“Droite moderne”, “LREM pragmatique pour le bien du pays” : mais au fait, qu’est ce que cela veut vraiment dire ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
“Droite moderne”, “LREM pragmatique pour le bien du pays” : mais au fait, qu’est ce que cela veut vraiment dire ?
©Valery HACHE / AFP

Querelle des Anciens et des Modernes

Dans la nouvelle querelle politique qui les oppose aux Anciens, les Modernes révèlent leur absence de base conceptuelle en se définissant comme progressistes.

Chantal Delsol

Chantal Delsol

Chantal Delsol est journaliste, philosophe,  écrivain, et historienne des idées politiques.

 

Voir la bio »
Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

Voir la bio »
Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

Voir la bio »

Atlantico : En quittant LR, Valérie Pécresse soulignait la nécessité de "construire une droite moderne".  En terme de philosophie politique, de quoi relève le modernisme pour la droite ? Valérie Pécresse apporte-t-elle une forme de nouveauté dans ce concept ?

Erwan Le Noan : Il y a quelques années, Alain Finkielkraut avait publié un ouvrage « Nous autres, modernes » et, à peu près à la même période, Antoine Compagnon avait écrit un superbe livre sur les « Antimodernes ». Je ne suis pas philosophe, ni un spécialiste de la pensée politique, mais ces deux ouvrages montraient toutes les revendications et tous les tiraillements qui accompagnent la modernité. La « Modernité », c’est une période historique – aux contours peut-être incertains. C’est aussi un état des êtres et de l’esprit, qui place l’individu au centre de la pensée, s’affranchissant de transcendances traditionnelles et devant affronter, dès lors, un enjeu existentiel majeur.

Bien sûr, Valérie Pécresse ne revendique pas tout cela dans son propos, mais celui-ci est le reflet d’un impératif politique qui est peut-être propre à notre époque : celui d’être parfaitement inscrit dans son temps, de montrer sa capacité à en capter les enjeux, la réalité, la complexité, d’accompagner le mouvement et de l’anticiper, d’être mobile. La droite qui ne serait pas « moderne », ce serait ainsi celle qui serait « réactionnaire », « antimoderne », conservatrice (et ces trois notions ne désignent pas exactement la même chose).

Ce qu’exprime Valérie Pécresse révèle probablement deux éléments. D’abord, l’impératif pour la droite de proposer une doctrine politique inscrite dans son époque, qui en désigne les principaux enjeux (est-ce l’identité ? l’environnement ? la liberté ? les inégalités ? la réforme de l’Etat ? le collectif ? quoi d’autre ?) et y apporte des réponses – avec visiblement l’idée que ses réponses doivent être renouvelées et ne peuvent plus correspondre à ce qui existait hier. Ensuite, et l’approche tient peut-être plus à un impératif de positionnement tactique, c’est le besoin de montrer à ses électeurs, actuels ou potentiels, qu’elle est pleinement inscrite dans l’actualité, que ses préoccupations sont celles du moment – en sous-entendant implicitement que ses homologues de droite sont, eux, dépassés ou d’une autre époque. Il faut attendre maintenant qu’elle décrive de façon plus développée sa vision, son projet, le contenu de sa doctrine.

Chantal Delsol : La notion de « droite » est forcément relative à une « gauche », cela dépend donc des époques et il n’y a pas de définition stricte qui soit complètement hors contexte. La droite pense qu’il existe des limites au progrès, c’est-à-dire à l’émancipation individuelle. La gauche a tendance à penser que tout est possible. C’est donc la question des limites à dresser devant l’émancipation, qui les distingue. Cela dit, il peut y avoir une gauche raisonnable, qui accepte certaines limites, et une droite progressiste. Elles vont débattre pour savoir où l’on s’arrête, et à quel moment une « avancée » sera vraiment une amélioration.

Valérie Pécresse ne sait pas du tout ce qu’est la droite, moderne ou pas. Elle fait partie de cette soi-disant droite qui n’a jamais fait que courir après la gauche par peur d’être en retard. C’est du bla-bla.

Bertrand Vergely : Il règne actuellement en termes de pensée un vide pathétique dont les conséquences se lisent dans la façon dont on manipule les termes « modernité » et « progressisme ».

Que veut dire être de droite ? Pendant longtemps et jusqu’à aujourd’hui, être de droite a consisté à être contre la Révolution Française et sa volonté de supprimer la monarchie et l’Église, puis contre les mouvements révolutionnaires socialistes, communistes et anarchistes  et leur volonté de supprimer le capitalisme et la bourgeoisie. Aujourd’hui, que se passe-t-il ? La droite a accepté la République en renonçant au projet de rétablir la monarchie et l’Église ; le socialisme, le communisme et les mouvements anarchistes ont échoué en conduisant à la ruine ou à une violence stérile. La question qui se pose est alors la suivante : quand on a toujours été contre, comment se situer dans l’univers politique quand il n’y a plus d’ennemi de taille, comme par exemple le communisme, contre qui prendre position en apparaissant comme un sauveur ?  Constatons le : la droite est incapable de répondre à cette question.

Quand François Mitterrand a quitté le pouvoir après son deuxième mandat, Jacques Chirac a été élu avec l’idée qu’il allait tenter de réparer les dégâts causés par François Mitterrand. La droite a alors retrouvé une certaine vigueur en menant une lutte contre la gauche comme par le passé. Jacques Chirac n’ayant rien fait sinon se tirer une balle dans le pied en dissolvant l’Assemblée  Nationale, ce qui l’a conduit à devoir cohabiter avec Lionel Jospin, premier ministre socialiste, lors de son départ les espoirs se sont tournés vers Nicolas Sarkozy. Si le concept d’une droite moderne a bien eu un sens, c’était à ce moment là. Du fait de son énergie, de son réalisme, d’une volonté affichée de restaurer la grandeur de la France, il allait faire  que « les choses marchent ». Avec lui, la droite allait peut être réussir ce qu’elle n’avait jamais réussi à faire : convertir son attitude anti-utopie-de-gauche en attitude pro-réalisme-et-efficacité. Fébrile, brouillon dans sa communication avec les medias, traînant derrière lui des images et des phrases malheureuses, Nicolas Sarkozy a fini par être le plus grand ennemi de Nicolas Sarkozy lui-même, en devenant l’artisan de sa réélection ratée. D’où l’élection par défaut de François Hollande, qui, conscient de n’avoir jamais réussi à convaincre les Français, a eu la prudence de ne pas chercher à se faire réélire.

Dans ce contexte qui commence à sentir la faillite que s’il alors passé ?  Cédant à la pression médiatique et à son goût pour la démocratie-spectacle et reprenant une idée suggérée au départ par Charles Pasqua, ancien ministre de jacques Chirac,   la droite et la gauche ont eu la mauvaise bonne idée d’organiser des primaires. Résultat ? La guerre des chefs s’emparant de la gauche comme de la droite, celles-ci ne s’en sont pas relevées. Alors que la droite devait gagner les élections en apparaissant comme celle qui allait réparer les dégâts causés par François Hollande, celle-ci les perd à la suite de la calamiteuse affaire Fillon.

Quant à la gauche, si Benoît Hamon gagne les primaires avec comme programme le revenu universel, la dépénalisation du cannabis et la légalisation de l’euthanasie, les Français sont tellement peu convaincus que là réside l’avenir que, son parti réduit à 6ù, le PS, laminé et ruiné est obligé de vendre son siège rue de Solferino.  

Fort intelligemment, Emmanuel Macron profite de la situation. Nullement élu à la suite d’une primaire, donc nullement affaibli par des divisions internes dans son camp,  uniquement propulsé par sa personne et ses réseaux, avec la moitié des députés PS et la moitié de députés de droite il fonde un nouveau parti « La République en Marche ». Idée habile contentant tout le monde, la droite avec le terme « République » et la gauche avec le terme « en marche ». De ce point de vue, si quelqu’un doit apparaître comme incarnant la droite moderniste, c’est lui. La preuve : qui prend-t-il comme premier ministre ? Edouard Philippe, ancien député de droite, qui, aux dernières nouvelles, bien qu’il se démarque de la « droite Trocadéro », ne renie pas son appartenance à la droite.  

Dans ce contexte, aux récentes élections européennes, la droite se prend une déculottée.  Elle attendait un score autour de 15% des voix. Elle n’en a que 8, 5 ! Commentaire de Gérard Larcher, Président du Sénat : si la droite a échoué, c’est qu’elle a été trop à droite. Il faut qu’elle se repositionne au centre. Analyse qui est celle de Valérie Pécresse quand elle en appelle à une droite moderniste.  Un seul problème : la place est déjà prise. Par qui ? `Par Edouard Philippe qui, de droite et primitivement contre la PMA s’apprête à faire voter prochainement cette loi, signe de modernisme de sa part.

Que faut-il conclure de cette situation ubuesque ? Que la droite s’est fait voler la droite par l’extrême droite ainsi que par Emmanuel Macron et Edouard Philippe. Pourquoi ? Parce qu’elle n’a aucun courage intellectuel.

Quand on a du courage intellectuel, on assume ce que l’on est. Quand on assume que l’on est, on n’avance pas comme raison d’un échec électoral que l’on a échoué parce que l’on est ce que l’on est.  On ne parle pas le langage de ses adversaires et on ne se précipite pas pour les imiter afin, en se présentant comme eux, d’espérer refaire le retard perdu aux futures élections.

Depuis Jacques Chirac, c’est-à-dire depuis vingt-cinq  ans, la droite est malade. Quand elle n’a plus la gauche comme repoussoir pour se faire valoir, elle est incapable de proposer quelque chose. La raison ? Elle n’est pas capable de penser sérieusement le terme « conserver ».

Conserver est l’essence de l’être et, derrière l’être, de la vie. Ce n’est pas un penseur réactionnaire qui le dit, mais Spinoza, qui est le métaphysicien fétiche de la gauche. Vivre, c’est conserver ce que l’on est et, comme c’est conserver ce que l’on est, c’est faire progresser ce que l’on est en persévérant dans son être. Les hommes ne pensent pas la conservation d’eux-mêmes. Et comme ils ne pensent pas la conservation d’eux-mêmes ils ne progressent pas.

Si la droite était intelligente, elle penserait sérieusement à conserver et, pensant à conserver, elle apparaîtrait en pointe … Dans ce monde déboussolé qu’est le monde d’aujourd’hui,  il y a quantité de choses à conserver. A commencer par la nature. Ce que l’on commence à faire. Mais il y a aussi l’économie et la mondialisation. Qui l’a compris ? Les syndicats, quand  ils s’efforcent de lutter contre les délocalisations sauvages, contre la casse industrielle et contre les plans de licenciement. Les citoyens, quand ils luttent contre la privatisation de l’Aéroport de Paris.

C’est étrange, dans ce beau pays qu’est la France, quand on prononce le mot « conserver », tout de suite un vent de répulsion se met à souffler. Arrière Satan ! « Comment vous n’êtes pas progressiste ? Vous ne voulez pas changer ? » En revanche, quand il s’agit de sauver des emplois en conservant des branches d’activité, tout le monde trouve ça très bien. Et quand il s’agit de restaurer Notre-Dame, non seulement personne ne trouve à redire, mais tout le monde se précipite !

Il y a aujourd’hui des enjeux de taille dans notre monde.  À travers la question de l’environnement on commence à s’en rendre compte et à cette occasion conserver n’est pas un terme infamant. Toutefois, il n’y a pas que la nature qu’il va falloir conserver. Il y a la question des identités nationales et culturelles qu’il va falloir savoir protéger contre une mondialisation sans foi ni loi  et contre les replis communautaristes idéologiques et religieux. Il y a enfin l’identité humaine qu’il va falloir défendre fermement au moment où, dans un relativisme généralisé on voit apparaître la tentation de faire sauter les quatre limites qui protègent notre humanité : la limite entre le réel et le virtuel, l’homme et la femme,  l’homme et l’animal et l'homme et la machine.

On connaît la droite qui a ferraillé contre la gauche durant deux siècles. On ne connaît pas encore la droite capable de penser la conservation de l’homme et de son identité. Peut-être la verra-t-on apparaître. Pour l’heure, constatons le : ce n’est pas bien parti.

De son côté, Marlène Schiappa publiait une tribune dans les colonnes du Journal du Dimanche où elle réaffirmait la disparition des partis traditionnels, de l'ancien monde, et où le progressisme est le nouveau modernisme. Progressisme qu'elle traduisait par l'expression suivante: faire passer le pays avant le parti.  De quoi relève cette conception de la modernité ? Le progressisme est-t-il synonyme de modernité ?

Erwan Le Noan : Le « progressisme » est probablement différent du « modernisme » : dans la notion de progressisme, il y a l’idée que l’histoire a un sens, l’idée qu’il existe une notion de « progrès » qui n’est pas que matériel mais aussi moral, et qu’il est « bien » et « mieux » de soutenir et encourager ce mouvement. Dans le progressisme, il y a en somme l’idée qu’il existe un camp du bien, plus éclairé que les autres, chargé de montrer la lumière aux obscurantistes.

Cela paraît éminemment discutable. On peut parfaitement être en faveur d’un mouvement d’extension des droits individuels, sans pour autant devoir se placer dans la position de nier à ses adversaires leur intelligence ou leur considération morale. On peut aussi parfaitement être conservateur en soutenant ses analyses et convictions par des raisonnements construits et intellectuellement robustes.

L’utilisation de ces termes tient probablement ainsi, on le perçoit, du débat politicien. Se déclarer moderne ou progressiste, c’est une façon de dire que ses adversaires ne le sont pas et même sont réactionnaires, passéistes, dépassés. En outre, si le progressisme est défini comme vous le proposez, l’alternative est limitée : rejoindre le parti présidentiel ou être voué aux gémonies. La ficelle rhétorique est un peu grosse – elle est d’ailleurs probablement maladroite.

Avoir recours à ces qualificatifs est un peu dommage car, en démocratie, il faut accepter que ses adversaires défendent des opinions légitimes ; sinon on en fait des « ennemis », ce qui ne laisse pas de place au compromis : si on peut travailler avec un adversaire, on combat un ennemi jusqu’à sa défaite (ou sa victoire).

Chantal Delsol : Cette tribune de Marlène Schiappa est un monument de déclaration anti-politique : le rêve de transcender les partis et de les abolir, pour appliquer un programme qui ravira tout le monde et consistera à « mettre l’humain au centre », couplet rabâché qui ne signifie rien. C’est nous prendre pour des andouilles. La démocratie est un système convaincu de la nécessité du débat parce qu’il repose sur l’incertitude. Les partis politiques y sont une nécessité, et bon an mal an ils traduisent quelque chose comme une gauche et une droite, parce que nous vivons dans le temps et dès lors la question principale est de savoir comment avancer. Le discours de Schiappa est juste anti-démocratique.

Bertrand Vergely : S’il est surréaliste d’entendre les leaders de la droite dire que leur  échec aux dernières européennes vient de ce qu’ils sont trop de droite, il est tout aussi surréaliste d’entendre Marlène Schiappa  expliquer que le progressisme est aujourd’hui l’idée neuve qui enterre les partis traditionnels en faisant passer «  le pays avant le parti ».

Il importe de rappeler à Marlène Schiappa que le progressisme est une idée qui date du XVIIIème siècle avec notamment des écrits commeLe tableau historique des progrès de l’esprit humain de Condorcet. Au cours du XIXème siècle, cette idée n’a pas cessé d’être archi-rebattue par Marx et le positivisme d’Auguste Comte, à qui l’on doit la formule Ordre et progrès, qui sert de  devise au Brésil. Enfin, au XXème siècle, jamais une idée n’a autant aveuglé les peuples en précipitant ceux-ci dans la ruine et la débâcle. De sorte que, pour une idée neuve, on ne voit pas franchement en quoi le progressisme en est une. Plus rebattue, plus poussiéreuse, plus ennuyeuse et, parfois, plus ruineuse,  il n’y a pas !

En outre, on est heureux d’apprendre que faire passer le pays avant le parti, formule qui respire  le nationalisme et le patriotisme de droite, est l’idée par excellence du progressisme. Jusqu’à présent, on a toujours entendu  appeler progressisme la lutte du nouveau contre l’ancien avec comme symbole l’an 1792 baptisé par la Révolution l’an 1 de l’humanité. De même, on est également heureux d’apprendre que notre époque est moderne alors que l’on pensait le temps de la modernité révolu.  C’est au XVIIème siècle et au XVIIIème siècle que l’on est moderne, quand il s’agit de remplacer la religion par l’humanisme. Aujourd’hui, après la faillite des religions de l’homme, on n’est plus humaniste mais antihumaniste et, de ce fait, on n’est plus moderne, mais postmoderne. Si tout le monde est d’accord pour défendre les droits de l’homme, plus personne ne voue un culte à l’homme en pensant qu’il s’agit là d’une réalité sacrée.

Résumons ce que Marlène Schiappa pense aujourd’hui être ce qui enterre l’ancien-monde : le nouveau monde qu’elle nous propos a deux siècles de retard, le progressisme et le modernisme à travers le patriotisme étant des idées dépassées depuis longtemps.

Si la droite est incapable d’une quelconque pensée  faute de savoir penser positivement le fait de conserver, le progressisme et la modernité sont également incapables de se penser, faute de savoir penser les termes « progrès » et « moderne ». Un seul penseur a vraiment su penser le progrès : il s’agit de Hegel. Pourquoi ? Parce qu’il a compris que l’essence du véritable progrès consiste, non pas à opposer le nouveau à l’ancien, mais à tout relever et  tout ennoblir, le nouveau comme l’ancien. Le progrès est une grandeur d’âme qui rend tout génial.

De même, la modernité qu’est-ce ? Un regard décalé, original, singulier, non conformiste, libre. Si le progrès est une grandeur d’âme, la modernité est une liberté d’esprit. Le progressisme  a toujours enseigné le progrès et la modernité dans la guerre. Il y avait d’un côté les méchants conservateurs et d’un autre les gentils révolutionnaires. Par là même, était un progrès et donc moderne le fait, pour les révolutionnaires, d’écraser les conservateurs. La modernité comme le progrès ont tendance à se penser sous la forme d’un progrès contre et d’une modernité contre. C’est ainsi que l’on rate tant le progrès que la modernité. Baudelaire a compris ce qu’étaient le progrès ainsi que la modernité. Comme Nietzsche, il a réalisé que le progrès est un style, une âme et une liberté.  Est-ce compatible avec la politique ? Les grands politiques ont toujours été et seront toujours ceux qui savent avoir du style, une âme et une liberté au milieu de la tempête.

Finalement, en rapidement détaillant les différences traditionnels entre les Anciens et les Modernes en politique, qui selon vous peut réellement incarner le renouvellement du modernisme dans le paysage politique actuel ?

Erwan Le Noan : La question pourrait plutôt être de savoir qui, aujourd’hui, a la meilleure doctrine pour répondre aux enjeux de notre époque. La réponse n’est pas facile car elle implique de s’accorder sur ce que sont ces enjeux.

Est-ce de défaire le populisme ? Et de quelle façon ? Il me semble que c’est une priorité, mais purement ‘tactique’ si elle n’est pas portée par une vision de long terme. Faire reculer le populisme est sain pour nos démocraties parlementaires, mais pour faire quoi ? Si l’enjeu est juste de le battre dans les urnes, alors effectivement cela peut avoir du sens de faire un parti progressiste qui s’oppose à eux. Mais est-ce que cela porte un projet de société ?

Est-ce de préparer le renouvellement de notre modèle économique, politique et social ? (ce qui aura pour effet de faire reculer le populisme). A ce stade, personne ne semble réellement répondre à cet enjeu : peu de partis et de responsables politiques proposent une vision, un projet de transformation. Il suffit de voir les résultats aux élections : ils s’effondrent tous, faute d’une offre robuste – les seuls qui résistent le font par défaut, en agglutinant les colères ou en servant de digue face à elles. De manière générale, les solutions qui sont proposées sont rarement originales et s’inscrivent toutes dans l’idée qu’il faut préserver le système actuel, en l’amendant à la marge. Il n’est pas certain que ce soit très moderne, ni très prometteur.

Chantal Delsol : Les « Anciens » se recrutent aujourd’hui dans nos deux partis extrêmes, car ils veulent conserver ce qui a fait la France des 30 glorieuses : les corporatismes, par exemple, et l’Etat colbertiste. Macron est typiquement moderne et même l’expression typique du post-moderne : il croit que tout est possible, à tous égards. En ce sens, quand on dit qu’il est à droite, c’est assez faux : cela est dû au fait que pendant longtemps la droite a été économiquement libérale pour combattre l’économie socialiste administrée. Il est plutôt à gauche, non pas au sens de cette gauche totalitaire du XX° siècle qui croyait aux lendemains qui chantent, mais au sens plus général d’un courant qui croit tout possible.

Bertrand Vergely : Personne. Pour incarner le modernisme, il faudrait que la modernité ait encore un sens. Or, elle n’en a plus. La modernité est morte tuée par la modernité elle-même et ses calamiteuses religions de l’homme. Elle est en train d’agoniser sous nos yeux avec l’individualisme exacerbé de l’antihumanisme intellectuel, avec le projet post-humaniste des nouvelles technologies d’en finir avec l’homme afin de le remplacer par l’homme augmenté, enfin avec la mondialisation pour qui le monde et le profit passent avant les hommes. Il arrive pourtant que, dans cette tourmente il y ait quelques lueurs. Quand Cohn-Bendit défend l’Europe, cela a une certaine allure. Quand Jack Lang défend Alain Delon acteur et non Alain Delon homme d’opinion, cela a aussi une certaine allure. Quand Emmanuel Macron fait un discours sur le débarquement, cela a là encore une certaine allure. On se plaît à penser que le style, une certaine âme et une certaine liberté n’ont pas totalement disparu de ce monde. Les politiques qui pensent vraiment le progrès et la modernité ce n’est pas en politique qu’il faut aller les chercher, mais dans l’art, la peinture, l’architecture, la musique, la cuisine et la mode. Là, heureusement pour nous, il y a des hommes et des femmes pleins de style, d’âme et de liberté.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !