Accords sur le nucléaire iranien : l’occasion pour Téhéran de renforcer sa puissance militaire conventionnelle sur le Moyen-Orient <!-- --> | Atlantico.fr
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L'Iran a besoin de financements pour mener sa politique d'influence au Proche-Orient.
L'Iran a besoin de financements pour mener sa politique d'influence au Proche-Orient.
©Reuters

Conséquences

Après douze ans d'intenses négociations, la communauté internationale et Téhéran ont enfin trouvé un compris sur le programme nucléaire iranien. L'accord, qui prévoit un arrêt du développement du nucléaire militaire iranien en échange d'une levée graduelle des sanctions économiques, pourrait permettre à Téhéran d'avoir les financements pour mener sa politique d'influence au Proche-Orient.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : L'accord scellé entre l'Iran et les États-Unis préfigure d'un arrêt du développement du nucléaire militaire iranien. Disposons-nous d'une estimation du montant du budget qui y était alloué ? A quoi cette somme pourrait-elle dorénavant servir ?

Alain Rodier : Non puisque, bien évidemment, c'est secret. Il est important de ne pas se réjouir trop vite. Cet accord "historique" va être suivi d'autres négociations, d'inspections, de refus d'inspections, de remises en cause de dernère minute, etc. Les Iraniens ont toujours été extrêmement habiles dans cette forme d'échanges (à défaut de dialogue) et dans la dissimulation de leurs activités. Il n'en reste pas moins que des mesures concrètes ont été décidées. En résumé, l'arrêt de l'enrichissement de l'uranium, la diminution du nombre de centrifugeuses et le blocage de la filière plutonium. Encore va-t-il falloir vérifier tout cela sur le terrain. Ce n'est qu'après cette nouvelle phase que les sanctions devraient être levées à l'horizon début 2016 à l'exception du domaine balistique.

A quoi ce renforcement des moyens militaires iraniens pourrait-il être utilisé dans la région ?

L'Iran a besoin de financements pour mener sa politique d'influence au Proche-Orient. Ce "grand jeu", comme on a coutume de l'appeler dans les milieux spécialisés, oppose "l'arc chiite" (Iran, Irak, Syrie, en partie le Liban et maintenant l'ouest du Yémen sans oublier le Bahreïn) à "l'arc sunnite" emmené par l'Arabie saoudite d'un côté et la Turquie de l'autre -avec le Qatar au milieu-. Ce ne sont que des alliances de circonstance, l'adversaire créant une unité de façade.
Israël joue à part. En effet, l'Etat hébreu est, depuis sa constitution, en guerre ouverte ou larvée avec ses voisins. L'Iran des mollahs qui ne reconnaît pas Israël et qui menace de le "rayer de la carte" n'a, bien logiquement, aucune confiance en Téhéran. Cela dit, tous les analystes savent que l'Etat hébreu est doté d'une impressionnante force nucléaire avec une composante aérienne, balistique et sous-marine qui est à même de dissuader toute velléité guerrière trop affirmée. Le problème principal d'Israël réside dans la guerre non conventionnelle qui lui est menée par l'Iran via le Hezbollah libanais, le Jihad Islamique palestinien (le Hamas qui s'est opposé au président el-Assad n'est pour l'instant plus soutenu par Téhéran par mesure de rétorsion) et ses services secrets. Il ne faut pas oublier que l'Iran des mollahs a abondamment utilisé le terrorisme comme un moyen de combat. La confiance est donc totalement nulle entre les deux Etats.

Sur quels fronts l'Iran se bat-elle actuellement ?

L'Iran se bat physiquement en Syrie, en Irak et apporte son soutien aux tribus al-Houthi alliées aux fidèles de l'ancien président Saleh au Yémen. Sur le front syro-irakien, les pasdarans sont directement engagés sous la direction du très médiatique major général Qassem Suleimani, le chef de la force "Al-Qods" -les forces spéciales des gardiens de la révolution-. Les combats sont durs, les pasdarans ayant perdu officiellement sept officiers généraux tués au feu (dont un par les Israéliens -peut-être une perte collatérale, c'était un responsable du Hezbollah qui était visé prioritairement-). On imagine bien que si sept généraux sont tombés au combat, les pertes des subalternes doivent être sévères. L'Iran téléguide aussi le Hezbollah libanais qui a détaché des milliers de combattants en Syrie et quelques centaines en Irak. L'ensemble de ces activistes apporte une aide directe aux régimes de Bagdad et de Damas dans la guerre qui les opposent à Daech et aux autres mouvements de rébellion (particulièrement en Syrie contre les différentes coalitions dont la colonne vertébrale est constituée par le Front al-Nosra, le bras armé d'Al-Qaida "canal historique").

Téhéran fournit également une aide logistique aux régimes syrien et irakien et vraisemblablement  aux rebelles yéménites (mais cette dernière reste secrète). Ce qui inqiète Israël, c'est que les activistes du Hezbollah sont en train d'acquérir une expérience au combat irremplaçable ajoutée au fait qu'ils peuvent récupérer, en récompense des services rendus, des armements sophistiqués dont des missiles sol-sol de longue portée. A moyen te, le Hezbollah représente donc une menace accentuée pour l'Etat hébreu.

Quels sont les pays qui pourraient bénéficier de cette modernisation des équipements ? (Russie ? USA ? France ?)

La levée des sanctions qui devrait intervenir au mieux qu'au début 2016, devrait d'abord profiter aux populations civiles iraniennes. A savoir que les mouvements financiers pourraient avoir de nouveau lieu ce qui apportera une amélioration de la vie quotidienne très attendue. L'Iran pourra de nouveau commercialiser ses hydrocarbures sur le marché international, et même si les prix sont bas, cela devrait faire de nouveau affluer les capitaux. Les fonds bloqués, majoritairement aux Etats-Unis, devraient aussi être libérés.

Si c'est le civil qui va profiter le premier, le militaire va également recevoir une bouffée d'oxygène. En effet, l'armée classique et les pasdarans ont cruellement besoin de moderniser leurs matériels conventionnels, aviation, marine et armée de terre. Les pièces de rechange sont aussi attendues pour remettre en état de marche les armements existants.
Le premier bénéficiaire de la remise à niveau des armées devrait être logiquement la Russie suivie de la Chine. En effet, les industriels occidentaux de l'armement ne se précipiteront par sur le créneau, surtout qu'un embargo peut être réinstitué à tout moment. Sont théoriquement exclus durant au moins cinq ans les matériels participant à l'effort balistique mais pas les armements sol-air du type S-300 qui risquent de rendre toute "option de frappe aérienne préventive" extrêmement risquée.
Ce qui a prévalu à la signature de cet accord est le fait que l'Iran est un pays incontournable pour vaincre Daech et Al-Qaida (mouvement que l'on a tendance à oublier). De plus, le président Obama veut justifier, en fin de mandat, son prix Nobel de la paix. L'Histoire retiendra que c'est lui qui a rouvert les relations avec Cuba et avec l'Iran, même si le chemin menant à la normalisation reste encore très long à parcourir et semé d'embûches et de chausse-trappes. De plus, au Proche-Orient, l'ami d'aujourd'hui peut être l'ennemi de demain et vice et versa.

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