14 juillet : mais quelle idée de la nation célébrons-nous vraiment ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Le défilé du 14 juillet.
Le défilé du 14 juillet.
©Lionel BONAVENTURE / AFP

Fête nationale

Alors que nous n’avions pas vécu d’événements impactant autant la société dans son ensemble que le Covid depuis longtemps, rien ne suggère que la cohésion de la nation française se soit renforcée.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

Voir la bio »
Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

Voir la bio »

Atlantico : Nous célébrons aujourd'hui le 14 juillet dans un contexte de pandémie. Cette fête nationale touche à l'unité du pays, pourtant le vivre-ensemble semble aujourd'hui confronté à de nombreux périls. Quels sont les éléments qui fondent encore la cohésion de notre pays ? Est-on encore capable de faire corps, de faire nation ?

Edouard Husson : Le « vivre-ensemble » est un terme assez ridicule, né dans une société dont le tissu social se déchire et dont les dirigeants et influenceurs ont renoncé à assimiler les étrangers venant s’installer sur le sol français. La société française n’est pas totalement désintégrée mais sa cohésion se défait. Elle fait de moins en moins corps. Jérôme Fourquet parle de l’archipel français. L’Education Nationale est devenue, pour parler comme René Chiche, une agence d’accompagnement de la désinstruction : le baccalauréat, avec 95% de réussite à la formule générale en 2021, a vécu. Le service militaire n’existe plus. La crise des Gilets Jaunes comme celle du Covid-19 ont montré les ravages que font les diplômés semi-instruits mais persuadés s’être infiniment supérieurs à ceux qui ne sortent pas d’une grande école ou qui n’appartiennent pas à la haute fonction publique. La démission du pape Benoît XVI a entraîné une profonde régression dans une Eglise de France jusque-là en redressement, depuis le début des années Jean-Paul II. La seule institution qui se tienne encore et qui reste un creuset républicain est l’armée. Mais l’épisode récent des tribunes publiées dans les médias a montré comme l’immense majorité des officiers et de la troupe souffre d’être soumise aux injonctions d’un pouvoir politique progressiste et d’un Etat-major qui l’est en partie.

À Lire Aussi

Les Français et la cohésion nationale

Bertrand Vergely ; Le vivre ensemble est une notion floue et par là même trompeuse. Alors que la nation et l’unité qui s’en dégage sont des concepts puissants, le vivre ensemble est invertébré. Ce n’est pas parce que l’on vit ensemble que l’on forme une nation en étant uni. Et la nation qui unit ne relève pas du vivre ensemble.

Une nation s’enracine dans un fait existentiel, une volonté humaine  et une histoire symbolique. Le fait existentiel réside dans le fait d’être né sur un même sol ou bien encore de partager un même espace.  La volonté humaine  renvoie au fait de se reconnaître dans le fait d’être né sur un même sol ou de partager un même espace en voulant cette reconnaissance. L’histoire symbolique désigne ce que la mémoire met en place à travers la volonté de se reconnaître comme nés sur un même sol ou comme partageant un même espace. En reliant l’espace, la volonté et la mémoire, on conclut que la nation est un espace transfiguré par une volonté elle-même transfigurée par une mémoire. Cela donne un esprit et derrière lui un souffle, chose que l’on ne retrouve pas dans le vivre ensemble.

Vivre ensemble, soit, mais vivre quoi ? On ne sait pas. Et pour cause. Derrière le vivre ensemble, il n’y a ni espace, ni volonté, ni mémoire. À la place, on trouve une diversité avec des agrégations de circonstance entre individus épars formant une communauté repliée sur des goûts et des préférences.

On croit que le vivre ensemble conduit à l’unité. Le vivre ensemble déstructure l’unité en voulant faire croire que des individus sans lieu commun, sans volonté et sans mémoire vont pouvoir créer une unité. On est là dans le grand rêve libéral et sa mystification. Des individus sans lieu commun, sans volonté et sans mémoire qui créent magiquement de l’unité ! C’est ce concept qui génère la pandémie, alors que c’est le fait de se fixer quelque part qui permet d’en sortir.

À Lire Aussi

14 juillet : République, identité nationale, vivre-ensemble... le sondage sur l’état fragile de la France

On s’imagine que pour restaurer un sentiment d’unité collective il serait bon d’activer le vivre ensemble. Il y a unité parce que l’on est capable de vivre au-delà de la diversité et de son vide et non grâce à elle.

À la base du vivre ensemble, on trouve  un narcissisme collectif. Ce narcissisme entend être reconnu pour lui-même sur la base d’un contrat narcissique collectif. Tu me reconnais. Je te reconnais. On se reconnaît. Ce contrat fonde des bandes, des mafias et des gangs. Il ne crée pas une société. Une société se fonde sur un esprit et non sur des agrégats de circonstance formés par des individus sans volonté et sans mémoire soudés par un contrat de reconnaissance mutuelle.

On se demande ce qui nous lie aujourd’hui. La réponse tient en un mot : être français.

Être français, cela veut dire appartenir à un destin commun fondé sur un imaginaire nourri par un espace, un temps et des hommes et des femmes avec leur richesse faisant vivre cet espace et ce temps afin de lui donner la dignité et la grandeur d’un visage humain.

La nation est un sentiment tellement profond qu’il est le plus souvent inconscient. Quoique l’on soit français, on s’en rend compte souvent après coup. On croit  qu’en France le sentiment national se perd. Il n’en est rien.  Au contraire, il perdure.  

Les Français sont extrêmement attachés à leur patrimoine culturel et architectural ainsi qu’à un certain nombre de traditions liées au bien être quotidien comme les produits du terroir, la cuisine, le vin ou bien encore la mode. C’est autour de la culture, du patrimoine et des traditions de qualité et de civilisation  que le sentiment national demeure vivace.

En ce 14 Juillet, c’est bien cela qui est fêté. Par le passé, on a beaucoup fêté en ce jour la grandeur de la France et de l‘idée républicaine. Aujourd’hui, c’est davantage la profondeur de la France qui est honorée.

Le Covid est sans doute la plus grande épreuve collective que nous ayons vécu ces dernières années/décennies. Pourtant au-delà, de quelques moments de communion de la nation, a-t-on vu une réelle expression du vivre ensemble pendant cette pandémie ? La cohésion sociale en sort-elle renforcée ou affaiblie ?

Edouard Husson : Le problème du Covid-19 pour la nation, de mon point de vue, tient à quatre facteurs : premièrement, il y a eu surestimation de la gravité de l’épidémie. Nos dirigeants ont perdu leur sang froid - et une partie des possédants avec eux. Regardez aujourd’hui encore le refus de revenir à une sociabilité normale dans les milieux professionnels des métropoles. Ajoutez le vieillissement de la population et le fait que les plus de 65 ans ont été plus vulnérables que les autres. Deuxièmement, la crise du COVID a révélé l’étendue de notre désindustrialisation; et le fait que les qualités du management public se sont largement perdues ces vingt dernières années. Troisièmement, le monde des médias a profondément changé, depuis la révolution numérique du secteur. Aujourd’hui l’information vérifiée se trouve la plupart du temps dans des médias « challengers », « outsiders » ou contrariens. Les médias « mainstream » sont en fait des médias établis, hyper-dépendants des subventions de l’Etat et de leurs actionnaires : ils ne sont plus là pour mettre en difficulté le gouvernement mais pour lui servir de chambre d’écho. Quatrièmement, il y a un facteur d’affaiblissement de la cohésion spécifique à notre pays : l’hyperinterventionnisme d’Emmanuel Macron. La crise du Covid, car chacun était trop content, au gouvernement, de ne pas prendre de responsabilité, a poussé jusqu’à la caricature la tendance du Président à décidfer du moindre détail, au risque de paralyser totalement la capacité du pays à s’organiser. 

Bertrand Vergely : Ne pensons pas à l’envers. On fait du vivre ensemble la clef de la cohésion collective. C’est la cohésions collective qui est la clef du vivre ensemble.

Contrairement à ce que l’on peut penser, durant l’épreuve du Covid, les Français ont été unis. Un sentiment qui, au demeurant est une vertu, les a rassemblés : l’obéissance. À quelques exceptions près, tout le monde a été obéissant. Principalement pour des raisons d’intelligence pratique. Le bon sens a consisté à se dire que, les choses étant suffisamment compliquées comme cela, il importe de ne pas rajouter de l’huile sur le feu. Plus on est obéissant, plus la pandémie passe vite.

En France, le sentiment national est silencieux. Durant la pandémie, le sens de l’unité collective s’est exprimé de façon silencieuse. Il n’y a pas eu de communion collective, dit-on. Au contraire. Il y a eu un sens collectif de la gravité de ce qui se passait. Avec ce sentiment, il y a eu un respect collectif ainsi qu’une intelligence pratique collective. Récemment on a pu s’en rendre compte. Lorsqu’Emmanuel Macron a expliqué lundi 12 Juillet que le pass sanitaire allait devenir obligatoire, en une soirée un million de Français se sont inscrits sur Doctolib afin d’être vaccinés. L’unité collective est donc bien réelle. Lorsqu’il s’agit d’être pratique, elle est là.

Emmanuel Macron a décidé de s'exprimer le 12 juillet et non le 14 juillet, fête nationale, afin d'annoncer son agenda et sa feuille de route pour les mois à venir. Alors que nous connaissons actuellement une crise de la cohésion nationale, d'autant plus affectée avec le pass sanitaire, avoir choisi une telle date n'est-il pas une erreur ?

Edouard Husson : Emmanuel Macron prospère dans la destruction du système en place. Il a été élu sur les ruines encore fumantes du fillonisme et en absorbant une grande partie des forces restantes du PS. Il a détruit l’ENA qui l’a formée. Il a fait matraquer son propre peuple, massivement, faisant un nombre impressionnant de blessés et mutilés, à l’occasion du mouvement des Gilets Jaunes. Alors faire un discours le 12 au lieu du 14 juillet, c’est véniel. Mais vous avez raison, cela fait partie d’un ensemble. Beaucoup avaient cru que Macron allait libérer les énergies et provoquer une révolution libérale. C’est dans ce sens que beaucoup se sont engagés à LREM, sincèrement. Mais Emmanuel Macron est d’abord un homme mal élevé qui s’invite chez vous et, une fois installé dans le fauteuil, vous abreuve d’un déluge de paroles et ne comprendrait pas que vous l’interrompiez. C’est peu propice à développer un sens du collectif. Le 12 juillet au soir nous avons eu un bon échantillon de l’immense énergie et volonté de puissance, d’une part, d’Emmanuel Macron, et de sa capacité à diviser les Français, à les monter les uns contre les autres. Sous François Mitterrand, le système politique a commencé à exclure un parti, le Front National, et ses électeurs, de l’accès au pouvoir. Macron transpose ce principe à ceux qui ne suivent pas sa ligne sanitaire.   

Bertrand Vergely : Emmanuel Macron ne parvient pas à se situer par rapport au 14 Juillet. Parlera ? Parlera pas ? Il aura passé tout son quinquennat à pratiquer une valse hésitation à ce sujet. 

Ce n’est pas étonnant. Il ne se sent pas bien dans le rôle de père de la nation. Son tempérament le pousse à être un technicien libéral, pas un père de la nation. Quand donc il parle à la France, ce n’est pas à la France comme nation qu’il parle mais à la France comme entreprise. Ce n’est pas en tant que chef de la nation qu’il s’adresse à elle mais en tant que chef d’entreprise. D’où son choix de parler le 12 juillet et non le 14, la date du 14 Juillet trop connotée nationalement.

Ainsi, lundi 12 juillet,  il n’a pas parlé à la nation. Il a parlé à la société économique en mettant en avant la relance avec ses impératifs sanitaires mais aussi économiques et sociaux puisque la question sanitaire a été liée à celle de la réforme des retraites et de l’assurance chômage. À cet égard, ne nous demandons pas si cette posture est une erreur. Emmanuel Macron n’est pas capable d’en avoir une autre. Technicien et libéral il est. Le 12 juillet, technicien et libéral il est demeuré.

Le discours du Président semble ramener la nation à un ensemble économique et matériel devant devenir attractif au niveau international pour réussir. Alors que l'attachement à la République n'est pas à son plus haut niveau, pour retrouver une certaine adhésion à la République le discours du Président doit-il revenir à un projet plus mobilisateur ? Que pourrait être ce projet ?

Edouard Husson : Macron, né en 1977, est un fils de l’hyperindividualisme amorcé dans les années 1960. Il ne voit pas la nation mais seulement des individus. Son monde n’est pas seulement économique, il est aussi celui de la gouvernance bureaucratique mondiale. C’est effectivement un monde sans âme, sans culture. Macron l’a d’ailleurs proclamé : il n’y a pas de culture française, selon lui. C’est un homme sans enfants - je ne le mentionnerais pas si ce n’était évidemment le résultat d’un choix. Mais peut-on gouverner un pays si l’on n’a personne à qui transmettre ? Il n’est pas seul dans ce cas, d’ailleurs : pensons à Angela Merkel, cette chancelière qui a voulu faire sortir l’Allemagne de l’histoire. C’est moins destructeur dans le cas de l’Allemagne. Alors que la France, elle, a besoin d’une grande ambition politique nationale et internationale. La France est une construction spirituelle et politique. Nous sommes le pays de l’équilibre : nos ancêtres ont toujours recherché un équilibre (plutôt qu’une séparation) entre spirituel et temporel. Nous devons contrebalancer notre engagement européen par la mise en valeur de notre présence outre-mer. Nous ne devons accueillir d’étrangers que si nous pouvons les assimiler. Nous sommes un pays qui fabrique soit des entreprises géantes soit des toutes petites entreprises. Il serait temps de favoriser les entreprises de taille intermédiaire. Il nous faut aussi miser sur les villes moyennes plutôt que sur le stérile affrontement entre métropoles et périphéries. Pendant que l’on réformera l’Education Nationale, il faudra, parallèlement, encourager les initiatives privées dans le domaine éducatif. Une baisse des impôts est absolument nécessaire. Et pourtant il faudra aussi réinvestir dans notre défense et les autres domaines dits régaliens. Mais au fond de tout cela, il y a surtout la nécessaire réconciliation des Français divisés, la réparation du tissu social déchiré. Et pour cela, rien de mieux que de se demander, sur chaque sujet, si la manière de le traiter restaure ou renforce les libertés individuelles et collectives.

Bertrand Vergely : Ne rêvons pas. Emmanuel Macron ne va pas se mettre à mobiliser autour de la République. Il a été élu parce qu’il s’opposait au Rassemblement National. S’il est élu à nouveau, il le sera grâce à cette opposition. Son projet étant la relance de la France et non son esprit, pas question d’évoquer sa mémoire et son imaginaire. Dans ce contexte, quand il est attaché à la République, il l’est pour des raisons libérales, la République étant une valeur parce qu’elle protège le droit au blasphème et avec lui le libéralisme des idées.

François Mitterrand croyait aux forces de l’Esprit. Emmanuel Macron n’y croit pas. Pour François Mitterrand, la France était une religion ancrée dans un imaginaire nourri par les vieux socialistes du Nord comme Pierre Maurois et les paysages d’Automne en Charente décrits par Louis René des Forêts. Quand donc il est question de cohésion nationale, il faut le dire, celle-ci se fait un peu malgré Emmanuel Macron. 

La République se fonde sur la laïcité. Aujourd’hui, jamais l’attachement à cette notion n’a été aussi fort. À cet égard, la République peut remercier le terrorisme islamiste et les attentats qu’il a commis. La religion étant synonyme de violence et cette violence faisant peur, globalement en France, la société française pense que le seul rempart contre la violence religieuse se trouve dans la République et la défense de sa valeur fondatrice qu’est la laïcité. D’où ce constat : en apparence, tout donne l’impression que la nation, la cohésion nationale  et la République sont des valeurs dépassées qui n’attirent plus les foules postmodernes. En réalité, quand on scrute les profondeurs, il en va autrement.

Inconsciemment les Français ne sont pas peu fiers d’être français.  Être républicain consistant pour eux à être Français et être Français à avoir une certaine fierté de l’être, ils restent singulièrement attachés à la nation et à sa cohésion. Le 11 Novembre, la flamme de la tombe du soldat inconnu est ravivée. Le 14 Juillet est devenu aujourd’hui l’occasion de ranimer la flamme de la fierté méconnue. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !