À quel point le milieu familial d'origine détermine-t-il le revenu des jeunes adultes ? Cet économiste a des réponses<!-- --> | Atlantico.fr
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Le taux de mobilité ascendante des enfants mesuré par la mobilité intergénérationnelle des revenus est en effet supérieur à celui observé aux États-Unis.
Le taux de mobilité ascendante des enfants mesuré par la mobilité intergénérationnelle des revenus est en effet supérieur à celui observé aux États-Unis.
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Quelle influence ?

Les variables inobservables comme l’éducation familiale ou le patrimoine culturel et génétique auraient donc plus d’influence sur le revenu des enfants que les variables observables des parents comme le revenu.

Michaël Sicsic

Michaël Sicsic est chercheur associé au CRED (TEPP), il est spécialiste des questions d'inégalité et de mobilité.

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Atlantico : Dans un article pour la Revue économique, “Quelle est l’influence du milieu familial d’origine sur le revenu des jeunes adultes ?”, vous vous intéressez à un aspect assez méconnu. Quels sont les principaux enseignements de votre étude, notamment sur la part de l’impact du milieu familial sur le revenu des jeunes adultes ?

Michaël Sicsic : Dans cet article, je montre d'abord que seule une faible part des différences de revenus entre deux personnes est expliquée par des variables liées aux circonstances dans lesquelles on a vécu, comme le revenu, l'éducation et la profession des parents, mais aussi le sexe et l'âge des individus, le lieu de vie et la configuration familiale pendant l'enfance. Cette part est d'un peu moins de 10 %, dont environ la moitié est liée aux revenus des parents. 

Cependant, l’influence de la famille peut passer par de nombreux autres facteurs que le revenu des parents ou les autres variables que je viens de citer. Je propose donc une méthode originale pour estimer cette influence dans son ensemble en travaillant sur les fratries et les jumeaux. En effet, les enfants d’une même famille ont en commun le revenu de leurs parents, mais pas seulement : ils partagent aussi un capital culturel, un patrimoine génétique, et l’influence du milieu social et du voisinage (quartier, école, amis, etc.). À partir des revenus de fratries, j'estime ainsi qu’environ 25-30 % de la variation des revenus d’un individu seraient liés à l’influence globale de son milieu familial d’origine. Les variables inobservables comme l’éducation familiale ou le patrimoine culturel et génétique auraient donc plus d’influence sur le revenu des enfants que les variables observables des parents comme le revenu. 

Pourquoi l’effet global de la famille sur les revenus ou sur la formation est très peu connu en France ? Qu’est-ce qu’il traduit pourtant de la réalité de la société française ?

Cette question est primordiale pour aborder les questions d'égalité des chances, mais le problème a longtemps été du côté des données qui ne permettaient pas de répondre à cette question. Depuis récemment, des panels de données fiscales ont été mis à disposition et permettent de faire de genre d'analyse. Plusieurs études ont mesuré la mobilité intergénérationnelle des revenus, et montrent que les inégalités de revenus se reproduisent en moyenne d’une génération à l’autre. Mais les modèles utilisés dans ces études n'expliquent finalement qu'une faible part des variations de revenus. L'analyse par le revenu des fratries de ce nouvel article n'avait encore jamais été réalisée en France et permet d'aller au-delà de l'étude des seuls revenus. Le fat que l'influence du milieu familial au sens large explique 25-30 % des revenus est-ce élevé ou faible ? Je pense que ce n’est pas à nous d’en juger mais aux lecteurs, et pour que le lecteur puisse le faire, il faut que cette information soit présente.

Comment expliquer le paradoxe français avec certaines études qui montrent une mobilité intergénérationnelle des revenus significative en France, supérieure aux États-Unis, alors que le sentiment de déterminisme social demeure très présent dans notre société, selon l’OCDE ? Le fort sentiment de reproduction sociale va-t-il au-delà de la seule influence des revenus des parents ?

Un rapport de l'OCDE indique que la France est dans une situation intermédiaire en termes de mobilité sociale, et des études académiques placent la France dans une position intermédiaire en termes d'inégalité des chances. Le taux de mobilité ascendante des enfants mesuré par la mobilité intergénérationnelle des revenus est en effet supérieur à celui observé aux États-Unis, mais aussi supérieur à celui ressenti par les Français. Une piste d'explication avancée dans mon article est que de le fort sentiment de déterminisme social en France viendrait de l’effet du milieu familial d’origine, qui irait au-delà de la seule influence des revenus des parents.

Les jeunes adultes sont-ils moins bien rémunérés que leurs parents au même âge ou parviennent-ils à s’extraire de l’influence du milieu familial d’origine ?

Le sentiment d’inégalité des chances peut d’abord être lié à un sentiment de déclassement par rapport à la situation de ses parents. Mais il n'est pas forcément le plus pertinent de savoir si les enfants ont un revenu supérieur à celui de leurs parents. En effet, il faudrait aussi prendre en compte le coût de la vie et de nombreux paramètres qui font qu'il est difficile de comparer les niveaux de vie en 2020 et en 1970

C'est pour cela que les études récentes préfèrent comparer le classement des individus parmi leur génération par rapport au classement de leur parent. Cela permet de savoir dans quelle mesure une personne s'élève dans l'échelle de revenus notamment.

Dans un précédent article, j'ai montré qu’un enfant de famille parmi les 20 % les plus aisées a en moyenne trois plus de chances d’être parmi les 20 % les plus aisés de sa génération qu’un enfant de famille modeste ; il existe donc bien une reproduction partielle des inégalités d’une génération à l’autre. Mais l’étude met aussi en évidence que près de 3 enfants sur 4 sont dans un cinquième de revenu différent de leur parent, et 12 % grimpent toute l’échelle, du plus bas et au plus haut cinquième de revenu. Si les revenus des parents influencent en moyenne les revenus des enfants, ils ne les déterminent pas. 

La nouvelle étude confirme ce résultat en prenant pourtant une vision plus large de la famille, qui tend à rendre plus important le poids de la famille en prenant aussi en compte les variables inobservées comme le capital culturel et génétique. Mais même avec cette définition élargie le milieu familial n'explique pas plus de 30 % des revenus. Finalement, tout n'est pas joué d'avance à la naissance. 

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