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"Pas de crise migratoire, une crise politique..." : Mais au fait, combien de non-Européens se sont-ils installés dans l’Union depuis 1957 ?
©Giovanni ISOLINO / AFP

La vérité vraie

Alors que le Vieux continent traverse une crise migratoire, il est possible de distinguer trois grands phases d’immigration extra-européenne.

Atlantico : Alors que l'Union européenne traverse une crise migratoire qui a culminé en intensité lors de l'année 2015, est-il possible d'estimer le nombre de migrants extra européens arrivés sur le continent depuis la signature du traité de Rome en 1957 ? Quelles ont été les phases de migrations extra européennes connues par le continent depuis lors ? Quelles en ont été l'ampleur ? ​

Laurent Chalard : S’il s’avère possible de déterminer le nombre de migrants extra-européens arrivés depuis 1957 pour certains pays, pour l’ensemble du continent, ce n’est pas le cas pour plusieurs raisons. Tout d’abord, à l’époque, le périmètre de l’Union Européenne n’était pas le même qu’aujourd’hui. Il n’y avait que 6 pays et l’Europe était séparée par un rideau de fer. Le périmètre de l’Union Européenne ayant évolué progressivement au fur-et-à-mesure du temps, les analyses statistiques rétrospectives sur la question migratoire sont quasiment impossibles. Ensuite, les données statistiques concernant les migrations en fonction de l’origine n’étaient pas toujours disponibles pour certains pays et les définitions étaient variables. Enfin, autre raison, les volumes d’immigration extra-européenne étant relativement faibles à l’origine, en-dehors des rapatriés des anciennes colonies, il n’y avait pas de raison spécifique à s’y intéresser précisément sur le plan statistique et donc à les distinguer des autres migrants.

Concernant les phases d’immigration extra-européenne sur le continent européen, il convient de rappeler qu’avant les années 1950, la présence de populations extra-européennes en Europe était rare ou temporaire (par exemple, les tirailleurs sénégalais et la main d’œuvre chinoise en France pendant la première guerre mondiale). En effet, l’Europe était un continent d’émigration et non d’immigration. Depuis, il est possible de distinguer trois grands phases d’immigration extra-européenne.

La première phase s’est déroulée pendant les Trente Glorieuses dans les pays les plus riches d’Europe du nord-ouest, correspondant, dans une période de boom économique et d’importants besoins en main d’œuvre essentiellement masculine dans les mines ou l’industrie automobile, à l’arrivée de migrants issus des anciennes colonies en France et au Royaume-Uni, ou issus de Turquie en Allemagne. C’est donc dans les années 1960-70 que se constituent les premières communautés de populations d’origine extra-européenne non négligeables numériquement, concentrées dans les grandes métropoles et certaines villes industrielles. Cependant, en pourcentage de l’ensemble des migrants, l’immigration demeure à dominante européenne, par exemple les espagnols ou les portugais en France.

La deuxième phase, qui s’amorce dans la deuxième partie des années 1970 et les années 1980, donc en période de crise économique, correspond à la politique du regroupement familial, qui conduit, par l’arrivée des familles des travailleurs migrants masculins déjà présents sur le territoire européen, au développement numérique important des communautés arrivées pendant les Trente Glorieuses. La contribution des populations extra-européennes à l’immigration totale progresse sensiblement.

Enfin, la troisième phase, qui débute dans les années 1990 et se poursuit jusqu’à nos jours, conduit à la très forte augmentation des populations d’origine extra-européenne dans l’ensemble de l’Europe occidentale, produit de plusieurs facteurs :

- la poursuite du regroupement familial dans les vieux pays d’immigration,

- l’explosion de la demande d’asile, en particulier en Scandinavie à la politique d’accueil généreuse,

- le besoin de main d’œuvre des pays d’Europe méridionale, devenus des pays d’immigration

- le développement d’une immigration clandestine de plus en plus importante consécutive des déséquilibres économiques et démographiques entre l’Europe et les pays en voie de développement des autres continents.

Seule l’Europe de l’Est, territoire d’émigration au niveau de vie moindre, ne semble guère concernée par le phénomène.

Comment expliquer, alors que les Etats-Unis semblent pouvoir être en mesure de mesurer les flux migratoires depuis des décennies, que l'Europe ne soit pas en mesure d'apporter de tels chiffres ? Cette absence de données ne traduit-elle pas également un malaise européen sur ces questions ?

Les Etats-Unis forment un Etat centralisé et unifié, disposant donc de données statistiques sur le long terme, qui, sans être parfaites, ont le mérite d’exister et de faire des comparaisons dans le temps, d’autant que les Etats-Unis étant un pays d’immigration historique, la comptabilisation précise des flux migratoires a toujours constitué un enjeu majeur pour les autorités dans l’optique d’une gestion optimale du pays.

L’Union Européenne n’étant pas un Etat centralisé et unifié, mais un conglomérat d’une multitude d’Etats, les statistiques rétrospectives disponibles le sont à l’échelle des Etats, mais pas de l’Union Européenne, avec une qualité très variable selon les pays du fait d’histoires statistiques différentes. Malgré le remarquable travail d’Eurostat pour harmoniser les données, on ne peut légitimement reprocher à l’Union Européenne de bénéficier de données de moindre qualité que les Etats-Unis.

S’il existe effectivement un malaise européen sur ces questions, comme nous l’avons vu précédemment, le problème relève plus d’une question de fragmentation politique et statistique que d’une réelle volonté de ne pas avoir de données, même si dans un pays comme la France, la question peut se poser.

En quoi les structures d'âge des populations immigrées modifient-elles l'impact de ces arrivées sur la population sur le plus long terme ?

La grande majorité des nouveaux arrivants étant âgés de moins de 35 ans, ce sont donc des populations dont la structure par âge est beaucoup plus jeune que la population, très vieillie, déjà présente sur le territoire européen. Il s’en suit qu’ils ont un impact très important sur la natalité des pays concernés, bien supérieur à ce que leur volume pourrait laisser croire. En effet, tous les Etats connaissant une immigration extra-européenne d’ampleur ont vu leur volume de naissances immigrées progresser très sensiblement permettant de contrecarrer, au moins temporairement, le déclin structurel des naissances consécutives de leur faible fécondité.

Pour se donner une idée de l’ampleur du phénomène, imaginons une population de 100 immigrés extra-européens, tous en âge d’avoir des enfants, et une population de 100 européens, dont seulement 33 sont en âge d’avoir des enfants. A fécondité égale, les premiers auront trois fois plus d’enfants que les derniers. C’est ce qui se passe aujourd’hui dans les grandes métropoles d’Europe occidentale, d’où le déséquilibre frappant entre le pourcentage de la population immigrée dans la population adulte, souvent modéré, et le pourcentage de naissances immigrées par rapport à l’ensemble des naissances, souvent important. La région Ile de France en constitue un exemple-type.

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