97 nouvelles régions du cerveau découvertes : comment les nouvelles technologies nous permettent de percer les mystères de notre cerveau (et pourquoi il y a encore beaucoup de travail à faire)<!-- --> | Atlantico.fr
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A n’en pas douter, ces travaux devraient aboutir à mieux préciser la séquence des évènements intervenant dans notre cerveau en rapport avec son développement et la mise en place des fonctions cognitives, notamment, mais aussi pendant le vieillissement.
A n’en pas douter, ces travaux devraient aboutir à mieux préciser la séquence des évènements intervenant dans notre cerveau en rapport avec son développement et la mise en place des fonctions cognitives, notamment, mais aussi pendant le vieillissement.
©Allan Ajifo / Flickr

Percée scientifique

Des chercheurs de l'Université Washington de Saint-Louis (Missouri) ont récemment découvert 97 nouvelles zones dans le cerveau humain. Une avancée scientifique non négligeable qui ouvre de nouvelles perspectives dans le domaine neurologique et médical.

André Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est professeur de neurosciences à l'université d'Aix-Marseille.

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Atlantico : Alors que des chercheurs de l'Univeristé Washington de Saint-Louis (Missouri) ont découvert 97 nouvelles zones dans le cerveau humain (voir ici), comment se fait-il que l'on découvre encore de nouvelles "régions" dans le cerveau ? Quels sont les moyens techniques nouveaux qui ont permis ces découvertes ?

André Nieoullon : La localisation des fonctions cérébrales est un peu comme la recherche du Saint Graal : de tous temps, les chercheurs ont tenté de savoir quel territoire du cerveau contrôlait telle ou telle de ses fonctions… sans jamais arriver à une conclusion définitive sur une telle organisation. C’est initialement par la méthode anatomo-clinique basée sur des corrélations entre des déficits neurologiques et les lésions observées à l’autopsie que les premières cartographies du cerveau ont été réalisées. Puis ces méthodes furent utilement compétées par des approches du domaine de la neurologie expérimentale utilisant des lésions ou des stimulations de territoires cérébraux plus ou moins importants chez l’animal, jusqu’aux cartographies célèbres ayant fourni des éléments d’une organisation des territoires corticaux basés cette fois sur des stimulations électriques légères pendant des interventions neurochirurgicales chez l’homme. Toutefois, quelles que furent ces observations, elles présentaient un caractère plutôt global et donnaient des indications fondamentales qui furent à l’origine de nombreux concepts toujours en vigueur sur l’organisation et le fonctionnement cérébral. L’identification des aires dites "du langage", c’est-à-dire des territoires du cortex cérébral sans lesquels cette fonction ne peut s’exercer, en est une bonne illustration.

Mais il manquait un substrat anatomique précis à ces observations. Celui-ci fut dès lors apporté par les travaux de Korbinian Brodmann, un anatomiste allemand qui, en 1909, sur la base d’analyses microscopiques de l’organisation cytoarchitecturale (la nature et la place des neurones dans le cortex) à partir d’échantillons de cerveaux humains obtenus à l’autopsie, a divisé chaque hémisphère cérébral en 50 aires différentes, chacune susceptible de participer, seule ou avec d’autres, aux différents aspects des comportements. Schématiquement, pendant tout le 20ème siècle, les chercheurs ont dès lors tenté de corréler leurs observations électrophysiologiques ou cliniques à l’implication de telle ou telle "aire de Brodmann".

Le développement des techniques d’imagerie cérébrale à partir des années 1980 s’est inscrit initialement dans cette problématique et les premiers résultats de neuro-imagerie fonctionnelle qui ont remis l’Homme au centre des investigations des neurosciences ont visé à corréler telle ou telle zone d’activation cérébrale aux territoires caractérisés par Brodmann. Assez rapidement, cependant, il fut établi que l’organisation cérébrale telle que révélée par la neuro-imagerie était vraisemblablement plus complexe que la simple "mosaïque" des aires corticales pouvait le laisser penser. Mais comme la résolution spatiale de ces méthodes était encore assez grossière, rien n’empêchait de penser que les progrès de l’imagerie iraient renforcer le localisationnisme, avec tout de même l’idée supplémentaire - fondamentale ! - que plusieurs aires pouvaient fonctionner en même temps, c’est-à-dire que la dimension spatiale du traitement de l’information cérébrale pourrait se doubler d’une dimension temporelle où les opérations mentales pourraient se décliner "en parallèle", multipliant considérablement par là les potentialités de notre cerveau.

À quel point sait-on cartographier ces régions, leur donnant des fonctions ?

Les travaux publiés récemment dans Nature s’inscrivent dans cette dynamique nouvelle des progrès incessants de l’imagerie cérébrale. En utilisant le potentiel formidable des méthodes offertes dans le cadre de ce qui est nommé le "Human Connectome Project" mis en place il y a 5 ans et visant à dresser un inventaire complet des connexions cérébrales du cerveau humain grâce à la mise en œuvre des méthodes d’imagerie IRM les plus performantes, le consortium coordonné par Washington University à Saint Louis et impliquant des équipes britanniques et néerlandaises propose qu’en fait ce ne sont pas 50 aires qui président au déterminisme de nos comportements (le terme déterminisme est provocateur de ma part…) mais près de 200 au total, dans chacun des deux hémisphères. Comment en sont-ils arrivés à cette conclusion ? Simplement en combinant les données acquises d’une part sur plus de 200 sujets et, d’autre part, utilisant au moins 3 méthodes d’imagerie complémentaires, chacune donnant des informations sur l’organisation anatomique du cortex cérébral (épaisseur du cortex et densité en myéline, la gaine des fibres nerveuses), l’activation de ces régions corticales en réponse à la réalisation de tâches notamment cognitives précises (7 tâches testées) et enfin sur les connexions intracorticales.

Certes, la résolution spatiale reste une question mais le nombre de sujets testés et l’utilisation d'algorithmes extrêmement sophistiqués rendent ces résultats particulièrement pertinents et tout à fait remarquables, marquant le début d’une nouvelle époque dans l’histoire du localisationnisme. Dans ce contexte, cette microcartographie offre des perspectives quant à la réinterprétation par exemple de données récentes qui s’accommodaient mal de l’organisation de Brodmann. Qui plus est, les auteurs de l’étude annoncent cette cartographie comme une version "V1.0" considérant que celle-ci est susceptible d’évoluer à la lumière de résultats encore en voie d’analyse. Un travail remarquable, par conséquent, susceptible de mieux nous faire pénétrer la complexité de l’organisation cérébrale, tout au moins !

Y a-t-il encore des terra incognita dans notre crâne ?

Les auteurs le reconnaissent, leur proposition est susceptible d’évoluer. A dire vrai, notre humilité nous impose de reconnaître que nous sommes loin d’avoir décrypté les bases du fonctionnement cérébral et que toute proposition, aussi ambitieuse soit-elle aujourd’hui encore, doit prendre en compte notre ignorance relative, même si des progrès considérables ont été récemment accomplis, en particulier justement par le biais des méthodes d’imagerie cérébrale. En fait, l’une des dimensions qui se doit d’être considérée est que l’approche de l’organisation anatomique et fonctionnelle du cerveau présente une nécessaire analyse comparative des différents niveaux d’analyse du cerveau : c’est d’ailleurs là qu’est la difficulté principale des neurosciences. Chacun des niveaux d’analyse (moléculaire, cellulaire, celui des réseaux nerveux, comportemental, ou encore clinique) en soi est une forme de frontière poussée très loin au regard des méthodes extrêmement performantes mises en œuvre à chacun de ces niveaux. Mais passer d’un niveau à l’autre est des plus compliqué et requiert la plus grande prudence, ce qui n’est pas toujours le cas et conduit fréquemment à des abus, en particulier de nature réductionniste. Ainsi donc, à chacun sa vérité et du coup de nombreuses découvertes sont inéluctables. Pour matérialiser notre degré d’ignorance j’ai l’habitude d’utiliser la métaphore suivante. Imaginez que vous êtes devant un tableau pointilliste. Ce tableau n’a de sens que si vous vous trouvez à bonne distance de la toile, pour la voir dans sa globalité. Considérez alors que s’agissant de la compréhension du cerveau, les neurobiologistes ont encore le nez collé à la toile !

En quoi ces découvertes peuvent-elles être clé dans le domaine neurologique/médical ?

Sans vouloir minimiser l’impact de cette très belle étude que vous avez eu raison de distinguer, il faut toutefois mentionner que depuis Brodmann un certain nombre de travaux réalisés au cours des dernières années ont déjà pointé la présence d’aires corticales nouvelles et de caractéristiques anatomiques remarquables. Par exemple, à titre d’illustration, des travaux d’imagerie remarquables ont bien montré des défauts de myélinisation de fibres nerveuses dans certaines régions corticales chez les malades schizophrènes, considérant que la myélinisation est l’une des étapes ultimes du développement cérébral intervenant jusqu’à un âge de plus de 20 années. A n’en pas douter, ces travaux devraient aboutir à mieux préciser la séquence des évènements intervenant dans notre cerveau en rapport avec son développement et la mise en place des fonctions cognitives, notamment, mais aussi pendant le vieillissement.

Et puis bien entendu, toute la problématique des maladies neurologiques et psychiatriques devra être revisitée à la lumière des évolutions de la conception de l’organisation cérébrale révélée par cette étude, et jusqu’à ce qui fait la nature du cerveau humain dans une approche comparative, en particulier avec nos cousins les primates non humains dont il faudra déterminer quelles sont les aires nouvellement décrites qui y sont présentes, ou pas. Un long chemin, donc mais à n’en pas douter une forme d’excitation face à ces découvertes, source d’un cadre conceptuel explicatif du fonctionnement cérébral encore non imaginé.

Propos recueillis par Victoire Barbin Perron

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