11 septembre : la France reste une cible privilégiée d'Al-Qaïda<!-- --> | Atlantico.fr
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La France reste une cible privilégiée d'Al-Qaïda.
La France reste une cible privilégiée d'Al-Qaïda.
©Reuters

Increvable

Depuis 2001, Al-Qaïda a occupé le cœur des préoccupations en matière de terrorisme. Si l'organisation semble avoir encaissé de nombreux coups durs, elle reste capable de mobiliser des combattants, notamment grâce au Web. Un danger qui reste difficile à évaluer concrètement.

Philippe Migaux

Philippe Migaux

Philippe Migaux est docteur en ethnologie. Maître de conférence à Sciences-Po Paris, spécialiste des menaces sécuritaires internationales, il a également enseigné à l'Ecole de guerre.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur le terrorisme dont le dernier, Al-Qaida : sommes-nous menacés (André Versailles / mai 2012).

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Atlantico : 11 ans après les attentats qui ont ravagé New York, alors que les principaux dirigeants d'Al-Qaïda sont éliminés les uns après les autres, faut-il encore considérer le terrorisme islamiste comme une menace sérieuse ?

Philippe Migaux : Au terme « terrorisme islamiste », qui évoque un terrorisme musulman, je préfère parler de « terrorisme djihadiste ». Il ne faut pas oublier que les musulmans en sont les premières victimes et surtout que les auteurs de ces violences défendent une vision dévoyée de l'islam.

Observons d'abord ce qu'ils nous reprochent :

  • Un passé historique qui va des croisades jusqu'à la colonisation.
  • Notre présence militaire sur des terres musulmanes, comme le Sénégal ou Djibouti, sans même parler de l'Afghanistan.
  • Le soutien à des régimes considérés comme apostats : Algérie, Arabie Saoudite, pays sahéliens...
  • Une volonté de vouloir créer un islam français, avec la création du Conseil du culte musulman.
  • La laïcité républicaine, notamment pour l'interdiction faite du niqab.
  • Enfin, et surtout, la volonté de venger l'arrestation par la France de quelques 1500 militants djihadistes dont 300 sont encore en prison aujourd'hui.

Ce « ils », dont vous parlez : de qui parle-t-on exactement ?

Je parle de la mouvance Al-Qaïda dans son ensemble, sous la conduite d'Al-Qaïda central, basé en Afghanistan sous la direction de l'Egyptien Ayman Al-Zawahiri qui a remplacé Oussama Ben Laden.

Dès 2002, Ben Laden citait la France comme un ennemi du second cercle des ennemis de l'islam, juste derrière les pays arabes, les Etats-Unis et Israël.

Les différents mouvements liés à Al-Qaïda ciblent-ils tous la France avec un même niveau de priorité ?

Il faut regarder quelles sont les capacités des uns et des autres à agir. Par exemple, au Yémen, l'attaque qui a visé un gazoduc de Total prenait directement pour cible les intérêts français. Même chose pour les enlèvements d'humanitaires français. Tout dépend des opportunités qui se présentent.

Il faut bien comprendre l'évolution de la stratégie d'Al-Qaïda depuis 2001. L'organisation a perdu sa capacité à former des hommes dans des camps à ciel ouvert. La menace, auparavant dirigée principalement vers les pays musulmans, vise en priorité les Occidentaux depuis 1996. Encore faut-il pouvoir les atteindre. Al-Zawahiri a formalisé cette doctrine quelques mois avant les attentats du World Trade Center dans un ouvrage publié sur Internet. Il y explique que, faute d'avoir remporté des victoires sur les territoires arabes en 20 ans de djihad, il fallait s'attaquer aux Occidentaux pour les obliger à cesser leurs soutiens aux régimes locaux. Il espérait alors une franchisation des opérations dès après le 11 septembre. Il estime alors qu'il faut miser sur les opérations psychologiques, sur l'attaque de cibles économiques et l'emploi de kamikazes.

Un autre idéologue d'Al-Qaïda, Abou Mousab Al-Zarqaoui, responsable des études religieuses pour Al-Qaïda à Kaboul jusqu'en 2001, a écrit lui aussi un ouvrage baptisé « Appel à la résistance » en 2005. Il y précise que c'est grâce aux contacts entre les différentes structures djihadistes que les forces de sécurité interpellent les combattants. Il a ainsi initié un terrorisme domestique dans les pays impies mais surtout occidentaux.

Problème : la plupart des jeunes musulmans susceptibles d'être radicalisés dans les sociétés occidentales ne parlent pas l'arabe. Difficile pour eux d'accéder à la propagande publiée en ligne par Al-Qaïda. C'est là qu'est intervenu un troisième personnage clef : Anwar Al-Awlaqi, un Américain d'origine yéménite. En créant Inspire, la revue d'Al-Qaïda tout en anglais, il a mis à disposition des anglophones toute une panoplie de techniques et de doctrines pour opérer de manière autonome. Il va jusqu'à inciter les individus à agir seuls, lançant le phénomène des loups solitaires.

Ces dernières années, il faut malgré tout remarquer une baisse quantitative des attentats liés au djihad international. En dehors de quelques attaques de loups solitaires et de quelques attentats majeurs, notamment à Madrid et Londres, les Etats occidentaux n'ont pas été particulièrement touchés. Le vrai danger vient de la montée en puissance d'un djihad virtuel et à la multiplication des filières qui mènent des candidats au djihad vers les champs de bataille du monde musulman… pour mieux les renvoyer chez eux par la suite.

Les maigres résultats opérationnels obtenus par les djihadistes sont-ils le fruit du travail des forces de sécurité occidentales ou la preuve d'une incapacité des terroristes à mener à bien de telles attaques ?

Il faut y voir un bon résultat des appareils sécuritaires occidentaux, c'est clair. Cela dit, il ne faut pas oublier effectivement que parmi les gens qui veulent mener de telles attaques, manquent parfois soit d'un peu de chance, soit tout simplement des compétences nécessaires. Ces dernières années, plusieurs tentatives menées concernaient des explosifs très sophistiqués, qui ont pu franchir les dispositifs de contrôle, sans que leurs porteurs ne parviennent à les allumer.

Al-Qaïda cherche à mobiliser des gens qui ont des papiers en règle dans les pays ciblés. Un moyen d'échapper à la surveillance mais qui engage en général des gens dépourvus d'expérience.

Très concrètement, quel est le risque pour les Français : faut-il craindre des enlèvements de ressortissants dans les pays à risques ou des bombes dans nos villes ?

L'état des forces aujourd'hui est très simple. La mouvance djihadiste se répartit en trois cercles :

  • Le premier : Al-Qaïda central. Basée au Pakistan et en Afghanistan, elle a subit d'importantes pertes. Outre l'élimination de Ben Laden, deux leaders emblématiques ont été tués : les Libyens Atiyah Abd-al Rahman et Abou Laith al-Libi. Les communications se font de plus en plus par messagers humains et les règles de succession sont devenues particulièrement rodées. Elle continue de donner la direction doctrinale à suivre en matière de djihad global.
  • Le second : les organisations dites franchisées ou sympathisantes. Elles ont juré allégeance à Al-Qaïda et ont obtenu la reconnaissance de cette dernière. La plus proche est AQPA, Al-Qaïda dans la Péninsule Arabique. Ses membres visent l'intégralité des cibles de la centrale, depuis les Américains aux Israéliens en passant par les populations chiites du nord Yémen. AQPA reste le seul mouvement, en dehors d'Al-Qaïda, à être parvenu à attaquer sur le sol américain. Autre mouvement conséquent pour la France : AQMI, Al-Qaïda au Maghreb Islamique. Héritier historique du GSPC algérien, elle descend d'une tradition de violence visant historiquement l'hexagone. Le groupe s'attaque aussi bien aux intérêts économiques locaux, en nuisant gravement au tourisme, qu'en visant des groupes comme Areva, ciblant ainsi directement la France. AQMI a également exporté une tradition kamikaze en Algérie, pays qui ne connaissait pas les attaques suicides jusque là et qui a vu 22 opérations de ce type depuis quelques années.
  • On trouve enfin des mouvances en Irak, au Niger ou en Somalie qui cherchent de plus en plus à mener des attaques sur des sols étrangers. Même des groupes assez localisés, comme les séparatistes du Caucase, qui opèrent en Russie, peuvent nous toucher : lors de l'attentat à l'aéroport de Moscou, un ressortissant français a été blessé.
  • Le troisième : on y trouve tous les groupes domestiques, qui opèrent à une échelle purement régionale, ainsi que les loups solitaires.

Arrive-t-on à évaluer l'impact qu'a eu l'action de l'organisation de Ben Laden sur les relations entre monde musulman et monde occidental ? Pourrait-on comparer les résultats obtenus par Al-Qaïda, en matière d'influence, à celle qu'a pu obtenir le Qatar avec ses nombreux investissements ?

Al-Qaïda a créé une icône... qui touche une population extrêmement limitée. Les pays musulmans se sont investis dans la lutte contre Al-Qaïda. Les révolutions dans le monde arabe, d'ailleurs, ne se sont pas menées sur un mode violent au nom d'une interprétation violente d'un islam radical. Elles se sont faites sur une revendication de droit social et d'aspiration au travail.

Les menaces liées à Al-Qaïda, à l'avenir, reposent principalement sur la peur au sein de la communauté internationale. L'année dernière, le monde entier attendait encore une fois un attentat lors de cette date symbolique qu'est le 11 septembre. La seule attaque qui a eu lieu s'est déroulée dans le Wardak, en Afghanistan. Par contre, Barack Obama a formulé un discours particulièrement ferme, expliquant que le dispositif sécuritaire américain n'avait jamais été aussi conséquent. Pourtant, il a suffit d'une alerte à la bombe à l'aéroport de New York pour entraîner une véritable panique : c'est un véritable échec.

Restent les menaces difficiles à prévenir : les attaques de loups solitaires. L'assassinat en 2004 de Theo Van Gogh par un homme qui l'a presque décapité en pleine rue à Amsterdam. La tuerie perpétrée par un major de l'armée américaine en plein milieu d'une base aux Etats-Unis en 2008. Ou plus récemment et plus proche de nous : Mohammed Merah.

Reste que si les résultats obtenus par ces derniers restent mesurés, ils entraînent une augmentation des dispositifs sécuritaires et maintiennent un climat d'insécurité.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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