par plante, le nombre de grains par épis et enfin le poids de chaque grain. Ces trois composantes du rendement se mettent en place progressivement. Actuellement, la sécheresse impacte le nombre d’épis par plante et le nombre de grains par épis. De plus, l’impact de la sécheresse concerne actuellement les sols superficiels mais cela pourrait vite tous les concerner, ce qui serait encore plus problématique. 

Si la pluie reprend au cours du mois de mai, tout ne sera pas perdu. Le rendement des céréales pourrait être sauvé grâce à sa dernière composante, à savoir le poids des grains, appelé Poids de Mille grains (PMG). En effet, si les grains sont moins nombreux, ils peuvent être plus gros.  

Un autre facteur dû à cette sécheresse est également inquiétant : la production de fourrage pour les animaux. Cette année, cette production n’est pas aussi importante que lors des années classiques. L’herbe pousse plus lentement et les réserves faites au printemps pourraient ne pas suffire pour nourrir les animaux l’été. En 2011, les agriculteurs ont été contraints de demander à la SNCF de couper l'herbe autour des voies de chemin de fer afin de nourrir le bétail. Si nous n’en sommes pas encore à ce stade, la situation reste préoccupante.  

Quelles seront les conséquences de cette sécheresse pour l'agriculture française et mondiale ?

Dans les 15 prochains jours, la sécheresse pourrait concerner tous les bassins de production du blé tendre, la moitié des bassins pour les blés durs, et les quarts des bassins pour l’orge. Si elle s'aggrave, la sécheresse pourrait aussi impacter la production de maïs et de colza, voire l'ensemble des cultures. 

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Avec le conflit en Ukraine, tous les yeux sont tournés vers la production mondiale. Si la production française fait défaut, il faudrait que d’autres bassins rattrapent la différence. Pourtant, les bassins américains du Texas subissent aussi une sécheresse importante, comme les bassins indiens. Les récoltes déversées sur les marchés mondiaux risquent donc d’être faibles, ce qui pourrait avoir de lourdes conséquences géopolitiques, comme des famines dans les pays qui dépendent des importations de blé.  

Les agriculteurs peuvent-ils faire quelque chose pour tenter de limiter ces pertes ?

Certains agriculteurs commencent à irriguer leurs plantations de blé, ce qui est assez étonnant puisque cette céréale ne s’irrigue normalement pas. Mais, il n’est pas possible de faire ces irrigations de sauvetage partout en France. De plus, les agriculteurs ne peuvent pas pomper dans les nappes phréatiques puisque celles-ci ne sont pas remplies à leur niveau habituel. 

La situation actuelle est très préoccupante en ce qui concerne le blé. A court terme il y a quasiment pas de moyen pour sauver les rendements sans pluie.  Je pense que c’est aux scientifiques et aux politiques de travailler sur ces questions. Comme la réforme de l’assurance agricole intervient à partir de 2023, nous sommes encore sur le « régime des calamités agricoles » comme lors du gel d’avril 2022. Actuellement, l’État fournit donc des aides en fonction de la quantité de récoltes perdues. Comme ce n’est pas viable sur le long terme à cause de la multiplication des phénomènes climatiques extrêmes, la réforme de 2023 sera sûrement plus adaptée au contexte climatique actuel. 

À un moment, il faudra peut-être aussi penser au fait que notre système agricole n’est plus adapté au climat actuel. L’adaptation de la culture des céréales aux bouleversements climatiques passe notamment  la prise en compte de un e meilleure contribution du sol à l’alimentation en eau.  C’est justement ce que nous faisons au sein d’ITK, société qui valorise de la recherche appliquée à l’agriculture dans des applications d’aide à la décision. Certaines techniques devront sans doute évoluer. Cela pourrait par exemple passer par des changements de variétés, ou bien des stratégies de réduction des pertes en eau, notamment grâce à la  restauration des sols qui permet à la fois, de retenir le carbone, et d’augmenter sa capacité de rétention de l’eau. pour faire face aux futures sécheresses par exemple.

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