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40 ans du collège unique : les ravages d'une réforme qui s’est retournée contre les élèves qu’elle voulait aider
©Reuters

L'éducation en crise

Réforme d'envergure mise en place en 1975, le "collège unique" avait pour but d'uniformiser l'enseignement, et donc, de permettre l'égalité des chances. Regrouper tous les élèves, sans distinction, entre la 6ème et la 3ème afin démocratiser l'accès aux différentes filières du lycée. 40 ans après, la mesure est toujours critiquée.

Martine Daoust

Martine Daoust

Ancienne rectrice de l'académie de Limoges (2008 à 2010) et de Poitiers (2010 à 2012). Agrégée en sciences du médicament, elle a publié chez Albin Michel : La réforme… oui mais sans rien changer.

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Jean-Michel Blanquer

Jean-Michel Blanquer

Ancien recteur et directeur général de l'enseignement scolaire au Ministère de l'éducation nationale entre 2009 et 2012, il est aujourd'hui président de l'institut des Amériques et directeur de l'ESSEC Business School.

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En 1977, René Haby a lancé le collège unique dans l'objectif de rassembler les cursus et d'en faire un "levier d'égalisation des chances" comme l'écrit la sociologue Nathalie Bulle dans son étude "Collège unique : le bilan". Près de 40 ans plus tard, le collège unique a-t-il su tenir ses promesses ?

Jean-Michel BlanquerLe collège unique a représenté une étape dans l' histoire de la démocratisation de l'enseignement secondaire en France. L'idée a été tout simplement de considérer que, jusqu'à l'âge de la fin de la scolarité obligatoire (16 ans), il était normal d'offrir un égal accès à un même enseignement à tous les élèves de France. Mais cela a été fait en consacrant une organisation du collège comme un "petit lycée" avec ses disciplines très nombreuses dès la sixième. De nombreux élèves se perdent avec la césure que représente le passage du CM2 en sixième. Si l'on ajoute à cela une dégradation dans l'acquisition des savoirs fondamentaux à l'école primaire qui a commencé aussi dans les années 70 pour d'autres raisons, de nature pédagogique, on a eu les ingrédients d'un échec du collège unique qui était pourtant une belle idée. Il faut donc maintenant le faire évoluer.

Martine Daoust : Le collège unique a certainement su tenir ses promesses pendant un temps, mais une faille s'est creusée au moment où est apparue vraiment l'éducation de masse et où le premier degré – le pré-collège – a un peu faibli dans ses exigences, dans les processus d'apprentissage. Il ne faut pas jeter totalement la pierre au collège unique : cela faisait partie d'un postulat qui pouvait fonctionner. Malheureusement l'effet de masse et la grande hétérogénéité des élèves qui arrivent au collège fait que cela ne peut plus fonctionner. On ne peut plus mettre tout le monde sur la même ligne de départ en faisant le pari qu'ils arriveront au même endroit et au même moment.

Quel bilan peut-on justement dresser de cette méthode au moment où le gouvernement rouvre l'épineux dossier de l'éducation au collège ?

Jean-Michel Blanquer On doit réussir à tenir l'équilibre entre deux impératifs complémentaires qu'il ne faut pas opposer mais concilier. D'un côté, on doit s'assurer de l'acquisition par tous d'un socle solide de connaissances. Cela renvoie à ce qui se passe à l'école primaire et à l'attention que l'on doit porter aux premières années de l'école. Ce qui se joue à l'école maternelle et au cours préparatoire est décisif pour le reste de la vie. On doit donc déployer les méthodes qui ont fait leurs preuves pour donner des bases solides aux enfants en français et en mathématiques. Cet enjeu se poursuit au collège car les connaissances fondamentales doivent être consolidées. 

D'un autre côté, on doit réussir à personnaliser les parcours au collège pour tenir compte du niveau et des aspirations de chacun. On doit aussi mieux assurer la cohérence des savoirs acquis. L'impératif de Montaigne, "une tête bien faite plutôt qu'une tête bien pleine" signifie qu'il ne faut pas empiler les savoirs mais les organiser entre eux. 
C'est l'enjeu de l'interdisciplinarité et d'une capacité à analyser le réel qui puisse se développer en même temps que la personnalité de l'adolescent se précise. Cette redynamisation de l'enseignement doit servir aussi à lutter contre l'ennui et contre la violence. Pour cela il faut transmettre du sens et des valeurs. 
C'est aussi l'enjeu de l'accompagnement personnalisé qui doit permettre d'aider les enfants les plus en difficulté. De ce point de vue, la réforme proposée semble un pas intéressant dans la bonne direction. Mais tout est question de mise en oeuvre: si l'interdisciplinarité débouche sur un salmigondis pédagogiste, on aura perdu sur tous les tableaux. En revanche, si l'on a une véritable personnalisation des parcours avec un établissement qui profite de son surcroît d'autonomie pour déployer des stratégies pertinentes pour tenir compte de tous ses élèves, alors cela pourrait être un progrès. Pour cela, il ne faut pas perdre de vue l'objectif, grâce à des évaluations régulières.

Martine Daoust : On assiste à un affaiblissement du niveau en général, donc ce sont les élèves les plus fragiles qui sont les plus exposés, de manière assez logique. On pousse des élèves qui ne se trouvent pas nécessairement où il faut. C'est comme un marathon : tout le monde n'arrive pas en même temps ! Ce que l'on admet pour le sport, la musique, ne passe pas pour le collège ! Le passage du premier degré au collège est violent parce que la journée est organisée différemment. Cela contribue à creuser l'écart et provoquer la démotivation chez certains élèves. Cela met les élèves les plus fragiles dans une situation d'échec alors qu'au contraire il faudrait pouvoir les valoriser.

En fin de compte, faut-il en finir avec le collège unique ? L'avenir du collège réside-t-il dans la mise en œuvre d'un système semblable à celui qui existe en Finlande où des groupes personnalisés sont créés pour prendre en charge les élèves les plus en difficulté ?

Jean-Michel Blanquer : On doit passer du "collège unique" au "collège commun". On doit donc non pas revenir en arrière mais franchir une étape dans la démocratisation, cette fois de nature qualitative. Si l'on veut vraiment accomplir l'égalité des chances, on doit personnaliser les parcours selon des grands domaines permettant de faire franchir à chacun à son rythme les différents niveaux de compétence attendus. Il faut avoir une approche pluriannuelle, sur quatre ans, de cette acquisition des compétences. Par exemple, un élève peut être très bon en français et très faible en mathématiques à son entrée en sixième. Si le collège est organisé en groupes de niveaux dans ces deux disciplines, l'élève passe d'un groupe à l'autre en fonction de paliers réellement acquis.

On ne redouble donc pas des classes mais des niveaux qui correspondent à des sessions qui durent quelques semaines. On évite ainsi à l'élève d'accumuler des retards. Il (ou elle) peut ainsi cultiver son excellence dans un domaine et assurer un socle de base dans un autre. Il est démontré que les groupes de niveau (par exemple en langue étrangère) sont favorables à tous les élèves. On a toujours voulu éviter à juste titre les classes de niveau pour ne pas renforcer des retards et des inégalités. Mais les groupes de niveau, eux, permettent d'éviter cet inconvénient et, au contraire, contribuent au progrès de tous. Ce serait un changement de grande ampleur, qui reste à construire.

Martine Daoust :Je pense qu'en l'état, il faut en finir avec le collège unique. En l'état, c'est-à-dire sans classe de niveaux même si cela existe plus ou moins sans être officialisé. Tous les élèves sont exposés à l'heure actuelle aux mêmes enseignements même s'ils n'ont pas le niveau pour et cela pose problème. Il faut effectivement aller vers des groupes de niveaux, ce qui suppose de se doter d'outils de repérage, d'identification de la difficulté des élèves. Evidemment ces outils restent à construire. L'objectif serait de pouvoir identifier les élèves qui ont besoin de plus de temps pour assimiler les connaissances, mais aussi pouvoir évaluer pleinement leurs connaissances, leurs compétences, et en fonction de cela voir quels sont ceux qui peinent à suivre et aussitôt les prendre en charge pour combler leurs lacunes.

Le problème du collège ne dépend-il pas avant tout de concentrer les besoins sur l'éducation prioritaire ?

Jean-Michel Blanquer : Les moyens ne sont pas la réponse à tout. Aujourd'hui, certains collèges de l'éducation prioritaire réussissent très bien tandis que d'autres s'effondrent, avec les mêmes moyens et les mêmes caractéristiques géographiques et sociales. Le facteur humain reste le facteur essentiel et il faut d'ailleurs s'en réjouir. Cela signifie qu'il faut aller à la racine des problèmes. Un collège qui marche bien est un collège où il y a un esprit d'équipe entre tous les adultes de l'établissement, une stabilité des personnels (ce qui est la conséquence du point précédent), un dialogue avec les parents. Si l'on ajoute à ces ingrédients, un recrutement et une formation des enseignants bien pensés, on a la voie de la réussite de l'éducation prioritaire. Ce n'est pas une utopie. Cela existe déjà dans de nombreux territoires. Mais on réussira la généralisation des bonnes pratiques par l'évolution des règles en matière de carrière, de temps de travail, de valorisation des professeurs et d'organisation de la gouvernance du collège. Il peut y avoir une évolution des moyens mais ce qui compte désormais c'est de savoir les allouer de façon efficace.

Martine Daoust : Il ne faut pas croire que la difficulté ne concerne que les zones prioritaires. Évidemment il y a une concentration d'élèves dans ces zones d'éducation prioritaire. Bien sûr donc qu'il faut mettre des moyens pour organiser le temps scolaire différemment, le cycle peut-être aussi. Il faut rendre cette période de collège plus modulable, plus souple et adaptée aux jeunes les plus en difficultés. Je suis persuadée que pour certains il faudrait très peu de temps pour leur permettre de récupérer la confiance en eux et combler leurs lacunes.

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