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"Jonas Fink, le libraire de Prague" : romance dérisoire, triste printemps, mais très bonne BD
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Le Printemps de Prague avait, en 1968, nourri bien des espérances, vite réprimées. Ce n'est évidemment pas une consolation, mais il sert aujourd'hui de cadre à la dernière BD de Vittorio Giardino, particulièrement réussie.

Dominique  Clausse pour Culture Tops

Dominique Clausse pour Culture Tops

Dominique Clausse est chroniqueur pour Culture Tops

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BD

Jonas Fink, le libraire de Prague

Textes et dessins : Vittorio Giardino

Editions Casterman

 173 pages

22 €

RECOMMANDATION

EN PRIORITE

THEME

Comme le titre l’indique, cette BD relate l’histoire de Jonas, libraire à Prague, au moment du crépuscule du Printemps de Prague. C’est la deuxième partie, en fait, de cette histoire que Giardino avait commencée vingt ans plus tôt, comme s’il avait souhaité respecter la temporalité de son récit. En effet, vingt ans, c’est quasiment le temps qui sépare les deux histoires.

Il faut tout de suite dire au futur lecteur que lire ce second opus sans connaître le premier n’est pas gênant, car Giardino met habilement en scène son récit en distillant des éléments de vie du passé de son héros.

Resituons rapidement le contexte historique de cet album: au début de l’année 68, la Tchécoslovaquie tente de lever la chape du communisme russe, en proposant un socialisme à visage humain (en URSS, Brejnev a succédé à Khrouchtchev et a de nouveau durci la ligne du parti). Ce mouvement est incarné par le nouvel homme fort du régime, Alexander Dubcek. Mais très vite, l’URSS va reprendre le contrôle et ce printemps ne durera au total que 6 petits mois, et se terminera en août de la même année avec l’entrée des chars russes dans Prague.

C’est dans ce contexte particulier que Jonas Fink va retrouver un amour de jeunesse, rencontre qui va bouleverser toute sa vie.

POINTS FORTS

- Tout d’abord le dessin : Giardino produit une ligne claire et maîtrisée avec une mise en couleur éclatante. Dès les premières cases, on est séduit par l’ambiance graphique de ce récit, avec une mention particulière à sa restitution de Prague. Pour ceux qui, comme moi, ne connaissent pas cette ville, les pages de cette BD sont une invitation à y remédier. Les décors sont juste magnifiques et extrêmement soignés dans leurs rendus. Hélas, dans sa préface, Giardino refroidit un peu nos ardeurs touristiques en évoquant la détérioration récente de la ville, sous l’effet de sa modernisation.

- L’autre point fort est l’histoire elle-même, qui mélange fiction et réalité, avec des allers et retours entre la Grande Histoire (celle de ce Printemps éphémère) et la petite (celle de Jonas), mais avec beaucoup d’habileté dans la construction du scénario. Le pont entre les deux est justement Jonas lui-même, dont Giardino a évité de faire un héros courageux, pour nous montrer un personnage plutôt égoïste et un peu lâche, comme s’il représentait un produit du monde communiste de cette époque : un système qui vous décourage d’exister et de résister, en vous forçant au repli sur soi, comme seule source d’espoir. Alors, des résistants il y en a dans cette histoire, certains payeront le prix fort de leur opposition, et la galerie de personnages que dresse Giardino est trop riche pour être décrite ici, même si j’ai une tendresse particulière pour le plombier Slavek.

POINTS FAIBLES

Fallait-il un héros plus flamboyant pour magnifier ce récit? On peut s’interroger sur le contraste entre la force des évènements qui sont en train de se dérouler et les états d’âmes dérisoires de Jonas. C’est un choix fort de l’auteur (et donc forcément clivant) que d’avoir adopté ce point de vue.

EN DEUX MOTS

Quand une BD arrive ainsi à marier la pédagogie historique et la fiction captivante, le résultat est souvent gagnant. C’est bien le cas pour ce récit de Giardino, qui nous apprend beaucoup sur ce Printemps de Prague, tout en réalisant un très bel objet graphique. La force de l’auteur est d’éviter l’emphase. Il aurait pu, par exemple, raconter l’histoire de Jan Palach, cet étudiant qui s’est immolé par le feu en signe de protestation (évoqué tout de même dans ce récit), ou pourquoi pas, celle de Vaclav Havel. Non, il a choisi un angle de vue moins démonstratif, mais tout aussi puissant, celui d’un quotidien destructeur de personnalités.

UN EXTRAIT 

Et un peu d’humour tout de même:

"Une blague russe (je devrais dire soviétique) échangée entre deux protagonistes, à propos de la presse de ce pays. L’URSS comptait deux journaux majeurs : Izvestia (les « nouvelles ») et la célèbre « Pravda » (la « vérité ») : Dans l’Izvestia, aucune Pravda, et dans la Pravda aucune Izvestia"

L’AUTEUR

( texte repris et adapté de la postface de cet album):

Né à Bologne en Italie en 1946, Vittorio Giardino quitte à 30 ans sa profession d’ingénieur en électronique pour se consacrer à la Bande Dessinée. Après avoir débuté en 1978 dans des fanzines, il publie en 1979 la première histoire de Sam Pezzo, détective privé de tradition « hard boiled » (bd américaine de Frank Miller, hyperviolente). L’année suivante, il publie son premier album en France (les enquêtes de Sam Pezzo) aux éditions Glénat. Il y publie également, en 1982, Rhapsodie hongroise, le premier album de Max Fridman. Cet album lui vaut ses premiers prix internationaux. A partir de ce moment, il collabore à Circus, puis à Vécu. Suivra ensuite une longue collaboration avec Casterman, dont l’histoire de Jonas Fink fait partie. Il travaille aussi dans le domaine de l’illustration et du dessin d’affiches.

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