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A propos des violences policières et du racisme de (ou dans) la police
©Thomas SAMSON / AFP

Gardiens de la paix

Michel Fize aborde le sujet des violences au sein de la police et des accusations de racisme chez les forces de l'ordre après les récents discours de Christophe Castaner et suite aux accusations de la famille d'Adama Traoré, dans le sillage du mouvement de contestation mondial après la mort de George Floyd aux Etats-Unis.

Michel Fize

Michel Fize

Michel Fize est un sociologue, ancien chercheur au CNRS, écrivain, ancien conseiller régional d'Ile de France, ardent défenseur de la cause animale.

Il est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages dont La Démocratie familiale (Presses de la Renaissance, 1990), Le Livre noir de la jeunesse (Presses de la Renaissance, 2007), L'Individualisme démocratique (L'Oeuvre, 2010), Jeunesses à l'abandon (Mimésis, 2016), La Crise morale de la France et des Français (Mimésis, 2017). Son dernier livre : De l'abîme à l'espoir (Mimésis, 2021)

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Si l’on suit le discours quasi-unanime des policiers, porté notamment par leurs organisations syndicales, hormis « quelques brebis galeuses » (5 % dit un policier) la plupart des policiers (99 % dit un autre policier), ne seraient pas racistes. Dégainant alors cet étonnant argument, les syndicats rappellent que la police est aujourd’hui « black-blanc-beur » : si ce n’est pas une preuve une non-racisme, nous expliquent-ils aussitôt ! Sauf que, d’une part on ne peut, en l’absence de statistiques ethniques, mesurer cette diversité (en Allemagne, par exemple, l’on sait que 45 % des policiers sont issus de la diversité), et que, d’autre part nul n’ignore qu’il y a du racisme au sein même de l’institution policière – les témoignages de policiers et de policières de couleur ne manquent pas à cet égard.

La police est-elle raciste? La réponse est : plus ou moins.  Il n'y a pas, en tout cas, de "racisme systématique", qui voudrait dire la construction d'une institution sur des bases résolument discriminantes. Non, le racisme policier est fonctionnel.... Ceci ne signifie pas un « racisme systémique ». Non, ce racisme est fonctionnel, c’est un racisme contaminant, imposé par les éléments racistes aux éléments qui ne le sont pas et qui doivent en permanence, pour prouver leur intégration, manifester qu’ils le sont à leur tour (en adhérant par exemple à des blagues « salaces » ou en participant à des « contrôles au faciès »), c’est un « racisme d’entraînement ». C’est rejoindre ici la théorie de Gustave Le Bon (cf. La Psychologie des foules) indiquant que, dans tout groupe, les bons éléments sont presque toujours contaminés par les mauvais, et deviennent souvent contaminants eux-mêmes. Il faut évidemment un grand courage aux éléments sains pour refuser l’engrenage, voire dénoncer les agissements peu vertueux de leurs collègues.

La deuxième question est : la police est-elle violente ? La réponse est : quelquefois.  Pourtant, les violences policières sont niées par les plus hautes autorités de l’Etat, Président et ministre de l’Intérieur en tête, qui n’aiment le mot ni l’un ni l’autre. Néanmoins, ces violences existent. Lors du mouvement des Gilets jaunes, on se souvient que 2 300 manifestants ont été blessés, 24 éborgnés et 5 ont eu une main arrachée, sans oublier cette vieille dame à Marseille décédée à la suite d’un tir d’une grenade dans son appartement. 

Qu’à cela ne tienne, si l’on suit toujours les plus hautes autorités de la République, relayées ici par les syndicats policiers, il est interdit de parler de « violences policières », tout simplement parce que la police est détentrice, et elle seule, de la « violence légitime » [étrange argument à nouveau]. C’est le fameux « monopole de la violence légitime », emprunté au sociologue Max Weber, sorti d’on ne sait où, mais utilisé désormais par tous les responsables policiers [je ne savais pas que l’on enseignait Weber dans les écoles de police !]. Mais il y a détournement du sens du mot wébérien. Par violence légitime, Weber entend en effet seulement la contrainte reconnue à l’Etat d’imposer ses règles aux membres du corps social – la force physique n’a rien à voir à l’affaire ! 

Le rôle de la police est de protéger les citoyens, de défendre leurs libertés, et, bien sûr, de maintenir l’ordre, mais sans recourir à l’usage de la force, dès lors que celle-ci n’est pas nécessaire. La police ne saurait revendiquer aucune « violence légitime ». Une violence est « légale » ou non. Les policiers peuvent l’employer, de façon réactive, mais seulement en cas d’extrême nécessité : pour protéger leur vie par exemple mais, même dans ce cas, la « légitime défense » est encadrée par la loi et obéit à des règles strictes quant à sa mise en œuvre. Autrement dit, une violence doit être proportionnée à l’attaque ou à la menace subie.

Racisme, violences policières, dénoncées partout dans le monde depuis la mort de Georges Floyd aux Etats-Unis il y a quelques semaines et d’Adama Traoré en France, en 2016, sont des réalités qu’il faut aujourd’hui éradiquer. L’heure est donc au changement des mœurs policières, au bannissement de la violence. Pour ce faire, il faut à la fois changer la formation et l’éducation des policiers. 

D’abord, les candidats sont trop jeunes quand ils se présentent au concours de gardien de la paix, à savoir 17 ans (même si c’est la règle un peu partout en Europe, en Belgique, aux Pays-Bas, etc.). Il faut pour ce métier une expérience que l’on n’a pas à cet âge-là : repoussons donc la présentation au concours à 21, voire 25 ans, quitte à raccourcir la durée de la carrière professionnelle. C’est d’autant plus nécessaire que les jeunes recrues, diplôme en poche, sont affectées en priorité sur les terrains les plus compliqués (60 % vont en Ile-de-France dans les cités déshéritées, livrées, pour partie, aux trafics divers), des terrains pour lesquels ils n’ont pas les codes, les manières de faire ou de parler. Les jeunes policiers doivent commencer leur carrière dans des endroits où les tensions sont moindres. 

Ensuite, il faut changer et la durée et le contenu de la formation des policiers. Est-il raisonnable d’avoir en France une formation n’excédant pas une année, quand elle est par exemple de deux ans et demi en Allemagne et de deux ans, pour les plus jeunes candidats (16-18 ans) aux Pays-Bas ? La formation française est trop technique, trop juridique. Elle manque de culture générale, de savoirs psychologiques et sociologiques ; elle manque plus encore d’apprentissages de techniques de communication, notamment dans le domaine des règlements des conflits verbaux ou physiques, elle manque d’un enseignement d’éducation civique et de libertés publiques, comme c’est le cas par exemple dans la formation allemande.

Pour réformer la police française, la référence à l’Allemagne est intéressante car les principes y sont radicalement différents. La police allemande, par exemple, ne considère pas l’usage de la force comme étant au cœur du métier ; elle préfère valoriser le dialogue et la médiation dans les quartiers où elle est très ancrée, comme l’était, à cet égard, notre « police de proximité » supprimée par le président Sarkozy - et qu’il faudrait sans doute restaurer au plus vite dans sa philosophie originelle. En Allemagne en outre, il y a peu de contrôles d’identité (sans doute en France, pour en réduire le nombre, faudrait-il instituer ce fameux « récépissé », rejeté par le Premier ministre Manuel Valls). En Allemagne enfin, il n’y a pas de manifestants injuriés par les policiers, frappés, matraqués, menottés. Il n’y a pas de gaz lacrymogène lancé sur des foules compactes.

Dernière question. N’est-il pas temps que la police française redevienne « une police de gardiens de la paix », une police qui comprenne enfin qu’elle n’est pas un « pouvoir » sur les citoyens mais un « service » aux citoyens ? Aux bons policiers d’initier le « dégagisme » de leurs collègues indignes de la fonction. L’Etat fera le reste, en s’appuyant légitimement sur le principe de « tolérance zéro » rappelé opportunément par M. Castaner. Il y va de la dignité de l’institution.

Un dernier mot. Critiquer les violences policières n’est, pour ce qui me concerne, en rien absoudre les auteurs d’infractions de leurs responsabilités. Toute infraction mérite sanction, mais nous pensons que c’est le rôle de la Justice et d’elle-seule de la prononcer au nom de la loi : les délinquants ont aussi le droit de ne pas succomber sous les coups de policiers ou de gendarmes.

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