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A. Lamassoure : "Je n’en peux plus de ces voix qui demandent un gouvernement économique de la zone euro, il existe déjà, il suffit de le faire fonctionner"
©wikipédia

Grand entretien

Après la crise grecque, le député européen Alain Lamassoure (LR) s’agace des déclarations réclamant un gouvernement économique européen. Pour lui, il existe déjà mais il n’y a aucune volonté politique de le faire vivre.

Alain Lamassoure

Alain Lamassoure

Alain Lamassoure est député européen et vice-président de la délégation française du groupe PPE.

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Atlantico : Selon vous, l’accord trouvé avec la Grèce est-il un bon accord ?

Alain Lamassoure : C’est trop tôt ou trop tard pour le dire. On verra s’il est appliqué par toutes les parties et notamment pas les Grecs. Ils ont franchi la première étape par le vote, cette semaine, des premières réformes au parlement, maintenant on va voir la suite.

Je n’ai pas été surpris par la nature de cet accord car, considérant les contraintes politiques des uns et des autres, on devait arriver à quelque chose de ce genre. Côté grec, ils ne pouvaient pas se permettre d’avoir une position qui les mette de facto en dehors de la zone euro, donc Alexis Tsipras était obligé d’en passer par là.

Du côté des pays créanciers - car on commence à comprendre que ça n’est pas la méchante finance contre les Grecs mais les contribuables grecs contre les contribuables européens. Du côté des pays créanciers donc, il y avait deux contraintes : la première, contrairement à ce qu’on dit à peu près tous les acteurs, c’est que la sortie de l’euro est impossible. Juridiquement on ne sait pas faire. On aurait toujours pu trouver une base juridique mais ça aurait pu engendrer des centaines de contentieux car la sortie de la monnaie commune n’est pas prévue par les traités. Un pays peut sortir de l’Union européenne mais pas uniquement de la zone euro. Or, personne n’imaginait que le Grèce sorte de l’Union. Politiquement aussi c’était impossible, Alexis Tsipras aurait dû comprendre que Schaüble bluffait car si la Grèce était repassée à la drachme, notre dette aurait été remboursée en monnaie de singe. Cela aurait fragilisé à nouveau la zone euro alors que nous passons notre temps à essayer de convaincre les marchés financiers que la zone euro est indestructible.

Dernière contrainte pour les pays créanciers c’est que nos contribuables ne veulent plus payer pour la Grèce. Ils  se résignent à maintenir les prêts, par contre rajouter le l’argent au pot ça n’est plus possible. Figurent, en effet, dans la zone euro des pays plus pauvres que la Grèce, qui ont déjà aidé la Grèce et qui n’en peuvent plus. Figurent aussi des pays qui sont plus riches que la Grèce mais qui ont accepté de faire tous les efforts que la Grèce s’est refusé à faire. Un exemple tout à fait accablant est celui de l’Irlande. Lorsque l’Irlande est entrée dans la communauté européenne, le pays était aussi pauvre que l’Albanie aujourd’hui, plus pauvre que ne l’était la Grèce lorsqu’elle nous a rejoints en 1980. Quarante ans plus tard, l’Irlande, par tête d’habitants, et malgré la crise qui l’a frappée, est plus riche que la France. Les Irlandais ont eu besoin d’une aide massive de l’Union parce qu’ils avaient fait d’énormes bêtises mais ont mis un point d’honneur à la rembourser et ont accepté la baisse de leur niveau de vie. Ils ont commencé à rembourser leurs créanciers au bout de trois ans.

Les Grecs eux ont étalé sur plusieurs années la baisse de leur PIB. Pour les Irlandais, pour les Portugais et les Espagnols qui vont connaître des élections à l’automne, il est donc inimaginable de récompenser les Grecs pour les efforts qu’ils n’ont pas fait alors qu’eux-mêmes ont fait des efforts inimaginables. Pour la Slovénie, la Slovaquie, où les retraites sont inférieures de moitié aux retraites grecques ou pour la Lettonie qui a concentré sur 2 ans ses plans de remboursement, il était inimaginable de solliciter à nouveau les contribuables. Compte tenu de ces contraintes, on ne pouvait pas aboutir à une autre solution.

Est-ce que les aides accordées sont à la hauteur pour redresser la Grèce?

On verra comment sera constitué le plan de 86 milliards. N’augmentons pas les problèmes de la Grèce en augmentant les aides à l’Etat Grec qui est en faillite mais rappelons que chaque année l’UE donne 7 milliards d’euros aux Grecs. S’ils les utilisent intelligemment, ils peuvent financer des investissements publics. En revanche, les Grecs pourraient légitimement demander de l’argent pour leur rôle de protection de la frontière extérieure européenne. Ils sont en effet confrontés aux flux migratoires les plus tragiques or les pays du nord ont égoïstement refusé toute solidarité avec la Grèce. Troisième élément d’aide intelligente à la Grèce, ce sont les prêts dans le cadre du plan Junker. Prêts accordés non pas à l’Etat grec mais à des porteurs de projets. Enfin, le quatrième élément ce sont les privatisations qui sont, du point de vue économique, intelligentes. Il y a, en effet, trois manières de sortir d’un surendettement pour un Etat. La première consiste à ne pas rembourser. La deuxième, c’est l’hyper inflation. Et puis il y a la transformation des dettes en capital. C’est ce que vous faites quand vous hypothéquez votre maison.

Ce qui m’inquiète c’est le style dans lequel est rédigé cet accord. Quand on le lit à froid, on réalise qu’il est rédigé en termes unilatéraux extrêmement durs pour les Grecs. J’aurais été François Hollande j’aurais au moins négocié la forme. Et la deuxième chose qui m’inquiète c’est la personnalité du Premier ministre grec. Ses zigzags, ses reniements successifs le rendent très difficilement fiable.

L’Europe sort-elle renforcée ou affaiblie de cette crise ?

Dans huit jours, tout le monde aura oublié cette crise, il y en aura une autre. Ne surestimons pas cette affaire. Aura-t-elle été un bien ou un mal pour l’Europe ? Tout dépendra des conclusions que les grands dirigeants européens en tireront. J’ai critiqué le double langage de monsieur Tsipras, je veux aussi critiquer celui des grands dirigeants européens. Quand il y a des crises de ce genre, des voix qui s’élèvent à Paris, à Berlin ou ailleurs pour dire : il faut en sortir par le haut, il faut renforcer l’union économique et monétaire sauf que, comme le disait autrefois le Canard Enchainé, ce ne sont des "paroles verbales". Personne ne met de propositions concrètes derrière tout ça. Je n’en peux plus d’entendre des voix s’élever pour demander la mise en place d’un gouvernement économique de la zone euro. C’est fait. Il existe. C’est l’eurogroupe avec son président permanent et le sommet de la zone euro institutionnalisé il y a 2 ans. Il suffit de les faire fonctionner.

Alors pourquoi est-ce que ces instances ne fonctionnent pas ? Pourquoi n’y a-t-il pas de volonté politique de les faire fonctionner ?

Parce que chacun préfère jouer pour soi et à commencer par la France dont la seule obsession, quand elle vient à Bruxelles, c’est de se faire pardonner son incapacité à honorer ses engagements. Il faudrait mettre en place un partage des tâches, chacun ayant sa politique économique propre. Le gouvernement économique de l’Europe c’est un concert où chacun des gouvernements, chacun des exécutants, à son instrument à lui et écrit sa propre partition mais il y a un chef d’orchestre pour que tout le monde joue en harmonie pour le bien de tous.

Cela revient  quand même accepter une perte de souveraineté…

Mais non, cela revient à accepter de jouer en équipe. Chacun reste libre des décisions à prendre, le budget de la France restera décidé par l’Assemblée nationale française, par contre la France devra tenir compte de la politique de ses partenaires en ajustant la sienne. Mais tant que la France ne sera pas en règle avec les engagements qu’elle a pris dans le passé, les Allemands n’accepteront pas de discuter, je ne vois donc pas comment ça pourrait se faire avant 2017. Enfin, ceux qui proposent un renforcement de la zone euro ne seront sérieux que quand ils accepteront de mettre sur la table une proposition concrète pour financer le budget européen. Et il ne faudrait pas 1% du PIB mais 5%. Il n’y a pas un pays qui propose ça, c’est utopique.

Peut-on avancer alors que l’on voit progresser partout en Europe un sentiment anti-européen ?

Il y a toujours eu en France une inquiétude envers l’Europe de la part d’un Français sur trois. Dans les périodes hautes, on est à 40%. On est actuellement à un étiage haut mais surtout il y a, en dehors des eurosceptiques, une déception à l’égard de l’Europe. Déception qui comporte un élément positif c’est qu’il y a une attente et ce qui me frappe depuis les élections européennes de l’an dernier c’est que les attentes se sont encore accrues à cause de l’importance des problèmes que nous avons aujourd’hui à affronter. La pédagogie pour plus d’Europe et mieux d’Europe nous est apportée par les crises que nous avons à affronter. Et sur ces sujets, dans les débats au parlement européen, même les eurosceptiques, même le FN, ne contestent pas le fait que l’on est plus efficace au niveau européen qu’au niveau national.

A quels sujets pensez-vous ?

Le terrorisme. Il y a une décision urgente à prendre, c’est l’établissement d’un registre européen des voyageurs aériens. Deuxième exemple, l’immigration. La maitrise du problème migratoire passe par une politique commune européenne et non pas par le réflexe national, qui prévaut dans tous les pays, d’un repli sur soi qui consiste à rétablir les contrôles aux frontières car, dit-on, du temps où il y a avait des contrôles à nos frontières, il n’y avait pas autant d’immigrés. Sauf que le bon sens conduit maintenant chacun à se rendre compte que ça n’est pas en rétablissant les frontières à Vintimille que l’on va empêcher des Erythréens de franchir la Méditerranée. Un dernier exemple, dans un domaine dont j’ai la charge au parlement européen. Après l’affaire Luxleaks, on a créé une commission que je préside et je suis frappé de voir que même les plus eurosceptiques reconnaissaient que le moment est venu d’avoir la même définition du bénéfice imposable dans tous les pays d’Europe. Même chose sur la protection des données numériques, on ne va pas avoir 28 voix différentes. Sur tous ces grands sujets, les Français disent : il faut agir dans le cadre européen. Ce qui est clair, c’est que pour parler à Pékin à Washington ou à Moscou, pour lutter contre Daesh ou, comme les dirigeants européens l’ont fait pendant 12 ans pour parler à l’Iran, il faut absolument que nous ayons des positions européennes communes.

Propos recueillis par Christelle Bertrand

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