2022, l’année où le journalisme est tombé dans le coma<!-- --> | Atlantico.fr
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Notre rapport à l’information a changé. Structurellement.
Notre rapport à l’information a changé. Structurellement.
©Eric CABANIS / AFP

Bilan 2022

A l'occasion de la fin de l'année, Atlantico demande à ses contributeurs les plus fidèles de dresser leur analyse d’un fait marquant sur l’année écoulée. Drieu Godefridi estime que 2022 est l'année de la mort du journalisme.

Drieu Godefridi

Drieu Godefridi est juriste (facultés Saint-Louis-Université de Louvain), philosophe (facultés Saint-Louis-Université de Louvain) et docteur en théorie du droit (Paris IV-Sorbonne).

 
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Beaucoup de journalistes persistent à fantasmer leur travail comme si l’on était en 1950 ou 1980. Or, notre rapport à l’information a changé. Structurellement.

Tous, nous avons accès à l’information factuelle — comme au Moyen Âge, comme à la Renaissance, comme durant l’Antiquité grecque. Ce qui a changé est l’ampleur de cet accès et notre capacité de communiquer cette information au monde — littéralement — et de façon directe.

Certes, la réalité de cette diffusion dépend de notre popularité, entre autres sur les réseaux sociaux. Cette popularité se construit, et cela prend du temps. Bien sûr, cette nouvelle réalité de l’information est profondément inégalitaire — comme toute chose humaine et naturelle. Le fait demeure : désormais, petits ou grands, riches ou pauvres, tiktokeurs ou instagrammeuses, nous sommes des médias et les journalistes comme ‘passeurs’ de faits ont perdu leur raison d’être.

J’ai davantage appris sur l’analyse des données épidémiologiques de la crise COVID en suivant le compte Twitter de Nassim Nicholas Taleb que je ne l’aurais fait en lisant tous les jours Le Monde, Le Figaro et les ineffables plaisantins hargneux de Libé.

Le passage d’une domination à l’autre se fait rarement sans friction. C’est le paradoxe de Thucydide. La puissance dominante entre en guerre avec la puissance émergente, poussée par la peur que suscite la montée en puissance de son concurrent. Il y a là une vérité, tout au moins une constante épistémologique, qui dépasse largement le cadre des relations internationales.

De ce que l’ancien monde de l’information ne mourra pas sans combattre, Twitter offre une excellente illustration en forme de synthèse.

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Lors de la récente campagne électorale pour la présidence des États-Unis (2020), Twitter permettait à chacun de communiquer librement des faits dont il avait connaissance à propos de cette campagne; mais également des opinions, de l’humour. Des faits très locaux, comme des analyses très générales.

C’est ce que l’ancien monde ne pouvait tolérer. Se mit en place, dans la montée vers l’élection, une improbable mais formidable coterie, une coalition souple et coercitive de dirigeants de Twitter, d’agences gouvernementales en ce compris le FBI, d’ONGs et la quasi-totalité de la presse ‘traditionnelle,’ pour combattre ‘la désinformation’.

Las ! Cette coalition, qui n’a plus rien d’improbable tant elle est systématique et structurelle, ne pouvait prévoir le rachat de Twitter par cet électron libre (et riche) qu’est Elon Musk. Ce qui nous vaut les ‘Twitter Files’, qui révèlent à la face du monde les vérités suivantes : 1/ Le ‘Deep State’, défini au sens de l’armada hétérocilite mais parfaitement coordonnée que nous venons de décrire, est une réalité extra-légale structurante de l’ordre constitutionnel américain, 2/ La collaboration entre Twitter et le FBI fut permanente durant la campagne de 2020 ; 3/ Dans 99% ces cas, les comptes flaggés, shadow-bannés, bannis, les tweets annulés émanaient de sympathisants Républicains. Faut-il en conclure que les Démocrates sont tous des gens honnêtes, qui circulent exclusivement une information avérée, de qualité, neutre et désintéressée ? Même les plus furieux censeurs de Twitter trouvaient que le FBI allait parfois un peu loin en leur demandant d’annuler des tweets humoristiques likés par trois personnes. Avant d’annuler le tweet en question.

Dans le cadre de cette belle collaboration huilée, l’intégralité des organes de la presse classique sauf un (le New York Post) ont décidé d’enterrer souverainement le laptop que ce junkie dégénéré de Hunter Biden avait oublié de récupérer chez son réparateur et qui révélait pourtant l’étendue de la compromission des Biden avec les régimes chinois et ukrainien. Tout ceci,en accréditant l’idée qu’il s’agissait d’une ‘manœuvre russe’ (sic). Bien sûr, cette théorie grotesque du piège russe ne reposait sur aucun élément factuel et était aussi fausse que le laptop de Hunter était vrai.

Journalisme n’est qu’un mot, ce qui compte est la chose, ie la circulation de l’information. Celle-ci implique d’une part l’accès aux faits et leur relation, d’autre part la structuration rationnelle du matériau factuel (explication causale, circonstancielle, etc.).

Beaucoup de journalistes reconnaissent du bout des lèvres que l’accès au matériau factuel ne dépend en effet plus d’eux. Mais ils revendiquent sa structuration rationnelle, dont ‘les réseaux’, qui crédident tous les jours mille théories conspirationnistes, seraient incapables.

Or, c’est précisément dans la structuration du matériau factuel que la faillite actuelle du journalisme est la mieux patente. Prenons un autre exemple. Durant trois longues années, la presse classique a circulé la thèse selon laquelle la campagne Trump de 2016 n’était qu’une vaste ‘collusion’ avec le gouvernement de la Fédération de Russie, jusqu’à taxer Trump d’agent russe (sic). Trois ans, des millions d’articles, émissions spéciales, reportages, partout dans le monde ! Tout était faux. Dit autrement, la plus formidable théorie conspirationniste circulée en Occident depuis 1945 fut le fait de la presse classique, en combinaison réticulaire avec les autres composants de ce que l’on nomme à bon escient le ‘Deep State’.

Les journaux classiques ne vont pas tous disparaître. Surnageront ceux qui apportent de la valeur dans la structuration objective du matériau factuel.

Soit le contraire de ce que font la majorité des journalistes contemporains qui non seulement refusent de s’en tenir aux faits — leur opinion est tellement importante ! — mais font primer leur opinion sur les faits. Comme si le seul fait qui importe vraiment était leur opinion, qui ne présente pourrant en soi guère plus de valeur ni d’intérêt que l’opinion de Nina instagrammeuse ou de Momo tiktokeur.

Ce journalisme, qui n’est pas d’opinion, mais de confusion, est sans avenir. Il y a tout lieu de s’en réjouir et les subventions massives à la presse antique, que plus rien ne justifie, mériteraient d’être réexaminées à l’aune de cette vérité.

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