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10 ans du musée du Quai Branly : pourquoi François Hollande n’aura sans doute jamais droit à un hommage comparable à celui qu’il a rendu à Jacques Chirac
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Pas les mêmes bilans

A l'occasion des dix ans du musée du quai Branly, ouvert par Jacques Chirac, François Hollande a prononcé un discours rendant hommage à l'ancien président de la République.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Pour les 10 ans du musée du quai Branly, François Hollande prononçait ce lundi 20 juin un discours d'hommage à Jacques Chirac. En admettant que François Hollande ne soit pas réélu, que dirait-on dans dix ans de sa propre action à la tête de l'Etat ? Que retiendrait-on du quinquennat actuel ?

Jean Petaux : Il faudrait pouvoir lire dans une boule de cristal pour répondre à votre question. Elle part d’un postulat qui est celui de sa non-réélection en mai 2017. Sur ce point précis, c’est déjà une prévision risquée. Plaçons-nous dans votre hypothèse et considérons donc le bilan du quinquennat de François Hollande. Comme celui-ci n’est pas achevé du tout et qu’il lui reste un cinquième du temps disponible avant son échéance, la réflexion ne porte donc que sur 49 mois sur 60. Il peut advenir de nombreux événements d’ici le 7 mai 2017…

Je désignerai trois actes que la postérité pourrait retenir des 4 premières années du premier mandat de François Hollande : 1)  la loi portant autorisation du mariage entre personnes du même sexe ; 2) le renforcement de l’esprit et de la posture de Défense face aux attentats et à la menace terroriste extérieure ("Opex" au Mali, au Moyen-Orient ; multiplication des "actions homos" conduites par la DGSE autorisées par le président ; arrêt de l’hémorragie des effectifs des Armées et des forces de sécurité intérieure, etc.) ; 3) le succès de la COP 21 en décembre 2015.

Bien que ses actions purement politiques aient été très limitées, les mandats de Jacques Chirac ont permis d'améliorer au quotidien la vie des Français par la lutte contre la violence routière, le plan de lutte contre le cancer ou encore le plan anti-douleur… François Hollande peut-il se prévaloir de telles mesures ? Lesquelles ?

Encore une fois, il s’agit de faire un bilan avant même que le quinquennat Hollande ne soit entré dans le "money time" (pour filer une métaphore footballistique de saison en plein Euro). Dans les mesures concernant la vie quotidienne des Français on peut citer : 1)  la modification des rythmes scolaires des enfants à l’école primaire ; 2) la libéralisation du transport des personnes par autocars ("bus Macron") ; 3) l’ouverture des magasins le dimanche ; 4) la lutte contre le tabagisme avec l’entrée en vigueur du "paquet neutre".

Outre les mesures, les postures et les attitudes, ne retiendra-t-on pas avant tout de François Hollande ses reculades ou les mouvements de contestation massifs qu'il a essuyés ? En acceptant par ailleurs l'idée de se porter candidat à des primaires à gauche, ne restera-t-il pas comme le fossoyeur du prestige de la fonction de présidentielle ?

Pour ce qui concerne les reculades on peut considérer que François Hollande n’a pas fait pire que ses prédécesseurs depuis François Mitterrand. Même Nicolas Sarkozy qui se faisait fort de "tout casser" en 2007 et de "réformer à tout va" a reculé sur de nombreux points : François Fillon le lui reproche suffisamment désormais.

Le site internet www.luipresident.fr  (site de vérification citoyenne) qui "passe au crible" les promesses de François Hollande et qui analyse le bilan des 60 engagements du candidat socialiste en 2012 divisés eux-mêmes en 189 promesses, fait le décompte suivant à la date du 20 juin 2016 : "53 promesses (toujours) tenues / 17 promesses en partie tenues / 73 promesses pas encore tenues ou en cours / 7 promesses brisées, non atteintes ou reportées / 16 promesses imprécises".

Aujourd’hui, l’art de gouverner est complexe et pour le moins difficile. Les manifestations des opposants sont toujours plus fortes et nombreuses que celles des soutiens. Il n’y a donc eu aucune surprise à ce que les mouvements de contestation massifs se soient multipliés pendant la présidence Hollande d’autant que la quasi-totalité de ses choix politiques ont mobilisé en refus et en opposition une partie de son propre camp, à sa gauche,  tout en maintenant parallèlement une opposition plus "normale" sur sa droite.

La question de la participation à la primaire de gauche marque la limite de l’action politique de François Hollande. L’homme, très habile tacticien, fonctionne plus à "l’éthique de responsabilité" qu’à "l’éthique de conviction" pour utiliser un vocabulaire wébérien. Sa rationalité est plutôt celle de quelqu’un qui se préoccupe du but à atteindre (Zweckrationalität) et non pas forcément des valeurs véhiculées (Wertrarationalität). En conséquence de quoi, adepte de Machiavel, privilégiant la ruse du renard à la force du lion, même s’il a montré qu’il n’était pas dépourvu de cette dernière qualité, François Hollande prend le risque d’affaiblir plus qu’elle ne l’est déjà la fonction présidentielle en se pliant au rituel des primaires. Il le fait en piégeant ses concurrents immédiats et dans le souci de se mettre en position la plus favorable possible pour attaquer la "montée finale" vers la réélection. C’est très habile mais c’est un jeu avec la fonction présidentielle. En 2012, lors du fameux débat d’entre les deux tours qui l’opposa à Nicolas Sarkozy, François Hollande employa de nouveau cet adjectif qui allait lui être renvoyé à la figure sans arrêt depuis son élection : un président "normal". Aujourd’hui, c’est lui qui le renvoie aux Français : un président "normal", c’est un président qui repasse par la "case primaire" pour se représenter. C’est en ce sens que cette "normalité-là" est "anormale" du point de vue de l’institution présidentielle.

Que retiendra-t-on du quinquennat de François Hollande à l'étranger ? Dans quelle mesure le monde aura-t-il changé sous l'impulsion de François Hollande ?

Il y a belle lurette que la France et que ses dirigeants ne changent plus le monde. Même à l’époque du général de Gaulle, où sont les exemples de changements du monde sous l’impulsion du chef de l’Etat français ? On peut dire qu’en refusant de participer à l’offensive américano-anglaise en Irak en 2003 la France, sous l’impulsion de Jacques Chirac, a obtenu un vrai succès d’estime dans une partie du monde hostile aux Etats-Unis. Mais si la France a empêché que l’intervention américaine soit faite sous mandat onusien (de toute façon la Russie ou la Chine auraient aussi appliqué leur véto au Conseil de sécurité), l’offensive a bel et bien eu lieu. La France n’a rien empêché du tout. On peut estimer que le "couple" Mitterrand-Kohl a changé l’Europe sous son impulsion jusqu’au traité de Maastricht en 1992 mais cette "Union" européenne se serait faite sans doute aussi sans eux. François Hollande a-t-il les moyens de changer le monde ? A la tête d’une puissance "moyenne", la France, (l’expression ne date pas d’aujourd’hui, elle a été prononcée par Valéry Giscard d’Estaing alors président de la République en 1975), François Hollande n’a, à sa disposition, que la force de la parole et, au cas par cas, des capacités d’intervention limitées mais néanmoins fortes et réelles comme cela s’est produit au Mali lors de l’opération Serval en janvier 2013.

La France, dans ce genre de configuration internationale, est encore une des rares puissances dans le monde à être en mesure de se projeter sur un théâtre d’opérations extérieures. Mais on voit bien les limites de l’exercice. Si la capacité de changer le monde se mesure à la puissance de feu, la France sous la présidence Hollande, n’a pas les moyens de ses ambitions et ne peut durablement peser sur le cours de l’histoire de la planète. Elle ne le pouvait pas plus sous les prédécesseurs de l’actuel chef de l’Etat, mais elle peut tout autant le faire aujourd’hui. D’autant qu’en la matière la volonté montre vraiment le chemin, et, qu’en l’occurrence, n’en déplaise à ses détracteurs toujours prompts à dénoncer sa "mollesse" et son "inertie", François Hollande a vraiment montré, depuis son élection en 2012, une vraie force de caractère en la matière. Ce n’est pas lui qui dira, comme a pu le faire très imprudemment un de ses prédécesseurs élyséens (une fois revenu à la "vie civile" il est vrai), "qu’il n’aurait jamais appuyé sur le bouton nucléaire". Il est clair que le bras de Hollande ne tremble pas quand il faut frapper. Reste à savoir si cela suffit à changer le monde… Peut-être cela le rend-il moins dangereux pour la France et ses habitants. Et ce n’est déjà pas si mal.

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