2022 : la présidentielle où le cercle de la raison aura une nouvelle fois échappé aux questions sur les failles béantes de son bilan<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron célèbre après sa victoire à l'élection présidentielle française, au Champ de Mars à Paris, le 24 avril 2022.
Emmanuel Macron célèbre après sa victoire à l'élection présidentielle française, au Champ de Mars à Paris, le 24 avril 2022.
©THOMAS COEX / AFP

Cercle de la raison

Alors que la campagne présidentielle est désormais terminée, de nombreuses failles dans le bilan du président n'ont pas été abordées, laissant de nombreux commentateurs et électeurs sur leur faim

Bruno Alomar

Bruno Alomar

Bruno Alomar, économiste, auteur de La Réforme ou l’insignifiance : 10 ans pour sauver l’Union européenne (Ed.Ecole de Guerre – 2018).

 
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Atlantico : La campagne présidentielle est désormais finie et les discussions et thèmes abordés lors de cette campagne ont laissé de nombreux commentateurs et électeurs sur leur faim, notamment en ce qui concerne le bilan du président Macron. Si la gestion de la pandémie n’a pas été abordée, de la crise des gilets jaunes ou des dernières affaires McKinsey, pourquoi n’ont pas été évoquées les différentes failles du premier quinquennat Macron ? Comment expliquer qu’il n’y ait pas eu de vraie remise en question des dogmes et manières de faire qui ont mené à ces crises ?  

Bruno Alomar : C’est une campagne en effet médiocre, qui a d’ailleurs peu intéressé les Français. Ce qui signifie alimente une idée assez simple : le Président sortant, s’il est réélu, disposera plus d’un sursis que d’une adhésion renouvelée. Il y a sans doute beaucoup de raisons à cela, dont les suivantes.  

Premièrement, et de la manière la plus simple : la faible qualité des candidats à la fonction, en ce compris le détenteur du poste. C’est le point essentiel que personne ne veut voir : la politique, même s’il existe encore des exceptions, est, de plus en plus, un milieu de médiocres. Les plus brillants, les plus intelligents ne vont pas faire de la politique, pour des raisons sur lesquelles l’on prend soin de ne pas s’interroger : ingratitude, faiblesse des rémunérations, risque pénal etc. Si l’on veut des débats de haut niveau, il faut que plus de Français talentueux fassent de la politique !  

Deuxièmement, une forme de fatigue démocratique qui n’est pas l’apanage de la France, et qui en réalité touche tout l’Occident. Car les débats et les politiciens médiocres, l’invective au lieu du débat, ne sont pas exclusifs à la France. Ils sont un fait partagé par la plupart des démocraties occidentales. Mais la France a ceci de spécifique que, construite au travers de son État, des institutions fortes sont dans l’ADN des Français, comme le Général de Gaulle l’avait compris.  

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Troisièmement, le rôle des médias. Dans la mesure où les clivages très forts qui caractérisent notre vie politique traversent les médias, ceux-ci ne sont plus assez le lieu d’expression et de débat qu’ils doivent être. Là encore, ce n’est pas nouveau : qui a fait retour sur l’extraordinaire unanimisme des médias américains en faveur d’Hillary Clinton en 2016 ?  

Quatrièmement, ce qu’il faut bien appeler la trahison des clercs, ou, pour paraphraser une expression plus récente, celle du « cercle de la raison ». Beaucoup d’universitaires, chercheurs, hauts fonctionnaires, intellectuels, voyant son bilan, ont été profondément déçus du macronisme, dont ils n’attendent plus rien après l’avoir inconsidérément porté aux nues. Mais plutôt, depuis 2018-2019, que d’en faire l’analyse pour tenter de l’influencer, pour expliquer ses faiblesses aux Français, pour ouvrir le chemin à des alternatives, ils sont restés cantonnés à une posture qui est la seule force du Président sortant : la continuité dans la médiocrité ou le chaos.  

Cinquièmement, ceux qui voulaient poser les questions qui fâchent, et je pense notamment à Eric Zemmour, n’ont, c’est manifeste, pas réussi leur pari. 

Dans quelle mesure cette présidentielle a-t-elle été la preuve que l’on n’ose pas véritablement poser les questions qui fâchent sur les failles du système en raison de la solidité des dogmes mis en place ? Qu’aurait-il été bon d’interroger en profondeur ? 

Il n’y a pas de politique en dehors des réalités, aurait dit le Général de Gaulle. Dans ce contexte, il aurait été sans doute bon de s’interroger sur quelques réalités.  

L’état des finances publiques. C’est, plus que le chômage, le déficit extérieur, le droit du travail ou le nombre de licornes – sujets sur certains desquels des progrès ont été fait, LE problème majeur de notre économie, qui a empiré au cours des dernières années. Les Français vivent au-dessus de leurs moyens depuis trop longtemps. Discuter d’économie aujourd’hui n’a pas grand sens, et quel(le) que soit l’élu(e), la réalité va le rattraper : avec des taux d’intérêts en hausse, une croissance naturelle faible, des impôts au sommet, la France court à l’échec, la zone euro à une nouvelle heure douloureuse de vérité. A-t-on parlé de la dette ? Non. 

L’immigration et la place de l’Islam. Qu’on le veuille ou non, plus de la moitié des français – qu’on ne peut se contenter de stigmatiser comme « fascistes » considèrent qu’il y a là un problème. En a-t-on débattu avec sérieux ? Non. 

L’éducation. Chacun comprend qu’à long terme c’est la clé de tout. De la justice républicaine autant que de la force de notre économie. Or les vrais sujets n’ont pas été mis sur la table : l’autorité du professeur, la baisse générale du niveau dans beaucoup de matière,s la capacité des directeurs d’établissement de réellement diriger leur établissement. 

La question européenne. L’Union européenne enchaîne les catastrophes : Brexit, guerre en Ukraine. Face à cela avons-nous eu des débats qui s’approche quelque peu de ceux que nous avions eus en 1992 lors de l’adhésion au traité de Maastricht ? Rien.  


Le choix pour les électeurs entre statu quo macronien et une colère stérile, sans incarnation d’un juste milieu, a-t-il débouché sur une présidentielle ratée, au moins du point de vue de la remise en question idéologique ? 

Oui. C’est une présidentielle ratée. Mais, les réalités restant ce qu’elles sont, ce qui ne se débat pas et ne se décide pas par le débat démocratique trouve toujours à s’exprimer d’une autre manière, hélas souvent pour partie par la violence. C’est la grande erreur commise depuis 1989 en Occident : n’avoir pas compris que quand on prétend fermer la porte à la politique, elle passe par la fenêtre et elle se venge.  

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