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Et vos parents sont propriétaires ? Pourquoi l'immobilier reste un marqueur social si puissant en France
©Reuters

Accès à la propriété

Malgré des prix mirobolants, l'acquisition d'un bien immobilier reste un rêve largement convoité par les Français.

Fanny Bugeja-Bloch

Fanny Bugeja-Bloch

Fanny Bugeja-Bloch est sociologue, spécialiste du logement et de la sociologie urbaine. Elle est maître de conférences à l'Université Paris Ouest Nanterre. Elle est l'auteur de Logement, la spirale des inégalités (PUF, septembre 2013).

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Atlantico : Le prix des biens immobiliers est en nette augmentation, ainsi que le précise la dernière étude du groupe Empruntis. En 2013, l’acquisition d’un bien immobilier coute 220.387 euros en France, soit une hausse de 10.000 euros par rapport à 2012. Pourtant, l’accession à la propriété continue d’être un leitmotiv pour beaucoup de Français. Pourquoi cela reste un marqueur social si puissant en France ? Est-ce un fait durable ?

Fanny Bugeja-Bloch : Rapportés aux revenus disponibles, les loyers n’ont que peu évolué alors que les prix immobiliers ont presque doublé depuis les années 1980. Mais d’où vient alors cet engouement pour la propriété ? Ce n’est en fait que depuis le début des années 1990 que la location est devenue un secteur spécialisé dans l’accueil des foyers modestes. Avant cette date, toutes les catégories de revenus étaient locataires dans le secteur privé dans des proportions comparables.

D’un côté, la location privée s’est paupérisée, de l’autre, la propriété à crédit apparaît plus socialement réservée. Dit autrement, la location est devenue un statut « subi » plutôt que « choisi ». Pourquoi ? Une raison possible à cette polarisation des deux secteurs est sans doute la politique de promotion de la propriété qui s’est développée dans les années 1980 et qui ne s’est accompagnée, dans le même temps, d’alternatives réfléchies sur la gestion collective de la location.

Peut-on voir dans le désir d’accession à la propriété une durabilité du besoin de rattachement à la terre ? Y a-t-il une raison purement historique et traditionnelle à cette particularité française ?

Au Moyen Age, avec la paysannerie, lieu d’habitation et lieu de travail ne formaient qu’un. Par conséquent, la propriété était le statut le plus répandu. Avec la montée du salariat et de l’urbanisation, la propriété, qui était jusqu’alors associée à l’exploitation ou au travail, a régressé, et on a pu observer parallèlement un développement rapide du statut de locataire. A moins de remonter très loin dans le temps, la préférence actuelle pour la propriété n’a donc rien d’évident.

Toutefois, la politique de logement française développée dans les années 1980 s’inscrit bien dans une logique patrimoniale qui valorise la possession d’une maison individuelle. On véhicule une image rassurante de la propriété, elle assure à terme non seulement un toit, une résidence pour laquelle les crédits auront été remboursés, présentant ainsi des charges en moins au moment de la retraite, mais encore un patrimoine transmissible, un héritage à léguer ses enfants.

La propriété est-elle l’illustration de la réussite sociale ? Qui peut y prétendre aujourd’hui ?

En 2005, plus de 80% des 25% foyers les plus riches étaient propriétaires, comparés à 40% parmi le quart de la population la plus pauvre. De même, 77% des cadres étaient propriétaires pour seulement 47% des employés. On peut donc affirmer sans ambiguïté que la propriété est un indicateur de réussite sociale et constitue par conséquent un marqueur social fort. De surcroît, ce marquage s’est nettement renforcé puisque ce statut était porté en 1985 par moins de 65% des plus favorisés et par à peine plus de la moitié du quart le plus pauvre.

Alors que l’acquisition à la propriété peut être vécue comme un gouffre financier pour certains ménages, pourquoi les Français répugnent à vivre en tant que locataire ? Le désir d’accession à la propriété est-il révélateur d’une diabolisation du statut de locataire, pour quelles raisons ?

Sans résulter d’une diabolisation du statut de locataire, il est clair que ses atouts sont faibles et peu valorisés en comparaison de ceux de la propriété. Bien que la location offre davantage de mobilités (spatiales et professionnelles) que la propriété, et donc une certaine forme de liberté, elle pèse aujourd’hui trop lourd dans les budgets des ménages sans contreparties à long terme. Pour disposer d’une pièce d’habitation par personne, en 2005 le quart des ménages les plus pauvres amputait effectivement plus de 15% de leur budget comparé à moins de 8% chez les plus aisés. A ce constat, ajoutons que ces charges ont doublé en 20 ans dans le bas de la hiérarchie (8,5% en 1985), en évoluant ainsi de manière comparable chez les locataires (en passant de 9% à 15% dans le même temps). A l’inverse, elles ont diminué dans la partie haute et à peine augmenté pour les propriétaires ayant un crédit en cours. Tant que la location sera plus couteuse au quotidien que la propriété à crédit, sans offrir en échange la sécurité et la transmission propre à la possession de la résidence principale, elle se présentera comme un second choix.

Les classes moyennes ou populaires tout comme les jeunes, faute de revenus assez conséquents, sont exclues de l’accès de la propriété. Quelles peuvent être les conséquences de ce blocage ? L’entrave à l’accession à la propriété peut-elle être un déterminant de l’exclusion sociale ?

Dès lors que l’on entre dans un processus de paupérisation de la location et de gentrification de la propriété, la spirale des inégalités est enclenchée. Sans intervention publique, la propriété attirera alors toujours plus ceux qui en ont les moyens (les classes supérieures, les hauts revenus, les héritiers, etc.) et/ou ceux ayant le profil permettant d’accéder au crédit (revenus moyens, ceux qui ont des emplois stables, les fonctionnaires, etc.), les autres se trouveront ainsi, pour la plupart d’entre eux, comme relégués dans le parc locatif. La position sur le marché du logement entretient donc la ségrégation à l’œuvre. Mais la principale conséquence pour les locataires renvoie plus gravement à la pression budgétaire croissante que représente le logement sur leurs autres dépenses. Premières victimes du renchérissement du logement, ils se trouvent contraints à limiter leurs dépenses de loisirs (sports, sorties et pratiques culturelles, restauration, vacances, etc.) et ajustent donc leurs modes de vie à la baisse. De ce point de vue, les locataires se trouvent aujourd’hui, plus qu’hier, exclus de certaines pratiques sociales et culturelles.

Comment peut-on imaginer résoudre le problème de l’accession à la propriété ?

Je ne pense pas qu’il faille résoudre le problème de l’accession à la propriété en la diffusant aux franges modestes de la population mais bien davantage en valorisant la location ou en rééquilibrant les atouts des deux statuts. Concrètement, pour rendre la location attractive, il est nécessaire que le coût quotidien qu’elle implique pour les locataires soit plus bas, sinon équivalent, que celui supporté par les propriétaires. L’encadrement des loyers, mesure phare du projet de loi sur l’Accès au Logement et à un Urbanisme Rénové (ALUR), présente de ce point de vue une certaine avancée. Le rééquilibrage peut également être envisagé en rendant moins attractif le statut de propriétaire. Perçue comme injuste par les propriétaires, la taxe sur les loyers fictifs envisagée par François Hollande, visant les propriétaires dégagés de leurs crédits d’achat, s’inscrit néanmoins dans cette perspective de réduction des inégalités de logement.

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