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Afghanistan :  le mirage (très politique) de la collaboration entre l’Etat islamique et les Talibans
©Reuters

Les opposés s'attirent

Selon les autorités afghanes, l'Etat islamique et les talibans auraient collaboré dans une opération au nord de l'Afghanistan qui aurait conduit à la mort d'une cinquantaine de civils. Une coopération démentie par les Talibans. Mardi soir, les Talibans ont libéré 235 otages du village de Mirza Olong sans que l'on sache combien de personnes sont encore retenues sur place.

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Atlantico : Comment expliquer cette coopération, si celle a bien eu lieu, entre deux groupes terroristes aux intérêts divergents voire même concurrents dans le pays? Une telle coopération pourrait-elle s'installer dans le temps ? 

Emmanuel Dupuy : Il me semble que cette revendication d’action « conjointe » entre Daesh et les talibans, qui a provoqué le décès d’une cinquantaine de civils et la prise en otage de 235 personnes dans la localité de Mirza Olong, dans le district de Sayad, à une quinzaine de km de la capitale provinciale de Sare-Pul, soit un peu prématurée. Néanmoins, cette attaque et prise d’otage soulève quelques légitimes interrogations.

La première réside dans le mode opératoire, consistant, comme dans la province du Nord du pays, à Kunduz (en novembre dernier) a envahir massivement une localité considérée comme « stratégique » pour le contrôle de la province. Ce sont ainsi près d’un millier d’hommes qui se sont emparé du village, après une opération « militaire » qui dura 48 heures. L’on estime que les talibans revendiquent 30 000 à 40 000 combattants. En revanche, les troupes de Daesh (principalement regroupées dans le Nord du pays, autour de Kunduz, Mazar-e-Sharif et Khost) ne dépasseraient pas les 2000/3000 éléments. Daesh est, d’ailleurs, fragilisée par l’élimination depuis fin 2015 de ses principaux « émirs » (Hafiz Sayed, Abdul Hasid, Abdul Rauf Khadir et le dernier en date, Abou Sayed, tué dans la province du Kunar, QG de l’EI en Afghanistan, par une frappe américaine, le 11 juillet dernier).

D’ailleurs, cette revendication « croisée »  a été d’emblée contredite par le porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid.

Les talibans revendiquent bien, de leur côté, une attaque contre le village, mais en indiquant que les victimes revendiquées étaient issues des forces de sécurité ; en l’espèce, appartenant à l’Afghan Local Police (ALP) qui correspond à une police de proximité auxiliaire aux forces de sécurité afghanes. Les autorités locales estiment que le nombre des victimes est de 50 personnes décédées, dont 44 civils. Les talibans, sont, à contrario, enclins à rappeler qu’ils ont « libérés » 235 personnes, suite à une médiation menée par des anciens du village. Les talibans revendiquent, dans le même élan, la mort de 28 membres des ALP décédés dans les combats. Cette «  guerre » des chiffres serait futile, si elle ne révélait une vraie différence de mode opératoire. Les talibans n’hésitent pas à « assumer » les opérations dont sont victimes régulièrement les forces de sécurité dans les zones ou ils sont les plus actifs (Nangarhar, Jalalabad, Helmand, Kandahar), alors que Daesh entend porter la terreur au cœur des villes, comme encore récemment dans l’attentat qui a visé une mosquée chiite à Hérat, le 2 août dernier et provoqué la mort de 33 pèlerins chiites.

La seconde interrogation que cette attaque soulève, concerne justement le village ciblé, en l’occurrence la localité de Mirza Olong, peuplée majoritairement de chiites hazaras. Le choix délibéré de la localité visée pourrait ainsi étayer la volonté de Daesh d’approfondir la polarisation religieuse au sein de la société afghane, au-delà de la simple opposition entre les insurgés talibans et le gouvernement central.

Il est néanmoins fréquent, du reste, que des commandants locaux insurgés basculent d’une organisation à l’autre. Si le commandant local, Cher Mohammad Ghazanfar, qui a mené les opérations, avait bien prêté allégeance récemment à l’Etat islamique, les talibans et l’Etat islamique opèrent rarement ensemble. Ce fut néanmoins, déjà le cas, très récemment, en juillet dernier dans la province de Paktia. Pire, c’est à une confrontation armée entre les deux organisations que l’on assiste, et ce, dans le contexte, du processus de réconciliation qui semble tourner à l'avantage des talibans, à l’aune de certaines connexions locales et en lien avec certaines autorités politiques à Kaboul.

En quoi des alliances, même sporadiques pourraient entraver le processus de réconciliation nationale  dans le pays?

Le processus de réconciliation national semble, pour certains, une vue de l’esprit ! 

En effet, la mission onusienne en Afghanistan (UNAMA) est venu rappeler, combien le processus de réconciliation bute toujours sur la violence endémique qui endeuille au quotidien les Afghans. Le dernier rapport semestriel, recensait, ainsi, de janvier à Juin 2017, 1662 civils afghans tués et 3581 blessés. Ces chiffres incluent les victimes du plus meurtrier des attentats, celui du 31 mai dernier, au cœur de Kaboul, près du quartier des ambassades, qui avait eu un écho international. Le bilan de près de 1000 personnes tuées et blessées est avancé (près de 200 morts et 800 blessés selon les chiffres des hôpitaux). Fort de cette triste réalité, le Gouvernement de Kaboul, reste, bicéphale, depuis la dernière élection présidentielle de juin 2014 et le «  psychodrame »  qui a suivi entre le président déclaré vainqueur, Ashraf Ghani et son opposant, Abdullah Abdullah, qui demeure avec son titre non constitutionnel de chef de l'Exécutif (« Chief Exécutive Officer », CEO) dans un rapport tendu avec la Présidence. Le gouvernement a été nommé après un an de bataille entre les deux « clans » , alors que les pouvoirs réels du « CEO », Chief Executive Officer afghan ou le chef du gouvernement, ne sont toujours pas définis comme la promesse de la réforme constitutionnelle qui n’a toujours pas été mise en oeuvre. 

Cette situation a été la démonstration de l’échec du « gouvernement d’unité nationale » du Président Ghani et du « Premier Ministre ou CEO » Abdullah Abdullah alors même que les promesses de campagne des deux candidats étaient impossibles à réaliser, même sans crise électorale. Du reste, les autorités sont désormais dans une trajectoire « divergente »  au vue des prochaines élections de 2018, et auront bien du mal à convaincre de l’efficacité du processus de réconciliation nationale et à ancrer concrètement le processus de démobilisation, désarmement et Réintégration (DDR) des insurgés. 

Comment pourrait-il en être autrement, alors que les talibans revendiquent déjà contrôler 60% du territoire, dont les terres les plus fertiles à la culture de l’opium, véritable moteur financier de l’insurrection. 

Bref, c’est davantage des calculs politiques qui semblent « guider »  le processus de réconciliation nationale, et ce, à l’aune, des positions des acteurs extérieurs, notamment sur fond de mise en accusation par Washington, du soutien financier et militaire des talibans par Moscou et Téhéran. Il est vrai, que le chef des talibans, Mollah Aktar Mohammad Mansour a été tué par un drone américain, en mai 2016, à son retour d’Iran !

La Russie et l’Iran rappellent, ainsi, à dessein, que la lutte contre Daesh est la principale raison d’être de ce « soutien", qui, pour certains, peut sembler contre-nature, mais, qui, à Kaboul, semble guider la réinsertion dans le jeu politique de certains insurgés, à l’instar de Gulduddin Hekmatyar, chef du Hezb-e-Islami, considéré par la Force Internationale d’Assistance et de Sécurité (FIAS qui regroupa près de 150 000 militaires de 2001 à 2014) comme organisation terroriste et responsable de la mort des 10 militaires français en août 2008 dans l’embuscade d’Uzbin, dans le district de Surobi.

On comprend ainsi que la stratégie de confrontation entre les talibans et Daesh est sans doute exacerbée par ces calculs politiciens et n’empêche nullement des « allers et venues » et ralliements d'opportunité entre commandants issus de toutes les composantes de l’insurrection afghane et pakistanaise (talibans, Hezb-e-Islami, réseau Haqqani, EI, Mouvement islamique d’Ouzbekistan- MOI…).

Est-ce qu'il n'y aurait pas un intérêt politique pour les autorités afghanes de dénoncer les alliances entre les talibans et l'Etat islamique ?

C’est, en effet, ce que le Gouverneur de la province de Sare-Pul, Zabihullah Amani s’est empressé justement d'évoquer. L’élimination, en février dernier, du commandant taliban Mawlani Salam, qui avait prêté allégeance à Daesh dans la province de Kunduz, avait, ainsi été présentée par plusieurs sources sécuritaires comme la preuve de la collusion entre les deux organisations. 

Il convient, néanmoins, d’y voir davantage la preuve de l’opportunisme et de la diversité régionale de l’insurrection. Il est, ainsi, une réalité qui veut que les membres du Mouvement Islamique d’Ouzbekistan (MOI) qui étaient ancrés au Pakistan, jusqu’en 2014 et qui sont revenus en force dans les zones frontalières entre l’Afghanistan et l'Ouzbekistan, à l’aune de la percée de Daesh dans le Nord-est de l’Afghanistan, attirent ainsi des combattants désireux d’élargir au voisinage centro-asiatique leur capacité insurrectionnelle, comme ce fut le cas, à,la fin de l’année 2001, le long de la ligne Duran, séparant l’Afghanistan du Pakistan. 

C’est sans doute, aussi, parce que les gouverneurs locaux, sont incapables de faire face seuls - c’est-à-dire sans l’appui des forces occidentales - à cette insurrection protéiforme, malgré les résultats encourageants des 350 000 membres des forces de sécurité afghane, que les accusations de collusion se font plus fréquentes… Quelle meilleure façon, du reste, d’accélérer la décision, pour l’heure « hésitante » d’envoyer 4500 militaires américains supplémentaires, comme le réclame depuis plusieurs mois, le général Nicholson, qui commande le contingent américain encore présent en Afghanistan, et ce, à l’aune des appréciations contradictoires, entre la Maison blanche et Donald Trump, conseillé par Steeve Bannon, qui n’a pas hésité à remettre en cause, la volonté du Pentagone et du Secrétaire d’Etat à la Défense, John Mattis, ardemment soutenu par le Conseil national de Sécurité, et son chef, le général McMaster. désireux, quant à eux, de poursuivre la présence américaine en Afghanistan, après 16 ans de stratégie américaine de contre-insurrection.

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