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1er mai: petites prévisions sur les revendications sociales post déconfinement
©Reuters

Effet d'aubaine ?

Face aux milliards d'euros mis à disposition par le gouvernement pour aider les entreprises à gérer au mieux la crise sanitaire, une mobilisation syndicale d'ampleur pour profiter du filon reste à craindre.

Bertrand Martinot

Bertrand Martinot

Bertrand Martinot est économiste et expert du marché du travail à l'institut Montaigne, ancien délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle. Co-auteur notamment, avec Franck Morel, de "Un autre droit du travail est possible" (Fayard, mai 2016). 

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Dominique Andolfatto

Dominique Andolfatto

 

Dominique Andolfatto est professeur de science politique à l’université de Bourgogne et un chercheur spécialiste du syndicalisme. Ses travaux mettent l'accent sur des dimensions souvent négligées des organisations syndicales : les implantations syndicales (et l'évolution des taux de syndicalisation), la sociologie des adhérents, la sélection des dirigeants, les modes de fonctionnement internes, les ressources, la pratique et la portée de la négociation avec les employeurs et l'Etat.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages dont 

- "Un échec français : la démocratie sociale", Le Débat, Gallimard, sept. 2019 (avec D. Labbé).

- "The French Communist Party Confronted with a World that was Falling Apart", in F. Di Palma, Perestroika and the Party, Berghahn, New York, 2019 : 

https://www.berghahnbooks.com/title/DiPalmaPerestroika

- "Faire cause commune au-delà de la frontière ? Le syndicalisme transjurassien en échec", in M. Kaci et al.,  Deux frontières aux destins croisés, Presses UBFC, Besançon, 2019.


- Chemins de fer et cheminots en tension , EUD / Ferinter, Dijon, 2018 :

https://eud.u-bourgogne.fr/sciences-sociales/623-chemins-de-fer-et-cheminots-en-tension-9782364412927.html?search_query=andolfatto&results=1

- "Organisations syndicales", in Y. Deloye et J. M. De Waele,  Politique comparée / Traités de science politique , Bruylant, Bruxelles, 2018 (avec D. Labbé) :

https://www.larciergroup.com/fr/politique-comparee-2018-9782802760771.html


- La démocratie sociale en tension, Septentrion Presses Universitaires, Lille, 2018 : http://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100096680

- Syndicats et dialogue social. Les modèles occidentaux à l'épreuve, P. Lang, Bruxelles, 2016 (avec S. Contrepois) : https://www.peterlang.com/view/9783035266177/9783035266177.00001.xml

- Les partis politiques, ateliers de la démocratie, Ed. uni. Bruxelles, 2016 (avec A. Goujon) : http://www.editions-universite-bruxelles.be/fiche/view/2768

 

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Les revendications sociales se font peu entendre en cette période de confinement. Pour autant, les syndicats préparent-ils déjà dès à présent le jour d’après ?

Bertrand Martinot:Le temps n’est pas encore aux revendications sociales car il n’y a pas encore matière à cela ! Avec un chômage partiel très « généreux », la profondeur de la crise est masquée à la majorité des salariés. Le revenu des ménages est largement protégé à court terme (l’OFCE estime l’amputation de pouvoir d’achat pour deux mois de confinement à 11 milliards d’euros, ce qui paraît beaucoup dans l’absolu, mais qui représente moins de 0,75 % du revenu disponible brut des ménages, sachant que les travailleurs indépendants et les patrons de TPE supportent une proportion très importante de cette perte). 
​S’agissant du « jour d’après » (un jour d’après qui risque d’ailleurs de se dérouler sur plusieurs mois…), les syndicats mettent l’accent sur la santé au travail dans les branches et dans les entreprises, donc sur les revendications immédiates. Sans surprise, la CGT se distingue par son jusqu’au boutisme en réclamant que le COVID 19 soit considéré comme une maladie professionnelle, ce qui pourrait faire sourire si la situation n’était pas tragique.  
S’agissant du climat social dans les entreprises, il semblerait qu’il ne se soit pas tendu jusqu’à maintenant. En témoigne une enquête de l’ANDRH (Association nationale des DRH) auprès de plusieurs centaines de DRH et publiée ce jour. En témoignent également les nombreux accords conclus dans les entreprises ces dernières semaines pour que les salariés posent des jours de congés payés pendant la période de confinement.

Les milliards d’euros mis sur la table pour sauver l’économie française ont de quoi faire tourner les têtes. Peut-on penser que les syndicats et travailleurs vont vouloir profiter de cette manne financière pour aligner les revendications dès la sortie de crise en insistant sur le fait qu’ils auront été essentiels au bon fonctionnement de l’économie ?

Bertrand Martinot: Le drame est bien entendu qu’il n’y a aucune manne financière ! La trajectoire des finances publiques avant la crise était déjà difficilement soutenable, elle va supposer des ajustements drastiques en matière de finances publiques quand l’économie repartira. A la fois pour sauver l’euro, mais également pour éviter un emballement incontrôlé de l’endettement. Il est illusoire de penser que la BCE pourra éternellement racheter les dettes publiques et maintenir ainsi les taux d’intérêt à des niveaux artificiellement bas.  Mais il est certain que la petite musique gouvernementale laissant entendre que l’Etat socialisera toutes les pertes est assez perturbante. Elle va rendre politiquement et psychologiquement difficile l’atterrissage en sortie de crise sanitaire et expliquer à l’opinion publique qu’un redressement des finances publiques est inévitable, qu’il sera très douloureux.

Dominique Andolfatto: Les syndicats n’ont pas attendu la sortie de crise pour formuler des revendications. Ils sont très actifs depuis le début de la crise. Plusieurs, au non de la priorité absolue à la santé, ont milité pour la fermeture de toute activité jugée non essentielle. On a vu beaucoup de maximalisme de leur part, il est vrai aidé par les défaillances de l’administration de la santé. Cela a conduit, par exemple, à la fermeture d’une entreprise comme Amazon alors que d’autres entreprises comparables n’ont pas été fermées. Manifestement Amazon a payé plus pour un mauvais dialogue social interne que pour son manque de protection de ses personnels. Les syndicats ont dénoncé également les dérogations au droit du travail permise par la loi sur l’urgence sanitaire, notamment la possibilité d’augmenter la durée du temps de travail. Très vite, des primes et une augmentation du SMIC ont été réclamées, notamment pour les personnels les plus exposés. Pour appuyer leurs positions et leurs revendications, la CGT ou SUD ont déposé plusieurs préavis de grève, notamment dans les transports ou la fonction publique. La difficulté de la situation explique aussi cette intransigeance. D’un autre côté, l’exécutif a essayé d’aplanir les choses en organisant plusieurs visioconférences avec les partenaires sociaux.
Cette implication a conduit les syndicats à prendre de la hauteur, à se montrer plus responsable, tournant la page de la longue guérilla sociale autour de la réforme des retraites que le gouvernement paraît d’ailleurs tenté d’abandonner. Il est vrai que la période ne permet plus aux syndicats de « mobiliser », ou alors virtuellement, au moyen des réseaux sociaux, comme se proposent de le faire de nouveau la CGT ou SUD pour un 1 er mai sans aucun défilé cette année, ce qui est totalement inédit. S’ils jouent le dialogue social, voire l’intégration à une certaine gestion de crise, toutes les tensions sont loin d’avoir disparu et le déconfinement pourrait voir effectivement de nombreuses revendications refleurir ou s’affirmer. Mais s’agira-t-il vraiment de déterrer la hache de guerre ? Rien n’est moins sûr car, dans les entreprises ou les administrations, la crise s’est gérée localement et pas nécessairement avec les syndicats, si ce n’est formellement. De nouveaux modes de solidarité, un autre type de relations salariés-employeurs a pu se dessiner, voire émerger, marginalisant plus ou moins les syndicats dont les divisions ou l’image restent souvent problématiques auprès de bien des salariés, tentés par l’a-syndicalisme.

Comment les différentes organisations syndicales se préparent-elles à l’après 11 mai ? Sont-elles toutes alignées sur le même discours ? 

Bertrand Martinot: Comme toujours, nos syndicats sont très divisés, selon leur sociologie (implantation plus ou moins forte dans les secteurs publics protégés) et selon les idéologies qui les traversent. Comme toujours, il y aura une ligne « réformiste » incarnée par la CFDT, l’UNSA et la CFTC, une ligne de gauche radicale (CGT et Sud) et un syndicat FO assez imprévisible, tiraillé entre ses différentes factions. Comme toujours, et comme cela a été largement démontré pendant les grèves de cet hiver, les dirigeants  nationaux auront souvent beaucoup de mal à s’imposer sur le terrain, tant au niveau des branches que des entreprises. Il faut bien admettre qu’au final, leur discours au niveau national porte assez peu.  
Je ne pense pas qu’il puisse sortir des choses concrètes des grands - messes et des grandes conférences sociales au niveau national que le gouvernement pourrait être tenté d’organiser pour apaiser les esprits. Tant l’état d’esprit général que les modifications profondes du droit du travail depuis maintenant de nombreuses années vont dans le sens d’une grande décentralisation des négociations au niveau des entreprises et accessoirement des branches, là où peuvent être noués des compromis fructueux et concrets.

Dominique Andolfatto: Plusieurs organisations souhaiteraient que sorte de cette crise un programme, un peu à manière de celui du Conseil national de la résistance qui, en 1944, annonçait des réformes sociales et économiques importantes à mettre en œuvre à la Libération et des « jours heureux ». La CGT, SUD et une dizaine de mouvements sociaux ont réfléchi à un programme comparable pour « le jour d’après », encore vague, mais qui met l’accent surla justice sociale, l’écologie et le féminisme. Pour SUD, il importe de manière plus ciblée de mener le combat sur deux fronts : le coronavirus et le capitalisme. Les autres organisations sont davantage dans le réformisme. La CFDT veut s’appuyer sur une enquête approfondie concernant les revendications et les besoins des salariés pour redéfinir des priorités. Elle s’inquiète aussi de la crise de l’emploi qui risque de succéder à la crise sanitaire. Elle cherche à se mettre en ordre face à la flambée du chômage qui menace. Pour FO, c’est la question de la santé au travail qui reste essentielle et elle souhaite en obtenir une reconnaissance internationale.

La situation économique française ne s’annonce pas flamboyante pour les prochains mois. Est-il possible que l’inquiétude sur l’avenir du marché de l’emploi poussent les syndicats à la modération ?

Dominique Andolfatto: J’en doute. Les syndicats risquent plutôt de renouer avec une radicalité « à la française ». Bref beaucoup d’agitation. Des perturbations. Mais assez peu de résultats concrets pour les salariés et, trop souvent, une dégradation continue de leurs conditions de travail. Mais, comme déjà indiqué, face à la crise sanitaire, de nouvelles solidarités ont pu émerger localement, peut être un nouveau type de relations professionnelles. L’avenir du syndicalisme est peut-être là d’autant plus que la mise en place des CSE (comités sociaux et économiques) obligent les entreprises et les partenaires sociaux à penser autrement leurs relations, le dialogue social, le travail… La sortie de cette crise sanitaire peut être un stimulant pour penser autrement et inventer ces nouvelles relations. Après le déconfinement, ou à cause de lui, l’utopie ?

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