1945-2020 : Les 75 heureuses de l'âge d'or de l'Occident sont-elles définitivement derrière nous ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des étudiants manifestent, en juin 2020, pour demander l'application des mesures de la convention citoyenne pour le climat.
Des étudiants manifestent, en juin 2020, pour demander l'application des mesures de la convention citoyenne pour le climat.
©Raphael LAFARGUE / AFP

Prospective

Le monde d'après le Coronavirus sera-t-il heureux... ou beaucoup plus sombre que ce que nous voulons bien imaginer. Alors que les livres blancs dessinent les grands périls qui nous menacent et que nous avions préféré oublier, le think tank Futuribles se projette à horizon 2040. Et qu'il s'agisse de sanitaire, de géopolitique ou d'économie, ça n'est pas réjouissant...

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Yannick Blanc

Yannick Blanc

Yannick Blanc est le président de Futuribles International.

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Atlantico : Vous dressez 16 scénarios de rupture possibles, et 50 mini scénarios, dans l’évolution du monde à l’horizon 2040-2050. Vous expliquez que certains scénarios sont parfois très probables et parfois moins. Comment avez-vous déterminé ces scénarios et quels sont les plus probables ?

Yannick Blanc : Pour dresser ces scénarios, nous avons mobilisé notre réseau de conseillers scientifiques, une cinquantaine d’experts. Chacun dans son domaine nous a indiqué les ruptures possibles dans les décennies qui viennent. Nous avons finalement abouti à seize scénarios préférentiels. Il y a trois champs distincts : le premier concerne les questions climatiques et les ressources de la planète, le second est géoéconomique et le troisième est plus géopolitique, avec les questions de gouvernance et de pouvoir. Ce ne sont pas des scénarios de science-fiction. Ils sont basés sur des choses qui sont déjà en train de se produire. Je pense que sur les questions de climat, le premier scénario du rapport est le plus probable : un réchauffement qui atteint 3° degrés dès 2050 et pose des problèmes d’habitabilité de certaines zones de la terre. Des endroits cessent d’être habitable et cela implique des déplacements de population. A contrario des zones du grand nord (Groenland, Sibérie) deviennent habitables. En Asie du Sud-Est, 300 millions de personnes vivent dans des zones urbaines côtières qui risquent d’être inhabitables si la fonte des calottes glacières s’accélère. Les autorités indonésiennes ont déjà décidé de déménager le capitale Jakarta à l’intérieur des terres à l’horizon 2024 pour éviter les risques de submersion marine.

Sur le plan économique, le scénario le plus sensible est la recomposition du système international. L’hypothèse la plus probable reste la poursuite de l’affaiblissement des institutions (ONU, OMS, OMC) et la constitution de blocs régionaux. Sur ce point, il y a plusieurs scénarios concurrents. Ce qui est sûr c’est que la Chine va organiser autour d’elle un ensemble de solidarité, d’abord au niveau régional. Elle est déjà en train de structurer tout le Sud-Est asiatique pour avoir un ensemble de libre-échange. L’une des grandes questions est de savoir si la Russie sera plutôt attirée vers ce bloc ou vers l’Europe. C’est le problème éternel de la Russie. Compte tenu du fait que les intérêts des Etats-Unis s’orientent plus vers leur concurrence avec la Chine que leur partenariat avec l’Occident, il est probable que l’alliance Atlantique cessera d’être le nœud des relations occidentales. Le Sud-Est asiatique est le chaudron planétaire des années qui viennent. Toutes les crises y sont concentrées : l’évolution du régime chinois et son influence sur internet, le système de surveillance, le conflit Inde Pakistan qui pourrait dégénérer en conflit nucléaire, etc. On a là une concentration de capacités économiques et technologiques et de risques majeurs qui constituent un déterminant clé de l’évolution des 20 prochaines années.

Certains scénarios sont dressés à l’horizon 2025, donc tout proche, après la difficile période Covid. Cela veut-il dire qu’il n’y aura possiblement pas de répit ? Est-ce que la relative stabilité qu’on a pu connaître en Occident ces dernières décennies est amenée à disparaître ?

Yannick Blanc : Notre idée est d’explorer la diversité des ruptures possibles. Ce que montre la crise sanitaire actuelle, c’est que même lorsque des scénarios sont élaborés, et le scénario d’une pandémie l’avait été, cela n’implique pas qu’on soit prêts à y faire face. Travailler sur les scénarios de rupture, c’est amener nos lecteurs à réfléchir à ce qu’il faut faire pour être prêts à ces situations. Si on veut éviter la catastrophe climatique par exemple, il y a une série de décisions de rupture à prendre sur notre modèle économique, de consommation et de gouvernance internationale. Si on veut peser, il faut des conversions industrielles majeures. Il faut donc se demander où sont les leviers qui permettent de prendre ces décisions car aujourd’hui on ne peut pas. On a fait deux scénarios. L’un où les pays européens adoptent un modèle économique basé sur la sobriété - des tendances en Europe du nord montre que ce n’est pas impossible. L’autre fait l’hypothèse que d’ici 2040 les énergies renouvelables remplacent les énergies fossiles.

On parle de scénarios de rupture, cela veut-il dire que l’Occident connaissait jusque-là une période de stabilité qui est amenée à être remise en cause ?

Yannick Blanc : Oui. Elle est déjà remise en cause. La montée en puissance de la Chine et de l’Inde, l’affaiblissement de l’hégémonie américaine, etc., modifient complètement les fondamentaux sur lesquels ont reposé la période de la guerre froide et celle qui lui a succédé. L’affaiblissement du bloc soviétique a créé l’illusion d’un maintien de l’hégémonie américaine au moment où elle commençait à diminuer, notamment au niveau industriel. Des géants de la technologie se sont développés aux Etats-Unis mais leur puissance et leur gigantisme pose des problèmes compliqués à la puissance politique américaine. On l’a vu ces derniers mois. Les fondamentaux de ce système sont en train de disparaître. Le jeu d’acteur est en train de se transformer. Bertrand Badie vient de publier un livre passionnant à ce sujet qui explique que la scène internationale ne sera plus seulement dominée par des Etats mais par des acteurs divers : économiques, comme les GAFAM, de la société civile, c’est-à-dire des ONG ou associations, ou des puissances religieuses.

Y-a-t-il un scénario du pire ? À l'inverse, la rupture peut-elle avoir des effets positifs ?

Yannick Blanc : Le sens de notre travail est la prospective, pas de la prophétie ou de la prévision. Nous cartographions les changements possibles pour ouvrir les esprits. Ce qui va advenir dans les années qui viennent est une combinaison de ces scénarios. En prospective, on peut toujours écrire facilement quatre scénarios : le noir, le rose, celui au fil de l’eau et enfin le scénario optimal. Ce n’est pas le plus intéressant. Ce qui importe c’est d’être attentifs à des phénomènes secondaires pour l’instant qui pourrait changer la scène mondiale. C’est ce qui s’est passé avec la pandémie. Cela faisait partie des scénarios mais c’était assez loin dans l’échelle d’importance. Il suffit de regarder l’importance que les acteurs et les stratèges ont apporté aux questions de santé publique. En quelques semaines, c’est devenu le problème mondial numéro 1. La crise sanitaire que nous sommes en train de vivre peut nous amener à repenser de fond en comble nos politiques de santé et de faire de la santé un facteur de richesse au lieu de considérer la santé comme un coût. C’est ce qu’on fait pourtant depuis des décennies. Nous pourrions à l’inverse la considérer comme un levier de prospérité. L’expérience que nous vivons peut changer les modalités des décideurs et des consommateurs au niveau individuel.

Dans le monde des technologies il y a un scénario noir qui est celui de la surveillance de masse. On voit bien comment les choses évoluent en ce moment. Le pire scénario est la reconnaissance faciale en Chine, mais dans plusieurs pays des gens militent pour qu’on l’applique. C’est un risque majeur pour les libertés fondamentales. Mais les mêmes technologies numériques mises au service de politiques de protection des libertés individuelles peuvent être très vertueuses. Si l’on combine les technologies numériques avec un pouvoir d’action aux pouvoirs locaux, cela donne une capacité d’action formidable aux gens sur le terrain.

L’intérêt de ces scénarios peut aussi être de revoir notre hiérarchie en matière d’investissements. Aujourd’hui toutes les réflexions prospectives montrent que les deux facteurs fondamentaux de la richesse de demain sont la santé et l’éducation. Or dans la plupart des pays occidentaux, les travailleurs du secteur de la santé et les enseignants-chercheurs sont parmi les gens les plus mal payés à qualification égale.

Certains de vos micro-scénarios sont des wild cards, de quoi s’agit-il ?

Yannick Blanc : Les wild cards sont des évènements soudains et imprévus qui bouleversent le paysage. L’hypothèse d’une guerre nucléaire entre l’Inde et le Pakistan en fait partie. On trouve également la prise de contrôle d’un pays par une cyberattaque. On n’est pas en train de le vivre mais ce qui vient de se passer aux Etats-Unis est extraordinairement proche de ce dernier. Il y a eu une pénétration des réseaux informatiques de l’Etat fédéral. C’est aussi le cas des tempêtes solaires massives, des éruptions volcaniques majeures... C’est de l’ordre de l’improbable total mais voyez l'Eyjafjallajökull qui avait paralysé le trafic aérien : avec un volcan plus gros l’effet domino sur l’économie pourrait être majeur. La crise sanitaire a cet aspect de wild card aussi. Nous avions envisagé la submersion des systèmes hospitaliers mais pas l’impact économiques durable sur les secteurs de l’aviation, du tourisme, de l’hôtellerie, etc. Aujourd’hui, un pan entier de l’industrie mondial est par terre.

L’un de vos scénarios envisage justement la multiplication des crises sanitaires. Cela voudrait-il dire une sorte de crise Covid permanente ?

Yannick Blanc : Il y a deux possibilités. Le premier, c’est la capacité du virus de la Covid à muter en permanence et à construire une stratégie permanente de prévention : renouveler les vaccins sans arrêts, installer durablement des habitudes de comportements différentes. Le second c’est l’émergence de syndromes infectieux analogues à celui de la Covid. D’autres types de virus s’appuyant sur d’autres phénomènes. Si on a une prolongation de la Covid et une répétition d’autre pandémie, tous les fondamentaux de la mondialisation sont morts. En particulier, toutes les activités liées aux déplacements internationaux. Pour l’instant, il est à l’arrêt, mais on ne peut pas exclure qu’il ne se relève jamais. La grande rupture a peut-être déjà eu lieu. Je récuse les raisonnements qui disent qu’il y aura un après. L’après a commencé le premier jour de la crise de la Covid. On a basculé dans un autre monde, ce n’est pas une page blanche dont on peut décider ce que l’on fait. On le construit dans les mesures que l’on prend et dans les changements que l’on adopte.

Dans le Rapport Vigie 2020, le centre de réflexion prospective Futuribles International explore les 16 scénarios qui pourraient transformer nos 30 années à venir. En quoi ces scénarios peuvent venir briser la vision du monde occidental qui s’est mise en place depuis 1945 et qui a connu son acmé en 1990 avec la fin de l’histoire de Fukuyama ? 

Bertrand Vergely : En 1990, quand Francis Fukuyama publie son ouvrage La fin de l’Histoire ou le Dernier Homme, sa perspective repose sur une idée simple : le communisme a échoué. Le libéralisme a gagné. Il y avait une guerre idéologique entre le marxisme et le libéralisme qui faisait l’histoire que le monde connaissait. Le libéralisme ayant gagné et tout donnant à penser que le communisme ne refera jamais surface, l’histoire politique est finie.

On trouve chez Tocqueville une idée semblable. L’histoire était faite par la confrontation entre l’Ancien Régime et la Révolution. La Révolution et la démocratie ayant gagné, l’histoire est finie. Même chose chez Bergson. L’histoire étant faite par la lutte entre la démocratie et ce qui s’oppose à elle, la démocratie l’ayant emporté, l’histoire est finie.

Qu’il s’agisse donc de Fukuyama, de Tocqueville et de Bergson, toutes ces pensées convergent vers un même point : la démocratie étant un régime politique contre lequel il semble difficile de s’opposer, la victoire de la démocratie sonne la fin de l’histoire politique. Compte tenu de cette précision, il importe de mettre l’ouvrage de Francis Fukuyama à sa juste place. Ce qu’il dit à propos de la victoire de la démocratie n’est pas neuf. D’autres comme Tocqueville l’ont déjà dit avant lui. Il appelle son livre La fin de l’histoire. Qu’on ne s’alarme pas. Jamais Francis Fukuyama n’a prédit la fin du monde. Enfin, on ne trouve pas dans son livre une prospective à propos de ce qui risque de se produire dans le monde de demain. Avec le rapport que Vigie va publier, il en va autrement. Ce rapport ne se demande manifestement pas si le communisme va ressurgir. En revanche, tout donne à penser que ce rapport va tenter de penser les cinq risques que la planète risque de rencontrer : 1. Une nouvelle crise sanitaire, 2. Une crise financière. 3. Une catastrophe écologique. 4. Une aggravation du terrorisme islamiste. 5. Une guerre nucléaire entre la Chine et les Etats-Unis.

La vision du monde qui a été élaborée depuis 1945 est-elle en train de disparaître ? Il importe de distinguer deux niveaux de sens.

Depuis 1945 l’Europe a eu une vision du monde fondée sur la notion de libération. Libération d’abord à l’égard du nazisme. Mouvements de Libération anticapitalistes inspirés par le communisme et l’extrême gauche. Libération à l’égard du communisme. Libération de la femme. Libération de la communication et des nouvelles technologies. Ce vaste mouvement qui a commencé il y a 75 ans n’est pas fini et tout donne à penser qu’il est loin d’être achevé. Aussi ne nous inquiétons pas. La vision du monde qui est apparue en 1945 est loin d’être achevée. Elle bat même plutôt son plein. La libération de la parole qui a lieu actuellement à propos des violences sexuelles que subissent les femmes et les enfants le prouve. En revanche, trois choses ont changé.

Depuis 75 ans, le monde occidental a vécu dans l’insouciance. Avec l’actuelle pandémie, cette insouciance a volé en éclats. Le monde a découvert qu’il était fragile et mortel. Par ailleurs, le monde occidental a cru dans le progrès en ne faisant aucune critique de cette valeur culte. Le progrès indéfini s’avérant avoir des conséquences dévastatrices, la foi dans le progrès n’est plus ce qu’elle était. Enfin, la confiance dans le politique et sa capacité à pouvoir transformer le monde a été quelque peu érodée. Le monde occidental a vécu dans l’insouciance ainsi que dans la confiance dans le progrès et le politique. Il a perdu cette insouciance et cette confiance. Si les scénarios que Vigie va présenter sont sombres, ils ne feront que confirmer une méfiance, une inquiétude et un pessimisme déjà existants.

Sommes-nous en train de tourner définitivement la page de 75 heureuses années d’un âge d'or de l'Occident pour un avenir plus sombre ? Cette période n’a-t-elle pas eu ses ombres elle aussi ?

Bertrand Vergely : Il faut se méfier des projections que l’on peut faire sur l’avenir. Pour trois raisons.

Dites que l’avenir est sombre. Vous êtes sûr de ne pas vous tromper. L’avenir est toujours sombre. Dites le contraire. Vous êtes sûr de ne pas vous tromper non plus. L’avenir sourit toujours. Les ombres et les lumières qu’il y avait hier se retrouvent aujourd’hui et se retrouveront demain.

Par ailleurs, il importe de se méfier de l’effet Covid. Nous vivons actuellement une pandémie qui, connaissant des variants anglais, brésiliens et sud-africains, donne l’impression que l’avenir est sombre. Il y a un an, quand la pandémie n’existait pas encore, personne ne pensait que l’on avait définitivement tourné la page des jours heureux. En un an, tout a changé. La pression de la pandémie en est la cause. Celle-ci n’aurait duré que trois mois et il aurait été possible de revenir au monde d’avant comme si de rien n’était, l’impression d’un monde heureux qui s’enfuit n’existerait pas. À l’heure où la pandémie est loin d’être finie, il est normal de voir les mines s’allonger et l’inquiétude gagner.

Enfin, n’oublions pas que personne n’a jamais su prédire ce qui allait se passer. Un mois avant qu’elle ne survienne, personne ne pensait qu’il allait y avoir une pandémie et que celle-ci allait durer. Personne d’ailleurs ne sait combien de temps elle va encore durer.

La période 1945-2020 n’a pas été sans ombres, cela va sans dire. Celle-ci a commencé par l’explosion de deux bombes nucléaires au Japon. Elle a connu la guerre d’Indochine, la guerre d’Algérie, la guerre du Viet Nam, les guerres en Israël, l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes russes, l’invasion de l’Afghanistan, la guerre d’Iraq, la guerre du Biafra, les massacres du Rwanda, le Sida (33 millions de morts), les attentats terroristes à New York et à Paris. Il y a toutefois un mystère. Pourquoi cette période, qui a été terrible, donne-telle l’impression d’avoir une liberté qui n’existe plus aujourd’hui ? L’époque vivait la modernisation. Elle inventait. Elle découvrait. Il y avait une certaine fraîcheur. Un signe qui ne trompe pas : on pouvait prendre le train sans avoir à subir une information détaillant à chaque arrêt durant cinq minutes tout ce qu’il ne faut pas faire.

Une époque se juge à un climat Le monde que l’on fait commencer à partir de 2020, date du début de la pandémie, n’a pas encore trouvé son climat. Nul doute qu’il le trouvera. Quand on aborde la question de l’avenir, ne jamais oublier qu’outre le fait qu’il nous échappe, il existe dans la société humaine quantité d’éléments créateurs qui ont l’art de faire mentir les pronostics les plus pessimistes en montrant autre chose.

Le risque de l’inconnu ou de la “rupture” se fait-il plus prégnant qu’il ne l’a été ces dernières décennies ? 

Bertrand Vergely : Il est certain que nous vivons un retour de la peur. Au 17ème siècle, se sentant assiégée par les Turcs, la famine et la maladie, l’Europe a peur. Elle se maudit. Elle maudit. Repliée sur elle-même, elle vit dans l’obsession du mal, de la faute et du péché. Aujourd’hui, on assiste à une peur du même type. L’Europe a peur de la maladie et de la mort, du réchauffement climatique, de la surpopulation, de la paupérisation, de l’Islam, de l’immigration massive, de la guerre civile, de la guerre, du complotisme, du populisme, de la délinquance, de la drogue, des rumeurs, de la désinformation, des pervers narcissiques manipulateurs, du viol, du harcèlement, des réseaux sociaux, des médias, des politiques, des cyber attaques et des Gafa. À ce titre, l’inconnu étant identifié, ce n’est pas l’inconnu qui fait peur. C’est plutôt son imprévisibilité. À propos du terrorisme islamiste, Nicolas Sarkozy a eu un jour cette phrase : « Le problème n’est pas de savoir si il va y avoir un attentat islamiste. Le problème est de savoir quand il aura lieu ». Ce qui est vrai de l’attentat islamiste l’est pour tout ce qui fait peur. Le problème n’est pas de savoir si il va y avoir crise économique, politique, sociale, sanitaire, mais quand cette crise aura lieu.

Plus que l’inconnu l’imprévisibilité fait peur. Elle n’est pas la seule cause de la peur. La massification des dangers fait peur. Leur traitement par les médias également.

Les dangers font peur à cause de leur nombre. S’il n’y en avait qu’un seul, on s’en accommoderait. Mais, en faisant un rapide survol, on en dénombre facilement au moins 23. Comme on est surinformé à propos de tout par la télévision, la radio, le portable, les journaux, internet, les réseaux sociaux, les alertes lancées constamment, il n’est pas très difficile de créer un climat de psychose. En submergeant les esprits d’informations toutes plus violentes, plus tristes, plus sinistres, plus glauques, plus anxiogènes les unes que les autres, on abouti facilement à ce qu’un individu normalement constitué se sente soudain cerné par les forces obscures du mal. Déroulez 10 informations négatives à n’importe qui. Vous créez un phénomène d’obscurité. Expliquez pour couronner le tout, qu’il est mal d’avoir peur de l’inconnu. Tétanisé par l’injonction paradoxale priant de trouver l’obscurité lumineuse, l’individu normal est paralysé face à l’avenir.

L’accumulation de nouvelles négatives est propre à plonger dans la terreur. Le style de cette accumulation également. Les médias qui font bien leur travail informent au sujet de tout. Soucieux de ne pas cacher la vérité, ils n’hésitent pas à frapper fort. Désireux de faire de l’audience, ils appliquent scrupuleusement la règle selon laquelle ce n’est pas avec de bonnes nouvelles que l‘on fait de l’information. Mettons tous ces éléments ensemble. Il en résulte que bien faire consiste à faire mal. Moralité : la capacité qu’a la population d’un pays comme la France de résister à l’information et de vivre quand même donne de sérieuses raisons de croire au miracle.

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