A Bruxelles, une ONG opaque « défend la démocratie » et étend ses réseaux<!-- --> | Atlantico.fr
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Une séance plénière au Parlement européen à Bruxelles, en octobre 2020. La ville de Bruxelles abrite des centaines d’ONG.
Une séance plénière au Parlement européen à Bruxelles, en octobre 2020. La ville de Bruxelles abrite des centaines d’ONG.
©Martin Bertrand / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

ODF

Siège des principales institutions européennes, Bruxelles abrite des centaines d’ONG et autres organisations défendant de grandes causes. Parmi elles, certaines sont loin de pratiquer la transparence qu’elles prônent.

Claude Moniquet

Claude Moniquet

Claude Moniquet, né en 1958, a débuté sa carrière dans le journalisme (L’Express, Le Quotidien de Paris), avant d’être recruté par la Dgse pour devenir "agent de terrain" clandestin. Il exerce ainsi sous cette couverture derrière le Rideau de fer à la fin de l’ère soviétique, dans la Russie des années Eltsine, dans la Yougoslavie en guerre, au Moyen-Orient ou encore en Afrique du Nord. En 2002, il cofonde une société privée de renseignement et de sûreté : l’European Strategic Intelligence and Security Center. De 2001 à 2004, il a été consultant spécial de CNN pour le renseignement et le terrorisme, et est aujourd’hui consultant d’iTélé et RTL. Il est l’auteur, notamment, de Néo-djihadistes : Ils sont parmi nous (Jourdan, 2013) et Djihad : d’Al-Qaïda à l’État islamique (La Boîte à Pandore, 2015), de Daech, la Main du Diable(Archipel, 2016) et, avec Genovefa Etienne, des Services Secrets pour les Nuls (First, 2016). Il est également scénariste de bandes dessinées : Deux Hommes en Guerre (Lombard, 2017 et 2018). Il réside à Bruxelles.

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« Open Dialogue Foundation » : c’est un joli nom, un nom qui évoque une volonté d’ouverture, de débats, de conciliation. C’est aussi le nom d’une organisation « de défense des droits de l’homme » créée en Pologne en 2009 par Lyudmyla Kozlovska, une jeune militante ukrainienne.

L’ODF, donc, s’illustre dans la défense des droits humains, essentiellement dans les pays issus de l’effondrement de l’URSS, mais aussi d’Europe centrale. Noble ambition qui vaut à Madame Kozlovska quelques problèmes avec la Pologne dont le gouvernement la fait expulser et demande à ses partenaires, il y a trois ans, l’annulation de son « visa Schengen ». Cette agressivité d’un pays perçu comme autoritaire provoque une Levée de boucliers dans plusieurs Etats européens et c’est ainsi qu’elle finit par se retrouver à Bruxelles, où elle reçoit, le 4 mars 2019, un permis de séjour de cinq ans et où le quartier général opérationnel de son organisation est désormais installé.

Les choses se compliquent lorsque qu’on apprend que diverses enquêtes visent l’organisation, entre autres en Moldavie où l’ODF est soupçonnée de diverses malversations et autres manipulations financières. A Varsovie, on chuchote même avec insistance, dans les milieux bien informés, que l’organisation serait une « couverture »… des services de renseignement russes. Cette accusation réapparaît d’ailleurs en 2021 lorsque le mari de Mme Kozlovska, Bartosz Kramek, est inculpé et brièvement incarcéré à Varsovie pour une sombre histoire de fausses factures qui auraient servi à blanchir de l’argent destiné à l’ODF.

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Bien entendu, l’organisation nie toute malversation aussi bien que toute relation douteuse avec Moscou. Et il faut bien dire que les preuves manquent et que l’on ne peut attacher que fort peu de crédit à l’enquête menée en Moldavie, pays connu pour être l’un des plus corrompus de l’ex URSS. Du reste, Madame Kozlovska, depuis le début de la guerre d’agression russe menée en Ukraine a développé un intense travail de solidarité avec son pays d’origine. On peut donc difficilement accorder quelque valeur aux rumeurs persistantes en faisant un « agent russe ». Certes, mais comme nous le fait remarquer un ancien officier de renseignement français qui s’est longuement penché sur les activités de l’ODF : « Si vous êtes un agent de renseignement russe, vous n’allez pas vous promener avec des cartes de visite vous présentant comme tel. Vous allez, au contraire, vous créer une couverture « anti-russe » la plus parfaite possible. Et force est de constater, quoique l’on pense de la Pologne, que ce pays qui a été une cible privilégiée de l’ODF occupe aussi une place essentielles dans la stratégie politique de Moscou en Europe centrale. C’est interpellant. Maintenant, c’est vrai les preuves judiciaires de liens entre l’ODF et les services russes manquent… »

Défense de kleptocrates patentés

Soit. Laissons donc cette question de côté et penchons-nous sur les activités de l’ODF. En s’y intéressant, on constate rapidement que l’organisation, outre ses activités générales de « défense de la démocratie » se livre également à une intense campagne sur quelques cas individuels. Mais là, surprise ! On trouve, aux côtés de véritable militants exposés à une incontestable répression, quelques figures (fort) peu recommandables.

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Parmi celles-ci, assez curieusement un oligarque kazakh, Muktar Ablyazov, ancien président d’une banque locale, la BTA. Ablyazov a longtemps été un protégé de l’ancien président Nursultan Nazarbayev, aujourd’hui soupçonné de corruption à grande échelle mais les deux hommes se sont brouillés. Les autorités du Kazakhstan accusent Ablyazov d’avoir siphonné plusieurs milliards dans les caisses de la banque qu’il a amenée au bord de la faillite et d’avoir monté un invraisemblable et très opaque réseau de sociétés off-shores pour cacher les fruits de son « travail ». Pour ces faits, l’homme d’affaire a été condamné dans son pays d’origine.

Bon, on dira que la justice kazakhe n’est pas indépendante. Soit. Le problème, c’est qu’Ablyazov a également été condamné, pour les mêmes faits, à Londres (où il est l’objet de deux mandats d’arrêt en date du 16 février 2012 et du 25 juillet 2019) et que d’autres procédures ont été ouvertes à New York et à Fairfax (Virginie) contre l’ancien banquier et ses complices accusés d’avoir blanchi l’argent détourné. Il est, enfin, depuis des années, l’objet d’une enquête diligentée par le parquet de Paris pour les mêmes causes.

Le très sérieux blog français « Secret Défense » écrivait, le 11 juin 2021 : « Mukhtar Abliazovjouit encore du statut de réfugié politique en France. Il bénéficie également de nombreux soutiens au Parlement européen et peut compter sur le lobbying intense mené par une ONG controversée, l’Open Dialogue Foundation (ODF) au sein du Parlement européen, où il fait valoir sa cause. »

Financement occulte

Plusieurs observateurs bien informés soupçonnent en effet l’ancien banquier d’être un financier occulte de l’’ODF. L’organisation le nie, bien entendu. Reste qu’une ancienne avocate et associée d’Ablyazov, la ressortissante Kazakhe Botogoz Jardemalie (elle aussi réfugiée à Bruxelles…) est également ardemment défendue par l’organisation et a participé à plusieurs de ses activités, entre autres une conférence « online » sur les sanctions comme outil de protection des droits de l’homme, le 15 avril 2021 ou une autre sur la Chine, le 18 juin 2021.

Et Mukhtar Ablyazov n’est pas un cas isolé. Parmi les autres malheureuses victimes de la répression défendues par ODF, on trouve encore, souligne »Secret Défense », Viaceslav Platon, homme d’affaires moldavo-russe et supposé architecte d’un grand mouvement de transferts de fonds hors de la Russie via du blanchiment d’argent, Aslan Gagiyev, fondateur de The Family, un groupe mafieux impliqué pour des meurtres contractuels, comme celui du maire de Vladikavkaz ou encore Nail Malyutin, extradé d’Autriche vers la Russie il y a quelque années pour une autre affaire de détournement mais présenté, lui aussi, comme injustement poursuivi. Curieux panel.

Or, l’un des plus ardents défenseurs d’ODF au Parlement européen n’est autre que le toujours sémillant Guy Verhofstadt, ancien Premier ministre belge. Le 18 janvier 2018, il signait un appel en défense de Lyudmyla Kozlovska, le 26 septembre 2018, il invitait la même activiste à délivrer une conférence au Parlement européen, le 29 janvier 2019, il se fendait d’une lettre émouvante pour défendre Lyudmyla Kozlovska contre les « persécutions » de la Pologne.

Par ailleurs, il nous revient que les lobbyistes de l’ODF trouvent toujours porte ouverte à ses bureaux et que l’ancien premier ministre se dépense sans compter auprès de ses honorables collègues pour promouvoir les activités de l’organisation. Et plusieurs observateurs de l’actualité européenne nous affirment que l’ODF, dont les lobbyistes hantent les couloirs du parlement, à Bruxelles ou à Strasbourg, joue un rôle « important » dès que l’honorable assemblée débat du Kazakhstan. A tel point que certaines résolutions adoptées par le parlement ne seraient que des « copier-coller » de « notes de travail » de l’organisation…

Une réfugiée bien protégée

Mais arrêtons-nous un peu sur la figure de Botagoz Jardemalie.

Voici une dame qui a bien de la chance ! Alors que nombre de (vrais) réfugiés politiques attendent parfois des années que l’administration daigne se pencher sur leur cas puis, s’ils peuvent rester en Belgique, vivent dans une relative précarité, le destin lui a épargné ce triste sort. Le destin, mais peut-être aussi, quelques solides relations dans le monde politique.

Madame Jardemalie est kazakhe. Arrivée en Belgique en 2013, elle y reçoit très rapidement (le 2 octobre de la même année) le statut de réfugiée envié par tant d’opposants aux dictatures dans le monde. « A vrai dire, cela a été un traitement express, que je ne m’explique toujours pas », nous raconte un haut fonctionnaire qui a vu passer le dossier, « alors que ces cas mettent parfois des années à être réglés, ici, tout s’est déroulé à grande vitesse. L’affaire a été pliée en quelques mois.»Pas d’arriéré administratif pour cette avocate kazakhe se présentant comme une opposante au régime en place, donc. Pourtant, son dossier aurait mérité un examen approfondi.

Botagoz Jardemalie, en effet, n’est pas seulement une opposante : jusqu’en 2009, elle siégeait au conseil de direction de la banque kazakhe BTA et était la principale collaboratrice de Mukhtar Ablyazov.

Un quotidien belge de référence, « Le Soir », révélait il y a un an : « Le 1ER février 2009, au lendemain de leur fuite [du Kazakhstan], Ablyazov et Jardemalie auraient mis au point un accord de consultance au terme duquel l’avocate devait fournir des conseils légaux et financiers à l’oligarque en fuite. Notons que Mme Jardemalie, si elle reconnait aider « bénévolement » Muktar Ablayzov, nie l’existence de ce contrat ainsi que toute rémunération. Ses accusateurs, eux, estiment que son rôle était d’aider l’ex-banquier dans ses manœuvres de blanchiment.

Pourtant, cette généreuse bénévole qui n’a pas d’occupation professionnelle très claire, vit à Bruxelles dans une aisance certaine. Et comme elle a le sens de la famille, elle en fait profiter ses proches, entre autres sa mère, un fils et un neveu. C’est beau la générosité.

Sur dénonciation de la justice kazakhe, « Bota » comme l’appellent ses amis a fait l’objet d’une mise à l’instruction au cabinet du juge d’instruction financier Michel Claise. Mais il n’y a pas que cela ; il y a quelques années elle était victime d’une tentative d’enlèvement à Bruxelles. Une sombre affaire pour laquelle des anciens de la Stasi ont été condamnée. Et le 30 octobre 2019, son superbe appartement d’Uccle, banlieue chic de la capitale européenne étaitperquisitionné, toujours à la demande des autorités kazakhes.

Une Perquisition très contestée

Mais ici, les choses se compliquent. Il s’avère en effet que deux policiers kazakhs assistent à l’opération. C’est une procédure normale dans le cadre de l’entraide judiciaire internationale. Ce qui l’est moins, c’est que les policiers belges laissent leurs homologues étrangers participer activement à la perquisition et même photographier des documents.

Encore sous le coup de l’émotion, « Bota » confie au Soir : « La Belgique se rend-elle compte des conséquences de cette collaboration avec la dictature kazakhe ? Je ne veux pas le croire. Je veux espérer qu’il s’agit d’une négligence qui va rapidement être corrigée. On s’apprête à livrer sur un plateau à l’Etat kazakh une liste d’opposants politiques… » Le scandale éclate quelques jours plus tard, lorsque plusieurs parlementaires belges interpellent le ministre de la justice de l’époque à la Chambre.

Avec son inimitable sens de la formule, le ministre Koen Geens leur répond « Vos questions ne sont pas un cadeau » (sic !) avant de rappeler que le statut de réfugié n’offre aucune immunité contre les poursuites de possibles délits de droit commun et qu’il « s’agirait d’un détournement de plusieurs milliards… »

Disons-le tout net, les parlementaires font leur métier quand ils demandent des explications au ministre : cette affaire a en effet – comme l’ensemble du cas de Madame Jardemalie et de l’ODF - été gérée de manière scandaleusement légère par l’autorité judiciaire. En revanche, faire exclusivement de Madame Jardemalie une victime de l’acharnement de son pays d’origine semble un peu court pour ne pas dire très excessif étant donné le contexte général.

Pour la petite histoire, on retiendra que le 30 octobre 2020, deux députés belges, déposent à la Chambre une proposition de résolution visant « à condamner les violations des droits de l’homme au Kazakhstan. Fort bien, ils sont, là aussi, dans leur rôle. Ce qui est plus étonnant c’est que le texte de ladite proposition est quasiment, nous revient-il d’une source proche du dossier, une copie conforme d’une note transmise par… l’Open Dialogue Foundation, toujours conseillée par Botagoz Jardemalie.

Mais concluons. Dans une affaire qui ne cesse de s’obscurcir au fur-et-à-mesure que l’on s’y plonge, et devant les graves questions qu’elle pose, que ce soit sur le rôle réel de l’ODF, sur les liens possibles de celle-ci avec des oligarques kleptocrates ou sur les délits reprochés à Madame Jardemalie, ne serait-il pas temps de diligenter une enquête belge qui s’intéresserait à l’ensemble du dossier ?

A moins bien entendu, que l’on estime acceptable que Bruxelles se retrouve au centre d’un possible vaste réseau de blanchiment et d’influences occultes.Mais alors, qu’on le dise franchement.

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