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2017, la présidentielle qui hésitait : simple mise à jour politique ou émergence malaisée de nouveaux logiciels idéologiques ?
©Capture d'écran LCI

Tabula plena

Les cinq candidats les plus puissants de l'élection présidentielle se sont affrontés lundi dernier dans un débat télévisé. Au final, en un peu moins de quatre heures d'échanges vifs, chacun est resté campé sur ses positions. Tous se prétendent antisystème, mais aucun n'a su incarner une ligne nouvelle en termes de programme.

Virginie Martin

Virginie Martin

Virginie Martin est Docteure en sciences politiques, habilitée à Diriger des Recherches en sciences de gestion, politiste, professeure à KEDGE Business School, co-responsable du comité scientifique de la Revue Politique et Parlementaire.

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Alors que de nombreux candidats cherchent à incarner une forme de rupture, voire le renouveau, les idées développées par ces derniers ne semblent pourtant pas​ toujours être totalement nouvelles. En dehors de certaines propositions réellement nouvelles, comme le revenu universel, ou un certain renouveau des institutions, En quoi cette campagne 2017 peut elle également révéler une forme de renouveau d’apparat ?​ Qui en sont les principaux représentants ?

Virginie Martin En termes de renouveau sur les personnes, il est difficile de répondre à cette question. Tous les candidats qui sont en lice sont présents dans la politique depuis de nombreuses années. Emmanuel Macron est dans les équipes de François Hollande à l'Elysée depuis 2012 et était déjà présent dans sa campagne en 2011. Benoit Hamon est un cacique du Ps, François Fillon, de la droite, Marine Le Pen, Jean Luc Mélenchon s'est déjà présenté aux précédentes élections. On ne voit rien de nouveau en matière de personnage politique. Ils ont tous été soit des conseillers, soit des élus. 

En termes d'idées à l'inverse, il y a des choses intéressantes. François Fillon assume sa ligne véritablement libérale. Cela faisait longtemps qu'on n'avait pas vu un candidat de droite avec une ligne aussi décomplexée en matière de libéralisme économique. Cela peut stimuler les gens de droite qui sont avide de ce libéralisme. Il va plus loin que Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac sur cette thématique. Cette ligne n'est pas facile à assumer en ces temps de crise. La protection arrive après pour lui. Ce positionnement libéral n'est pas si fréquent économiquement. Le renouveau est plus dans le logiciel de Benoît Hamon. Il se pose comme étant de gauche, dans l'héritage socialiste. Il dit qu'il sera un président féministe, que les couples pourront se passer des trimestres de retraite. Il pose aussi la question du revenu universel, de la robotisation de l'économie. Il a une façon d'assumer la cinquième République qui est nouvelle en affirmant qu'il sera le président qui ne fera pas certaines choses particulière et pose la question de savoir dans quelle société nous voulons vivre. Et selon le type de société dans laquelle nous voulons vivre, il faudra choisir le bon candidat. Benoit Hamon renverse la présidentialisation de la cinquième République. Quant à la sixième République, cela pourrait être quelque chose d'intéressant, mais Jean-Luc Mélenchon n'a eu que très peu de temps hier pour la présenter. 

Les deux candidats les moins novateurs dans leur logiciel sont Marine Le Pen, bien qu'elle ait embrassé tous les sujets dont le handicap, les mutuelles et la santé. Elle est sortie de son rôle très classique du Front National sur l'immigration et l'identité. Elle a fait corps avec plus de sujets avec un logiciel plutôt de gauche sur la protection des citoyens. Emmanuel Macron a ainsi semblé le moins novateur. On ne sait toujours pas ou se situe son logiciel bien qu'il affirme être pragmatique.

Christophe BouillaudEffectivement, les cinq candidats qui ont été invités à débattre devant les téléspectateurs français représentent tous des traditions politiques qui dépassent de loin leur personne particulière. Que ce soit le FN "dédiabolisé" représenté par Marine Le Pen mais ferme sur son fondamental refus de l’immigration, la droite gaulliste d’un François Fillon se proposant encore une fois de faire jouer de concert autorité de l’Etat, conservatisme et libertés économiques, le centre libéral "orléaniste" prônant à la fois l’enrichissement et la tolérance incarné par Emmanuel Macron, la gauche réformiste d’un Benoit Hamon voulant encore une fois "changer la vie" comme en 1981 sans toutefois faire la révolution, et une gauche plus radicale incarnée dans un nouveau "fils du peuple" Jean-Luc Mélenchon, on retrouve mutadis mutandis le vieux quadrige bipolaire (RPR/UDF/PS/PCF) des années 1980 accompagné de son tiers exclu, le FN. Cela voit bien sur les positions des différents partis en matière européenne, avec des forces centrales (les Républicains, En Marche ! et PS) pour la poursuite de l’intégration européenne, avec deux ailes plus critiques, le FN à droite et la France insoumise à gauche. Ou encore sur le sort de l’ISF, ou bien encore sur l’école. Tout cela est d’un grand classicisme, et effectivement on peut parler de "renouveau d’apparat". 

Pour ces candidats, Quelles sont les causes de cette incapacité à changer de logiciel idéologique ? Faut il y voir ​un manque de réflexion en amont, ou des candidats piégés par leur électorat ?

Virginie MartinEmmanuel Macron incarne une forme de tentative de conciliation de points de vue autant à gauche qu'à droite, mais sa vision est inaboutie pour l'instant. La représentation droite gauche est très forte en France. Un projet un peu technocratique ne parle pas au logiciel bipartisan français. La tendance est à le mettre dans des cases partisanes. 

Les candidats proposent des solutions. C'est l'incapacité de notre temps médiatique qui va trop vite qui pose problème. Ce temps mâche les idées des candidats et les étouffe au profit du show médiatique. Les passes d'armes entre Benoit Hamon et Emmanuel Macron sur le financement de la campagne de ce dernier et celle entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen a fait plus de buzz que la moindre des idées émises lundi soir. Le côté jeu, émotion gagne sur les idées. C'est la bataille des personnes qui amuse, qui distrait au lieu d'une bataille des idées. On est dans la distraction. L'affaire Fillon permet de vendre plus de journaux. Ce que l'on retiendra de ce débat, c'est l'écume de son écume. Très peu d'idées auront été retenues à cause des "punchlines" qui auront été sorties par chaque candidat. On ne sait pas qui a gagné le débat, mais plutôt qui a gagné la punchline. 

On remarque de plus en plus l'existence du "in" et du "off". Le in, c'est le débat tel qu'il a eu lieu lundi soir, et le off, c'est ce qui se passe sur internet et les réseaux sociaux. Dans les années 1980-1990, il y avait déjà des phrases chocs, célèbres comme "la gauche n'a pas le monopole du cœur" mais aujourd'hui, la caisse de résonnance médiatique est plus forte que la presse il y a 20 ans. On apprend que c'est Emmanuel Macron qui est sorti vainqueur du débat, cela va dans le sens des sondages qui indiquent Emmanuel Macron contre Marine Le Pen au second tour de l'élection présidentielle depuis quelques semaines. On ne connait pas les positions des petits candidats du fait de leur absence. 

On ne met pas en avant les points forts et les points faibles des uns et des autres, on ne retient que l'écume.

Christophe Bouillaud : De fait, chaque candidat doit flatter son propre électorat et il y a des sujets sur lesquels le raidissement doctrinal reste indispensable pour exister. Il suffit de voir les réactions de part et d’autre lorsque le terme de "colonisation" est évoqué ces derniers mois. Il ne faut pas toutefois sous-estimer les capacités de chaque parti en lice ou de chaque candidat à évoluer par rapport à la tradition qu’il entend incarner. L’évolution la plus spectaculaire est sans doute celle de Jean-Luc Mélenchon. Il a intégré dans sa vision de gauche radicale une bonne part d’écologie, ce qui ne va pas encore tout à fait de soi pour le PCF et la CGT qui restent eux largement sur une vision productiviste de la réalité et qui demeurent plutôt favorable au nucléaire. Il s’intéresse même désormais aux droits des animaux en saisissant au vol un mouvement de l’opinion, que, probablement, la gauche marxiste aurait vu jadis comme une lubie petite-bourgeoise.  Benoit Hamon lui a emboîté le pas en s’alliant en plus avec les écologistes d’EELV. Ce dernier a aussi été celui qui semble avoir le mieux saisi que la révolution technologique en cours était en train d’impacter le statut du travail bien plus que cela n’était prévisible il y a encore dix ans. A droite, on rappellera que le FN de Marine Le Pen a intégré à son discours un aspect social qui n’existait guère dans le FN des années 1980. Ce sont sans doute les candidats Fillon et Macron qui défendent les positions néo-libérales les plus classiques qui définissent les politiques publiques nationales et européennes depuis une quarantaine d’années. 

En quoi cette absence de renouvellement idéologique des partis de gouvernement peut contribuer à donne une prime à la radicalité ? 

Virginie Martin : Une fois que l'on est dans la moyennisation de l'idéologie, que l'on amalgame les idées de droite et de gauche, on n'arrive plus à se situer dans le débat. On peut penser que des énarques peuvent suffire à gouverner le pays comme s'il s'agissait d'une entreprise. Les citoyens veulent de la politique, ils aiment la politique. Ils ont des visions du monde, d'une société qui ne sont pas les même que celle de François Fillon ou Marine le Pen, de Benoit Hamon ou Jean-Luc  Mélenchon. Dans une société un peu grise, face à une littérature un peu grise telle qu'elle émane des cabinets d'Emmanuel Macron et des conseillers politiques, on peut comprendre que le besoin de politique se fasse sentir. Et finalement, ce sont les idées radicales qui peuvent s'opposer par un effet de balancier bien connu, comme si on passait d'un clivage à l'autre, d'un clivage de gauche à un clivage de droite, d'un clivage de position un peu grise à un clivage de position radicale, d'une position système à une position anti système. La présence d'Emmanuel Macron peut faire disparaitre les candidats de gauche et de droite au profit de candidats extrêmes comme s'ils étaient la réponse à quelque chose de trop timoré et qui laisse à penser que la réponse se trouverait chez un candidat anti système.   

Christophe Bouillaud : Je ne suis pas sûr qu’il y a ait une si grande prime que cela à la radicalité. L’ électorat effectif est plus modéré que l’image que veulent bien en donner les médias qui n’insistent que sur le leadership relatif de la candidate du FN, qui arrive effectivement en tête des intentions de vote et devrait selon toute vraisemblance figurer au second tour. En effet, force est de constater que les dernières élections intermédiaires en France, les régionales, voient partout le FN battu quand il est au second tour, et, que, par ailleurs, aucune autre force politique radicale que le FN n’accède alors seule au second tour. De même, selon tous les sondages disponibles, parmi les électeurs ayant l’intention d’aller voter, les candidats des partis radicaux (FN, DLF à droite, la France insoumise et PCF, LO, LCR à gauche) restent minoritaires face aux intentions exprimées pour les candidats des partis de gouvernement (les Républicains et UDI, En Marche ! et Modem, PS, EELV et PRG). Tous les sondages faits actuellement sur le second tour donnent d’ailleurs Marine le Pen battue, plus ou moins largement certes, par un candidat représentant un parti de gouvernement. De fait, le gros de l’électorat français veut peut-être du changement, mais il ne veut sans doute pas être face à une révolution par l’élection, pour autant d’ailleurs qu’une telle chose existe.

​En quoi le débat de ce 20 mars peut il marquer la fin d'une certaine forme du discours politique ? Faut il y voir une rupture?​

Virginie Martin : Ces débats sont faits pour que chacun reste dans son couloir de course, pour qu'il n'y ait pas de débat entre eux, sans contradictions de la part des journalistes. Au final, chaque candidat a eu 20 minutes pour présenter son programme et qui il est. C'était assez fastidieux dans la forme. Cela ne permet pas aux gens de voir qui est crédible, construit, quelle est l'humanité des personnes qui se présentent. Il y a beaucoup de limites à cet exercice. Chacun reste dans sa ligne. Pourtant, ce qui intéresse les médias, c'est le hors ligne, quand le coureur d'à côté vient dans le couloir de l'autre, fait tomber son témoin. C'est très étrange de construire quelque chose de complètement balisé dont on retiendra tout ce qui n'a pas été balisé. Là, l'effet inverse s'est produit. Le but est d'avoir quelque chose de pédagogique, avec des idées claires, et au final, ce n'était pas le cas.

Christophe Bouillaud : Il me semble que la vraie rupture avec les débats des élections présidentielles précédentes pourrait consister dans le fait qu’aucun des cinq candidats n’est arrivé – tout au moins à ce stade – à créer l’illusion que son élection à la Présidence de la République va tout changer en mieux pour les Français en général, et pas seulement pour les partisans de son propre camp. C’est peut-être d’ailleurs un effet des primaires de la droite et de la gauche. Il ne fait guère de doute que l’élection de F. Fillon ou de B. Hamon serait une bonne nouvelle pour leur base électorale respective, mais ni l’un ni l’autre ne réussit à ce stade à la dépasser. E. Macron semble devoir jouer de cette incapacité en essayant justement de se positionner au-dessus du clivage droite/gauche, mais il n’est pas sûr que son attrait ne se limite pas au final à la France d’en haut, tout comme celle de Marine Le Pen tend à ne séduire que la France d’en bas. A tout prendre, le débat de lundi soir aurait été tout à fait adapté à un système institutionnel parlementaire, où chaque parti essaye avant tout de regrouper ses partisans pour pouvoir peser ensuite au Parlement, mais il a moins bien fonctionné s’il s’agissait de désigner un "grand leader" chargé de s’occuper de tous  les Français. De ce point de vue, il constitue peut-être le début d’une prise de conscience plus générale des électeurs que l’élection présidentielle n’est pas ce faiseur de miracle que la vulgate de la Vème République décrit parfois ("la rencontre d’un homme et d’un peuple"). Mais nous ne sommes encore par arrivés au second tour, et, qui sait, les choses peuvent encore retrouver un scénario plus ordinaire. 

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