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(Nouveau) Constat d’échec des politiques d’éducation prioritaires : et si c’était parce que les populations ciblées ne souhaitent plus être aidées…?
©GUILLAUME SOUVANT / POOL / AFP

Ecoles

D'après un rapport de la Cour des comptes publié mercredi 17 octobre, les politiques d’éducation prioritaire ne parviennent pas à accomplir leur mission première, qui est de réduire les inégalités de départ dans la réussite scolaire des enfants.

Barbara Lefebvre

Barbara Lefebvre

Barbara Lefebvre, enseignante et essayiste. Auteur de C’est ça la France (Albin Michel). Elle a publié en 2018 Génération « j’ai le droit » (Albin Michel), était co-auteur en 2002 de l’ouvrage Les territoires perdus de la République (Pluriel)

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Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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Doit-on nécessairement mettre cela sur le dos des politiques d'éducation prioritaires qui sont inefficaces ou observe-t-on aujourd'hui une forme de refus des aides que l'Etat propose ?

Pierre Duriot : Tout cela repose sur des mensonges et sur une dialectique, répétés en boucle depuis des années, sur tout ce qui touche aux zones d'éducation prioritaires. Ce sont des zones « d'exclusion et de pauvreté » : pas du tout. Ce sont des zones fort bien desservies par les transports en commun, les voies de communication, les ondes de toutes sortes. Y sont installés de nombreux commerces et services et par exemple, le PIB de la Seine-Saint-Denis est au quinzième rang national, même si le revenu net par habitant y est effectivement faible. Ces zones sont avant tout des zones à caractère ethnique, communautarisées et sous les coupes d'un islam plus ou moins radical et des gangs liés à la drogue, au banditisme ou à la prostitution. Gérard Collomb, lors de son départ du Ministère de l'intérieur, a été très clair sur ce sujet. « La délinquance est liée à la pauvreté » : c'est encore faux. Si tel était le cas, la Creuse, la Nièvre ou la Lozère, les départements les plus pauvres, seraient des coupe-gorges. La délinquance est liée à la présence d'argent, en particulier d'argent sale, on ne vole rien chez les pauvres. Egalement, à la concentration d'une population fort connue, majoritaire dans ces quartiers, où l'on constate que les services de l'Etat, policiers, pompiers, ne se rendent plus qu'en force et avec gilets pare-balles. Mais le sujet doit être évoqué à demi-mot, alors même qu'il crève les yeux. « Les désordres sont le fait d'une minorité » : encore faux. Si tel était le cas, le problème serait réglé depuis longtemps. Non, sur ces zones, sur le sujet de l'islam des quartiers, le gouvernement dispose de statistiques certes peu connues, mais fiables. Depuis un audit sur la réussite au bac des jeunes hommes issus de l'immigration, on sait que les asiatiques font bien mieux que la population générale, à 80 % d'une génération, contre 55/60 % pour la population ordinaire, mais autour de 30 % pour les maghrébins et les turcs. On sait aussi qu'une bonne soixantaine de pour cent des musulmans considèrent leurs préceptes culturels et religieux comme plus importants que ceux de la République. On a des expériences désastreuses comme le lycée Gallieni de Toulouse. Plus loin dans le temps, on a eu Creil et ses foulards, on a eu l'IUT de Saint-Denis. On connaît les phénomènes de harcèlement au voile et ainsi de suite. Autant de signes qui sont des indicateurs et dont on aurait dû tenir compte et avec lesquels on n'a rien fait. Il est donc fort logique qu'on ne puisse résoudre, avec de l'argent, un problème dont on est incapable de poser correctement l'énoncé.

Barbara Lefebvre :Permettez-moi d’abord de dire ma consternation devant une énième analyse que les médias rapportent comme si c’était un scoop. Des analyses sur l’inefficacité des dispositifs de l’éducation prioritaire - inventée par la gauche mitterrandienne – on en a déjà lues. La dernière en date venait le Conseil national d’évaluation du système scolaire que M. Blanquer voudrait hélas, paraît-il, supprimer. En 2016, cette autorité indépendante a proposé une bonne analyse-bilan de cette politique de discrimination positive : en dépit de réussites locales, le Cnesco observait une mise en œuvre à l’échelle nationale insuffisante qui n’a donné aucun résultat tangible pour réduire les inégalités sociales ce qui était l’objectif annoncé par cette politique dès 1981. Le seul problème dans l’analyse du Cnesco c’est qu’il s’arrête au milieu du guet en se félicitant que l’éducation prioritaire ait permis de poser un diagnostic. Tant d’argent dépensé pendant trente ans pour constater qu’il y a des inégalités scolaires qui recouvrent peu ou prou les inégalités socio-économiques ; « tout ça pour ça ? » serait-on tenter de dire. 

La réalité c’est que l’incohérence de l’action publique en matière scolaire, depuis que la massification a imposé une prétendue démocratisation scolaire, est la cause de cette crise de l’éducation qui dépasse de loin les populations concernées par la seule éducation prioritaire. La crise est générale, je l’ai constatée dans tous les établissements que j’ai fréquentés, ZEP ou non. C’est avant toute chose une crise de sens : les finalités du système éducatif ne font pas l’objet d’un vrai consensus. Pour toutes nos élites dirigeantes, depuis au moins trois décennies, l’école n’a plus au fond qu’une mission utilitaire : elle doit être efficace pour former des actifs adaptés à la loi du Marché mondialisé. Le gouvernement actuel l’assume au moins plus franchement que ses prédécesseurs qui ne le disaient pas publiquement mais laissèrent l’école de la République aux mains des technocrates du management public, qui n’est guère plus humain que le management du privé. En revanche, nombre d’enseignants n’ont cessé de dénoncer cette dérive managériale de l’école depuis trente ans dans l’indifférence générale, d’où la crise du métier ; quant aux syndicats, ils sont trop occupés à la conservation de leurs privilèges pour s’en mêler et font donc le jeu des gouvernements quels qu’ils soient. Les citoyens sont du côté de ces profs là, et les populations des territoires en difficulté encore davantage. Ils croient encore en la mission culturelle et accessoirement civique de l’école. L’école doit transmettre des savoirs et façonner des hommes responsables, capables de porter un regard critique sur le monde. Voilà les conditions préalables nécessaires pour entrer sereinement dans la vie professionnelle. 

Pourtant, on ne peut que constater la baisse du niveau culturel général, et une fois encore cela n’épargne aucunes catégories sociales. Il n’est qu’à observer le développement des écoles hors contrat loin d’être toutes animées par des motivations religieuses : les parents y cherchent une ambition culturelle. L’échec de l’école utilitariste que nous subissons depuis quarante ans est général, il est simplement plus flagrant en zone d’éducation prioritaire parce que des phénomènes de contre-sociétés avec des codes culturels venus d’ailleurs ont surgi depuis deux décennies environ. Elles sont venues occuper le vide laissé par l’abandon d’une politique d’intégration voire d’assimilation qui était, historiquement en France, l’œuvre de l’école puis de l’armée avec le service militaire - le vrai pas le Service universel civique d’un mois dans une association ou une ONG que nous promet le gouvernement…

La montée des revendications identitaires ou la culture de l’échec expliquent-elles une partie de cet échec ?

Pierre Duriot :Oui. Là encore, très clairement, on a des études sérieuses. On sait que l'envie de l'élève est le principal moteur de l'apprentissage. On sait également que le projet des parents pour leur enfant, leur adhésion à l'école et à la réussite scolaire conditionnent les dispositions et la réussite de l'élève. C'est tout cela qui est en panne. Pour bon nombre de musulmans de ces quartiers, l'environnement doit s'adapter à la culture majoritaire, la leur. Cette posture justement, pousse à revendiquer dans les cantines, les piscines, les lieux de culture, les entreprises, mais aussi l'école. D'un côté on veut être accueilli avec ses particularités culturelles et religieuses, à tout le moins qu'on en tienne compte et en face, on veut bien accueillir, mais sans les particularités culturelles et religieuses. Or l'école est entre les deux, on y accueille tout le monde, mais théoriquement, sans particularité culturelles ou religieuses. Et ces deux sociétés, qui en pratique, vivent côte à côte mais ne se croisent pas, se croisent à l'école. Et l'école, à son corps défendant, a dû s'adapter, sinon, parfois, elle brûle... Collomb toujours, a employé les bons mots, deux sociétés qui vivent « côte à côte » et attendant un jour, de se retrouver « face à face ». La revendication identitaire est actuellement très soutenue par des acteurs étrangers. On se souvient d'Erdogan, à Strasbourg, exhortant les musulmans à ne pas s'intégrer, expliquant que l'occidentalisation, la laïcisation, l'assimilation, de populations musulmanes, était « un crime contre l'humanité ». Erdogan et aussi les royaumes d'Arabie-Saoudite ou du Qatar, qui propagent ouvertement la revendication identitaire, pas seulement à l'école, mais dans le sport, la culture et l'ensemble des instances internationales. Le refus d'apprendre la langue du colonisateur ou du mécréant, dans une structure non conforme à l'islam peut expliquer une partie de l'échec. La montée en puissance d'écoles cultuelles adossées à des mosquées de plus en plus nombreuses, où les enfants se rendent en dehors du temps scolaire, participe également au désengagement de l'école républicaine dans des quartiers où la langue française est devenue une langue étrangère en son propre pays. Cette France qui reste, n'en déplaise au président, l'épicentre et le terrain privilégié de la langue de Voltaire.

Barbara Lefebvre : Je ne sais pas ce que vous entendez par « culture de l’échec » dans le champ éducatif. C’est encore une fois un vocabulaire managérial pour moi inapproprié quand on parle d’enfants ou d’élèves. Ce discours repris par les gourous du développement personnel est en train hélas de gangréner aussi le discours institutionnel scolaire, et les parents se laissent endormir par les jolis mots-valises du moment : la bienveillance, l’école de la confiance, la coéducation… C’est affligeant et révélateur de l’hypocrisie du système : fabriquer des hommes économiques interchangeables mais en les cajolant avec un discours sur le bonheur individuel à grand renfort de psychologismes de comptoir. 

Concernant les revendications identitaires, là encore on a l’impression que tout le monde découvre un réel que ceux qui vivent ou travaillent dans ces territoires connaissent depuis vingt ans au moins… On a l’impression que certains ont entrouvert les yeux en janvier 2015,  mais je vous rappelle que l’affaire du voile au collège de Creil date de 1989. Une année cruciale dans le développement de la réislamisation intégriste partout dans le monde musulman, la salafisation des croyants à travers le monde grâce aux pétrodollars de nos alliés du Golfe pour essayer d’engager les masses musulmanes dans le djihad. Ce projet n’a pas réussi notamment en Europe où les masses musulmanes n’ont pas été mobilisées par le djihad comme espéré, néanmoins elles ont largement basculé dans l’islam politique, la religion spectacle avec son concours d’ostentation au nom de la pudeur et de l’honneur islamique. Ce n’est guère plus rassurant. Gilles Kepel fait partie de ceux qui ont très bien décrit ce phénomène et montré sa réalité en France. Qui a tenu compte de ses analyses dès la fin des années 1990 ? 

Des fractures ethnoculturelles sont à l’œuvre dans de très nombreux territoires français où l’islam s’est imposé dans l’espace public, sur un fond de délinquance et de criminalité qui a permis aux islamistes - aux Frères musulmans en particulier - de se faire passer pour des artisans de la paix sociale auprès des élus, véritables rois-fainéants dans certaines villes. Au fil des ans, leur omniprésence dans l’espace public voire domestique - puisqu’ils se permettaient de donner des conseils de vertu islamique au sein des familles - ont fait fuir ceux qui ne voulaient pas vivre selon ce modèle, dont des familles musulmanes qui ont une conception exclusivement spirituelle de leur foi et non pas politique. Ceux qui restent dans ces quartiers et cautionnent cette contre-société osent crier à la discrimination ethnique et sociale, se plaindre de vivre dans des ghettos alors que c’est eux qui ont produit ou accompagné cette situation de partition, avec l’aide d’une classe politique au mieux  indifférente au pire impuissante. J’ai souvent reçu des parents d’élèves d’origine maghrébine me disant à quel point ils ne supportaient plus de vivre dans tel ou tel quartier, entièrement passé sous la coupe des islamistes dont certains venaient directement du FIS algérien grâce au droit d’asile ! Certains de ces parents sacrifiaient toutes leurs économies pour quitter leur logement social ou pour scolariser leurs enfants dans le privé loin du quartier. Je leur ai toujours donné raison car je savais l’école impuissante à répondre à leur désir d’intégration par les savoirs.

On entend aujourd’hui les François Hollande, Gérard Colomb, Martine Aubry et d’autres « progressistes » de droite et de gauche, se présenter comme des lanceurs d’alerte sur cette situation de partition ! C’est indigne de la fonction que ces politiques ont occupé ou occupent : ils ont regardé la situation se dégrader, voire l’ont encouragée localement par clientélisme, et quand cela devient incontrôlable ils s’alarment comme des lapins pris dans les phares d’une voiture lancée à vive allure.  

J’avoue que je suis atterrée d’entendre ces derniers jours deux journalistes réputés du Monde parler de l’islamisation dans certaines territoires comme s’ils venaient de « découvrir » la face cachée de la lune ! J’ai entendu l’un d’eux expliquer que leur enquête était inédite, « révélait » une situation que personne n’avait osé décrire. Et pas un journaliste pour les rappeler à la modestie et leur expliquer que ce n’est pas parce que le Monde vient de comprendre que la terre est ronde que le reste de l’humanité l’ignorait … D’ailleurs leurs consœurs du même journal qui avaient elles aussi « découvert » la désintégration à l’œuvre à Trappes, il y a quelques mois, doivent trouver cela un peu comique.  

Tout ceci est affligeant car ces processus de sécession culturelle sont à l’œuvre depuis près de vingt ans, et à l’école cela a été décrit depuis le début des années 2000, par maints témoignages dont, bien-sûr, ceux rassemblés dans l’ouvrage auquel j’ai contribué en 2002 Les territoires perdus de la République et dont les observations furent validées par le rapport Obin de l’Education nationale réalisé un an plus tard. Nous étions quelques uns alors à presser les élus, les journalistes faiseurs d’opinion de regarder la réalité en face, nous étions pour la plupart enseignants en zone d’éducation prioritaire. On nous a ignorés comme les journalistes du quotidien de référence précité, au mieux on a minimisé notre constat en nous traitant de Cassandre, puis de racistes islamophobes pour nous disqualifier complètement. En janvier 2017, j’ai participé à une enquête dirigée par Georges Bensoussan, Une France soumise, qui élargissait le recueil de témoignages au-delà du champ éducatif, le bilan était encore plus inquiétant. La seule chose que certains journalistes ont trouvé à nous dire c’est « vos témoignages sont anonymes donc cela affaiblit le propos ». Nous n’avions pas les moyens de conviction des reporters de grands médias pour assurer la sécurité de nos témoins ! Nous voulions au contraire collecter mieux que des petites phrases ou des anecdotes, laisser la parole à ces acteurs du quotidien pour qu’ils nous livrent leurs analyses. On peut donc comprendre qu’ils préfèrent garder l’anonymat compte tenu de ce qu’ils nous ont révélé.

La réussite scolaire est-elle uniquement liée à ces aides ? N'est-ce pas aussi accepter les codes sociaux d’un autre milieu et renoncer en partie aux siens ?

Pierre Duriot :Cette question recoupe bien sûr les deux précédentes. Oui, au delà des stricts apprentissages, matière par matière, l'école dispense des codes sociaux, des codes de communication et de comportement, des valeurs partagées dont certaines ne sont pas compatibles avec l'islam qui reste la principale et de très loin, religion revendicatrice auprès des établissements scolaires. On pense à la mixité, à l'égalité homme femme, à la laïcité, à une vision de la science ou de l'histoire, à une approche de la sexualité, de la famille, qui ne correspondent pas à la culture arabo-musulmane. Même si tout cela est gradué. Il n'y a pas forcément de rejets frontaux majoritaires, mais des accrocs ou des contestations réguliers dans la vie de l'école. On l'a vu lors du refus d'observer, par des élèves musulmans, les minutes de silence lors des attentats. Oui, quelque part, quand on est d'une autre culture, accepter les codes d'une culture d'adoption, c'est en partie renoncer aux siens, mais en partie seulement. Pour d'autres cultures importées, le pas fut moins important, le reniement de tout ou partie moins douloureux, mieux accepté. L'islam est plus monolithique, plus difficile à fractionner, moins commode pour s'en distancier, s'impose comme une supra-nationalité, comme l'explique Dalil Boubakeur, d'autant que de nombreuses forces de cohésion sont à l'oeuvre pour tirer dans l'autre sens.

Barbara Lefebvre : Qu’est-ce que la réussite scolaire ? Si c’est avoir le bac, on peut dire qu’il n’y a aucun souci à se faire : tout le monde a le bac ou presque. Si c’est quitter le système scolaire en étant assez armé intellectuellement pour poursuivre sans difficulté majeure des études professionnelles ou universitaires c’est autre chose en effet. Demandez aux enseignants d’université le niveau des élèves que leur adresse le lycée ! Et là aussi la baisse est générale. Il faut cesser de faire croire, comme le fait M. Blanquer, que seuls les élèves des ZEP et REP sont concernés par l’échec scolaire, par la crise de l’éducation. C’est un phénomène général et à ce titre les dédoublements des classes de primaire – que la Cour des comptes appelle à développer - me semblent contraire au principe d’égalité scolaire. L’échec de la politique de l’éducation prioritaire montre que ce n’était pas une question de moyens mais de finalité éducative et de pédagogie. Comment expliquez-vous que dans une école privée – où de plus en plus de parents de milieu populaire inscrivent leurs enfants pour éviter le stigmate « ZEP » - les classes comptent souvent près de 30 élèves et que cela fonctionne bien ? Comment expliquez-vous que nos grands-parents ou parents dans les années 1930 ou 1950 aient appris à lire, écrire et compter à plus de 30 par classes ? Les bien-pensants vous parlent d’une mixité sociale d’antan, mais c’est faux : des quartiers populaires existaient déjà à ces époques et les enfants de la bourgeoisie se mêlaient très rarement aux enfants d’ouvriers. Il faut arrêter de réinventer l’histoire pour satisfaire l’idéologie contemporaine. Je peux vous donner des dizaines d’exemples de gens issus de milieux populaires ou d’origine étrangère qui, jusqu’aux années 1960, ont appris à lire, écrire et s’exprimer dans une français de grande qualité que les élèves de catégories privilégiées actuelles leur envieraient ! 

C’est une question de méthode, de discipline, de pédagogie, de modèle d’enseignant et non une question qui se résumerait au nombre d’élève par classe. Vous pourrez mettre 5 élèves par classe, si la méthode d’enseignement est mauvaise, les résultats seront aussi déplorables qu’à 15 ou 30. Mais le ministre Blanquer ne cesse de répéter comme un mantra qu’il a découvert la solution aux inégalités scolaires avec ces dédoublements, et les médias hypnotisés acquiescent bien que la plupart des journalistes ne connaissent rien aux questions éducatives et encore moins pédagogiques. M. Blanquer sera-t-il encore en poste quand on établira les premiers bilans de cette politique voulue par le candidat Macron qui ne profite qu’à moins de 15% des élèves de la République ? Ce mirage des dédoublements s’estompera comme tout ce qui sert à la communication d’un gouvernement qui ne veut pas renoncer à une vision ultralibérale des politiques publiques. L’école managériale reste le projet de ce « nouveau monde » mis en œuvre par les technocrates de l’ancien monde passés ministres.

Comment faire pour que l’ascension sociale et la réduction des inégalités de départ fonctionne véritablement selon vous ? Est-ce seulement possible en l'état ?

Pierre Duriot :On en vient aux questions qui fâchent. Eric Zemmour l'a fait remarquer et cela a créé la polémique. Il n'y a pourtant pas de quoi, c'est factuel. Toutes les autres sources d'immigration, dès la première génération, ont appelé leurs enfants avec des prénoms de culture française. Les musulmans, au bout de trois générations, s'appellent toujours de prénoms de leur culture à eux. Il suffit d'aller dans n'importe quelle école pour s'en rendre compte. La francisation des patronymes est pourtant l'un des leviers utilisés avec succès par d'autres minorités. De même qu'un certain nombre de traits culturels restent peu acceptés dans les entreprises : voiles, ramadan, prières, remarques sur les tenues vestimentaires, impossibilité parfois de recevoir des ordres d'une femme. Ce sont des sujets de crispation au travail. Plus de 95 % des conflits liés à la pratique religieuse au travail sont le fait le l'islam. Et les enfants de ces parents là reproduisent évidemment les schémas familiaux. Jean-Christophe Lagarde a affirmé sur France Info que la fermeture de l'usine PSA-Peugeot d'Aulnay-sous-Bois, était en partie liée à « l’omniprésence religieuse ». On se souvient aussi de l'affaire de la crèche Baby-Loup. On comprend donc que les entrepreneurs puissent avoir une certaine frilosité par rapport aux signes extérieurs de religiosité. La résultante est que deux sociétés s'organisent, avec des incitations, pour les uns, de la population majoritaire, à embaucher des jeunes issus de la diversité arabo-musulmane, l'embauche des asiatiques, par exemple, ne posant par contre aucun problème. Et pour les autres, des entreprises totalement communautaires, où aucune pression ne s'exerce, à contrario, en direction d'une mixité ethnique qui consisterait à obliger les chefs d'entreprises musulmans à embaucher des gens, ou plus de gens, issus de la population majoritaire ou des autres minorités. Et ces deux sociétés se croisent finalement assez peu, d'où cette impression, en trompe l'oeil, que tout ne va pas si mal. Les élèves de l'école ont besoin, pour réussir des études laïques et républicaines, à la fois de l'exemplarité et de la volonté parentale, ce qui suppose une part de renoncements. Ca ne semble pas vraiment aller dans le bon sens...

Barbara Lefebvre : Cela ne se fera certainement pas avec des politiques de discrimination positive, non seulement dispendieuses mais qui accentuent les ressentiments, les frustrations, aggravent les fractures sociales et culturelles, encouragent la défiance des uns contre les autres. Mais c’est aussi cela le projet soi-disant progressiste : la guerre de tous contre tous, la compétition sans fin qui bénéficie toujours à une minorité de privilégiés qui vit en vase-clos. Les « premiers de cordée » ne laissent jamais que quelques uns des milieux de cordée les rejoindre pour prétendre ne pas être complètement disqualifiés dans leurs discours progressistes ; en ce moment on fait monter quelques personnalités qui servent le discours multiculturel et inclusif. Pour le mérite, le talent, le courage, le travail, l’honnêteté intellectuelle ça attendra encore un peu, et on laisse les « derniers de cordée », « ceux qui ne sont rien » trimer ; de toute façon ils ne votent plus et s’ils « votent mal » on leur dit qu’ils sont des lépreux. 

Le système scolaire tel qu’il est aujourd’hui par les finalités même qui sont les siennes et que j’ai rapidement évoquées, c’est-à-dire utilitaires au service de la mondialisation libre-échangiste (hommes et marchandises confondus bien entendu), ne réduira aucunement les inégalités. Il ne peut que les maintenir, voire les accentuer. Il faudrait un changement de paradigme politique et culturel qui émerge et coagule enfin l’opinion générale et une partie des élites. Il faudrait retrouver un sens moral profond à notre projet démocratique pour que l’école redevienne un lieu de civilisation et non de décivilisation au service du monde de la technique qui est le contraire d’un monde de liberté et d’humanité. La France a porté, un temps, cette idée de grandeur et de renouveau humaniste, puis elle s’est vite laissé aller au confort bourgeois individualiste et a perdu le sens du collectif. La France a oublié qu’elle avait promis à l’homme de l’émanciper par la culture, par les lettres. Que peut-il alors rester de notre école française ? 

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